De l'Innocence au Mal Absolu
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Chapitre 2 – Le chant des cigales
Chapitre 1 – Le sacrifice silencieux Menu Chapitre 3 – L’inutilité de la vérité dans un monde de jugement

Une brise légère soufflait sur les champs du village d’Ys ondulaient au gré du vent. La fraîcheur matinale s’était progressivement dissipée, remplacée par la chaleur étouffante de l’été. Yulia, sous sa robe de lin, sentait déjà la transpiration perler sur sa peau alors même que sa journée n’avait pas réellement commencé.

Elle se tenait sous l’ombre d’un chêne majestueux à la lisière de la forêt, appréciant les derniers vestiges de fraîcheur que son feuillage épais pouvait offrir. Fascinée par le spectacle hypnotique des épis de blé frémissant sous la caresse du vent, elle sentit ses paupières devenir lourdes. Elle se laissa aller, fermant les yeux, savourant ce moment de répit loin des enfants et des problèmes.

Ce sentiment d’apaisement intensifiait en elle l’envie de différer toutes les responsabilités qui pesaient sur ses épaules. La discussion avec Tom la veille l’avait privée de sommeil. Au petit matin, elle n’avait pas eu l’occasion de s’excuser, il était déjà parti pour la forge.

Si elle restait là, immobile, Yulia savait qu’elle aurait des problèmes. Elle avait sacrifié son travail à la taverne locale, pour prêter main-forte aux champs, comme tout le monde dans le village le faisait à un moment ou un autre. Certains utilisaient leurs relations pour échapper à ce devoir, et parfois, elle les enviait.

Dans un dernier soupir, Yulia ouvrit les yeux péniblement et se gifla les joues pour se remotiver. Son regard fut attiré par Joe qui s’affairait un peu plus loin, laissant les craintes de son mari revenir à sa mémoire. Elle connaissait le passé tumultueux du vieil homme, qui avait autrefois agressé des femmes dans les champs. Mais cela remontait à des années, et avec l’âge, il avait dû s’assagir, du moins, l’espérait-elle.

En se redressant, elle épousseta sa robe de lin, sentant la rugosité des brindilles et des feuilles qui s’y étaient accrochées. Elle ajuste son chapeau de paille et se dirigea vers le champ de blé, où elle aperçut le vieux Joe déjà à l’œuvre. 

Enfin ! Je commençais à me demander si tu allais passer toute la matinée à te prélasser à l’ombre ou si tu allais finalement me donner un coup de main.

S’était-il exclamé, sa voix se fondant dans le chant des cigales.

Un sourire embarrassé effleura les lèvres de Yulia à la remarque de cet homme qu’elle connaissait depuis toujours. Jo, un pilier de la communauté, avait passé sa vie à l’extérieur. Sa peau était ridée et tannée par des décennies sous le soleil, travaillant dur dans les champs. 

Son visage était un dédale de rides profondes. Un vieux chapeau de paille, délavé et déformé par le temps, couronnait sa tête, complétant son allure rustique. Cependant, elle connaissait surtout le vieux Jo en tant que pilier du bar, passant ses journées à l’auberge où Yulia travaillait, assis à la même table depuis des années.

Il observait silencieusement l’activité autour de lui, son esprit souvent perdu dans les souvenirs de sa défunte épouse. Tout ce qu’il avait bien voulu dire à Yulia, c’est qu’elle lui ressemblait. C’était une blessure toujours à vif pour lui, une cicatrice qui ne s’était jamais vraiment refermée. Avec le temps, Jo avait fini par s’habituer à sa solitude, à ce silence assourdissant qui le hantait. Son comportement occasionnel envers les femmes était trop souvent pardonné, compte tenu de sa situation.

C’est parce que tu es tellement efficace que j’ai plus la sensation de te gêner qu’autre chose.

En guise de réponse, le vieux paysan grommela quelque chose d’inintelligible, une litanie familière sur le manque de respect de la jeunesse actuelle et de leur responsabilité de tous maux sur cette terre.

Et quoi encore ? Commence plutôt par t’occuper de cette rangée, au lieu dire des âneries aussi grosses que tes mamelles !

Yulia serra les dents, une pointe d’agacement piquant son indulgence habituelle. Avec l’âge, la solitude avait rendu Joe aigri, et il semblait avoir renoncé à toute tentative de sociabilité. Son envie de lui lancer une motte de terre au visage grandissait à mesure qu’il continuait à manier sa faucille à travers les tiges dorées de blé.

La pensée de le changer lui paraissait futile, une dépense d’énergie qu’elle préférait consacrer à sa récolte. Tenant fermement sa faucille, elle tenta tant bien que mal de copier les mouvements précis et rythmiques de Joe et se plongea dans sa tâche.

Travailler en compagnie de Joe s’apparentait rarement à une partie de plaisir. Le vieillard avait cette étrange propension à décocher des commentaires mordants. Mais malgré ses défauts, on ne pouvait nier son acharnement et son endurance au travail. Travailler aux côtés de Joe signifiait qu’elle rentrerait plus tôt chez elle à la fin de la journée.

