Bienvenue à Bord du Fantastique Europalazio
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Chapitre 8 – Létrange inconnu
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Je fus extirpé de mes songes par le bruit strident de la locomotive, conjugué à la voix métallique qui résonna à travers ma radio, me faisant sursauter :

« Chers voyageurs, il est huit heures, le Fantastique Europalazio arrive en gare de Beaune. Dehors, la température est de neuf degrés et le beau temps est au rendez-vous. La compagnie vous souhaite une bonne escale. »

Les vibrations du train s’arrêtèrent net et un léger à-coup me fit signe que le véhicule venait de s’immobiliser, arrivé en gare vingt-quatre heures après avoir quitté Paris ; un temps démesurément long pour un trajet si court.

Des bruits de pas et de sifflets se faisaient entendre dans le wagon ainsi que sur le quai. J’entendis même la voix aiguë et stridente de mon roquet qui intimait aux futurs voyageurs, souhaitant déposer leurs bagages à bord, de rester en rang afin de vérifier scrupuleusement leur identité ; avec ce gus, aucun voyageur indésirable ne pourrait fouler ne serait-ce que la marche pour monter dans le wagon. Un bon chien de garde ce petit Andreï.

Les poils au garde à vous, encore peu conscient de mon environnement, j’ouvris un œil. J’eus toutes les peines du monde à focaliser mes rétines sur un point précis tant elles étaient noyées sous un voile humide qui me faisait voir à la fois double et flou. La gorge irritée, je toussais et fus aussitôt pris d’un relent lorsque mon haleine fétide parvint à mes narines. Je chassai en hâte ces vapeurs nauséabondes d’alcool, terriblement écœurantes.

Puis je grognai et me redressai. Le monde chavirait autour de moi au point que j’eus l’impression de me trouver sur la coque d’un navire en pleine tempête. Enfin, un long bâillement s’échappa de ma bouche et, groggy, je me dirigeai maladroitement en direction de l’évier. D’une main fébrile, tremblante, j’ouvris le robinet et m’aspergeai le visage d’eau glacée. À son contact, je fus électrisé et regagnai quelque peu mes esprits.

En redressant ma tête, je fus terrifié par l’aspect de mon visage d’une blancheur cadavéreuse. Mes yeux rougis étaient cernés de noirs et ma bouche pâteuse, semblait ratatinée tandis que mes cheveux en bataille se hérissaient sur le haut de mon crâne à la manière des poils d’un porc-épic.

— Mon Dieu que je suis monstrueux ! ne puis-je m’empêcher de penser en posant mon index sur l’une de mes joues creusées.

Je m’assis un instant sur mon lit, plaquant ma tête contre la paume de ma main. Alors que je m’emparai de mes vêtements, soigneusement rangés dans ma petite armoire, je m’immobilisai un instant. Ébahi, je remarquai que le plateau-repas de la veille n’était plus présent sur mon bureau.

Je fronçai les sourcils, emparé d’un doute face à ce trou de mémoire. L’avais-je remis à Matthias ou à un membre du personnel avant de m’endormir ou bien, et ceci était ma crainte, quelqu’un était venu dans ma chambre pendant que je dormais pour me l’en ôter ?

Tout en m’habillant, je tentais de me dresser le programme de ma journée, chose hasardeuse au vu du peu de cerveau encore disponible que j’avais en ma possession.

Je repliai mon rideau et examinai la vitre. Dehors, un vaste champ de verdure s’étendait jusqu’à l’horizon ; des champs de vigne pigmentés par quelques maisons aux façades ocre et marron glacé. Et dire que j’allais me retrouver à Beaune, une ville de Bourgogne réputée pour son vin, et que, dans mon état déplorable, mieux valait à tout prix que j’évite d’abuser de ce doux nectar bordeaux ; mon organisme en serait éternellement reconnaissant.