Des heures semblèrent s’égrainer sous le soleil impitoyable, et le temps donnait presque l’impression de s’immobiliser. Joe, toujours en avance, maintenait un rythme constant et inébranlable. Yulia le suivait de près, ne se laissant pas intimider ni par la charge de travail, ni par les éléments, ni par l’homme.

Le vieil homme lançait occasionnellement des regards réprobateurs vers Yulia, grommelant constamment, ses propos acerbes se diluant alors qu’il se permettait des regards furtifs et indécents vers le décolleté de la jeune femme. Un sourire vicieux s’étirait graduellement sur son visage, mettant en lumière un éclat prédateur dans ses yeux. Elle percevait son regard lourd sur elle et malgré la chaleur accablante, elle ne pouvait s’empêcher d’avoir la chair de poule.

Yulia, ma belle, malgré les années qui passent, tu es toujours aussi fraîche qu’une rosée du matin ! Si je n’étais pas si usé par le temps…

Yulia lui adressa un sourire forcé, se sentant terriblement mal à l’aise. Son regard persistant, qui semblait vouloir la dévorer, la révulsait. Instinctivement, elle resserra sa chemise de lin autour d’elle, tentant en vain de dissimuler sa poitrine trop mise en évidence a force d’être penchée en avant. Cependant, après des heures sous le soleil implacable, le tissu s’accrochait à sa peau, soulignant malgré elle ses courbes généreuses.

Le regard déplacé de Joe la ramena à la conversation qu’elle avait eue avec Tom la veille. Son époux avait exprimé des inquiétudes quant à sa présence aux champs, notamment à cause de Joe. Elle se souvenait avoir essayé de dissiper ses craintes, lui rappelant que Joe était simplement un vieillard aigri, inoffensif. Elle se demanda si elle avait été naïve de ne pas avoir pris au sérieux les préoccupations de Tom.

Elle décida malgré son dégout de répondre poliment, mais fermement à Joe. Ce vieil homme pervers conservait une certaine emprise sur les anciens du village et le froisser risquait d’attirer encore plus de problèmes à sa famille.

Merci Joe, mais tu sais bien que je suis mariée, que j’ai une famille et surtout… pourquoi je m’embêterais avec un homme qui pourrait avoir l’âge de mon grand-père ?

Cette réplique fut comme un coup de poignard dans son orgueil, une douleur sourde qu’il connaissait trop bien. S’il y avait une chose qu’il détestait plus que tout, c’était qu’on lui rappelle son âge. Il ne le tolérerait pas. Ce sentiment éveillait en lui des souvenirs désagréables, des visages de femmes du passé qui ne l’avaient pas pris au sérieux et l’avaient également repoussé, évoquant toujours son âge comme excuses. 

Mais tout cela n’était qu’une excuse, aucune femme ne voulait fricoter avec un vieil alcoolique qui n’était plus que l’ombre de lui-même. Commençant à perdre patience, il finit par hausser le ton sur la jeune femme.

Ton mari, c’est qu’un putain d’éclopé ! Tu n’as aucune idée de ce qu’est un vrai homme ! Je peux t’assurer que j’ai toujours autant d’ardeur qu’à mes vingt ans

Il tourna la tête vers Yulia, son regard empli de détermination malsaine. Il allait lui montrer ce qu’il en coutait de jouer l’aguicheuse. Cela faisait bien trop longtemps qu’il se retenait. Il se releva, faisant mine d’étirer son dos, attrapa sa gourde en cuir fixé à sa ceinture et bu plusieurs rasades de vin tiède pour se donner un peu de courage.

Il s’essuya la bouche d’un revers de la manche, jeta discrètement un coup d’œil aux alentours, s’assurant qu’ils étaient seuls et qu’il ne serait pas interrompu. Satisfait, il s’approcha de Yulia qui était toujours au sol, fuyant son regard. Avec une feinte douceur qu’il n’affichait que rarement, il lui tendit la gourde, un geste qu’il voulait apaisant.

Bois !

Lorsque Yulia leva la tête, elle se trouva nez à nez avec le goulot de la gourde en cuir de Joe. L’odeur vineuse du vin tourné lui monta aux narines et lui donna instantanément la nausée. Elle la repoussa d’un geste vif, si bien que l’outre tomba au sol, répandant son contenu sur le blé fraîchement moissonné.

Sale trainée ! J’en ai plus qu’assez de tes caprices !

Avec un revers de main brutal, Joe frappa la tempe de Yulia avec le manche de sa faucille. Elle s’effondra au sol, complètement sonnée, dans l’impossibilité de savoir dans quelle position, elle se trouvait, la seule chose qu’elle sentait, c’était le poids du vieil homme sur elle et ses deux poignets fermement maintenus par la poigne d’acier de Joe qui affichait une expression hideuse et le goût de la terre et du sang dans sa bouche.

Tu vas te calmer et te laisser faire ! Ça fait un moment que tu m’allumes avec tes manières, j’ai été patient, oh ça oui ! Mais c’est bien fini, tu entends ?

Yulia sentait les gros doigts calleux de Joe, rugueux comme du papier de verre, remonter le long de sa cuisse. Ils s’agrippèrent à la fragile étoffe de sa culotte, tirant sans ménagement. Le tissu se déchira sous la force brutale, craquant doucement à ses oreilles. Finalement, elle se retrouva à nu à la merci du regard de cet homme qui n’était plus qu’un animal.

Elle voulut pousser un cri, mais la main de Joe, forte et moite, couvrit sa bouche, étouffant toute tentative de son. Son haleine rance, mêlée d’une odeur de sueur et de vinaigre, s’insinuait dans ses narines, l’écœurant. Les bruits sourds de son cœur battant à tout rompre étaient la seule chose qu’elle entendait, couvrant le râle bas de Joe.

Elle goûtait la terre qui s’infiltrait entre ses lèvres entrouvertes, amère et râpeuse. Voyait, à travers le brouillard de ses larmes, le ciel bleu d’été au-dessus d’elle, aussi indifférent que le soleil impitoyable. Le sol dur et sec sous elle était échauffé par la chaleur de la journée, chaque caillou et brin d’herbe sèche lui paraissait comme une épine contre sa peau. Le chant des cigales, lourd et omniprésent, couvrait le bruit de ses supplications.

Laisse-toi faire ou ce sont tes petites qui en paieront le prix, c’est bien compris ?

Un hoquet de terreur là saisit, la paralysant. La menace proférée à l’encontre de ses enfants la cloua sur place, elle n’osait plus bouger. Yulia tourna la tête sur le côté, ne souhaitant plus supporter la vision répugnante de son agresseur. Elle sentit de nouveau la main de Joe remonter le long de sa cuisse, s’aventurant avec audace vers son intimité.

Quelque chose capta son attention, à quelques centimètres de sa tête. Là, sur le sol poussiéreux, la lumière du soleil dessinait des éclats d’argent sur la lame de sa faucille, comme si le destin lui envoyait un signe.

Joe, tout en déboutonnant son pantalon d’une main, lâcha les poignets de la jeune femme. Il releva brusquement la robe de lin, dévoilant bien plus qu’elle ne l’aurait voulu, et un rictus cruel étira ses lèvres gercées tandis qu’il se passait la langue dessus.

Un cri strident échappa à Yulia lorsqu’il déchira le tissu léger de sa robe d’un geste brutal, révélant son buste voluptueux au regard avide de cet être dépravé. Joe semblait avoir abandonné toute notion d’humanité, ses yeux étaient injectés de sang, fixés sur elle, sourd à tout ce qui l’entourait.

Le vieil homme se pencha sans cérémonie, plongeant sa tête dans la poitrine opulente de la jeune femme, mordant et malaxant avec une avidité indécente. Chaque morsure lui arrachait un gémissement de douleur, sa peau douce et parfaite marquée par la rudesse de ses dents. Un sentiment de répugnance intense l’envahissait face à l’abomination de cette situation, mais elle serra les dents, changeant tant bien que mal sa terreur et sa révulsion en une forme de détermination farouche.

Alors que sa main tâtonnait le sol chaud, elle rencontra enfin le manche de sa faucille. La froideur du métal dans sa main lui procura un semblant de réconfort et elle l’agrippa fermement.

Sans une once d’hésitation, Yulia abattit la faucille avec toute la force dont elle disposait. La lame tranchante s’enfonça dans la gorge vulnérable de Joe, pénétrant la chair tendre. Un bruit sourd et humide accompagna l’impact, suivi presque immédiatement par un gargouillis étouffé et une toux sanguinolente.

Le sang jaillit en un geyser rouge et poisseux, éclaboussant le corps de Yulia et tachant sa peau nue d’un pourpre vibrant. L’odeur métallique du sang frais emplit ses narines. Elle sentait la chaleur du liquide carmin couler sur sa peau, des gouttes dégoulinant de son visage et tombant sur sa poitrine. Le goût du fer s’insinuait dans sa bouche, amère et inoubliable.

Le corps de Joe se tendit soudainement, ses mains lâchant sa poitrine pour se saisir de son cou en un geste désespéré. Ses yeux s’écarquillèrent, sa bouche s’ouvrit en un cri silencieux alors que la vie le quittait. Le son assourdissant des cigales s’évanouit, remplacé par le battement frénétique de son cœur dans ses oreilles et le bruit répugnant de la faucille se retirant du cou de Joe tel un fruit trop mûr.

L’image de Joe s’effondrant, impuissant à ses côtés, le sang pulsant encore de sa plaie, était aussi horrifiante que libératrice. Il ne la toucherait plus jamais, ni elle, si personne d’autre. C’était terminé. Alors que le corps sans vie de son agresseur gisait à côté d’elle, Yulia sentit une vague de soulagement la submerger.

Mais avec ce soulagement vinrent aussi les larmes. Une cascade de larmes brulantes, salées, qu’elle avait retenues jusqu’à présent. Le corps de Yulia commença à trembler, secoué par des sanglots incontrôlables. Nue et maculée de sang sous le soleil implacable, Yulia pleura.




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