Pourtant, qu’il était bon ce breuvage aux teintes grenat surtout lorsqu’il s’accompagnait d’un sublime bœuf bourguignon cuit des heures durant dans le but de rendre la viande tendre et moelleuse à souhait.

Diable, il fallait que je sorte et effectue une nouvelle visite des lieux qui avaient dû fortement changer en l’espace de ces sept dernières années. Mais avant, mieux valait que je mange afin d’être opérationnel pour cette mission et de chasser une bonne fois pour toutes ma sensation de torpeur latente.

D’un pas assuré, je sortis de ma couchette, après avoir passé plusieurs minutes à soigner mon apparence désastreuse. J’allais quitter le wagon lorsque j’entendis du bruit derrière moi. Je me retournai et vis au fond du couloir, devant la porte du wagon dédié au personnel, ce qui semblait être un lapin. Enfin, non, un lièvre plutôt ; avec ses oreilles et ses pattes arrières démesurément longues, le poil d’un brun gris terni habillé d’un petit veston bleu comme la coque du train. Alors, je m’immobilisai et regardai l’animal présent debout, sur ses deux pattes arrières, toquant à la porte comme le ferait un enfant malhabile. Stupéfait, je me frottai les yeux puis, lorsque je les rouvris, ne vis rien d’autre qu’un couloir vide.

— Il va vraiment falloir que je n’abuse pas du vin aujourd’hui ! marmonnai-je pour moi-même.

Arrivé à la Casa Veche , le seul compartiment à servir le petit déjeuner, je m’installai à un siège molletonné jaune moutarde et patientai que le repas me soit servi selon mes préférences. Un café, une viennoiserie ainsi que du pain frais beurré et confituré me fut apporté, le tout accompagné d’une coupelle de fruits.

J’avalai, ou plutôt je dévorai goulûment, ces précieux mets tout en observant ce wagon des plus étranges que je devrais fréquenter chaque matin malgré sa décoration hideuse ; m’attardant une seconde fois sur cet énigmatique soixantenaire au fort embonpoint, à la barbe blanche foisonnante et dont les lèvres pincées présentaient un rictus, accentuant sa férocité.

Peu de gens étaient présents, tous dormaient encore ou bien profitaient-ils de leur escale pour se dégourdir les jambes au plus vite ? Oh, joie ! peut-être que ce soir, une charmante créature sera montée à bord, que je ne sois pas le seul « minot » à bord comme dirait Matthias.

Rassasié et surtout extirpé de mon état d’abrutissement, je me levai et, après avoir récupéré ma sacoche, me mis en route pour réexplorer cette ville que je connaissais si bien. Alors que je vaguais dans les rues relativement calmes d’un dimanche matin, ne sachant trop où me rendre et désireux de profiter de ce beau soleil, je fus happé par la majestueuse architecture des Hospices de Beaune ; ce grand bâtiment à la façade extérieure austère en pierre écrue, mais aux toits couverts de tuiles colorées formant des motifs savamment orchestré, tantôt rouge, vert ou bleu.

Hum, une petite visite des lieux me semblait de rigueur. Je m’y étais rendu jadis avec ma classe de lycéens, une bien belle visite qui m’avait laissé de bons souvenirs. À moins que le plaisir y eut été de m’y rendre alors que les vendanges du domaine venaient de commencer et que j’avais pu, grâce à cette autorisation, faire faux-bond à mes parents sous couvert de ma réussite scolaire.

Je me revoyais en attroupement devant les œuvres, une cigarette à la main comme bon nombre de mes camarades, m’attardant davantage sur les étudiantes issues d’une autre école, en pleine visite également, plutôt que sur les interventions de mon professeur. Ce qui fait que j’étais incapable présentement de me remémorer un seul objet conservé dans ce monument touristique.

Je me rendis au guichet et fis la queue. En attendant l’achat de mon ticket, je sentis quelqu’un me tirer par la manche.

— Excusez-moi monsieur, fit une voix grave mais chaleureuse avec un léger accent guttural, semblable à celui de Matthias.

Surpris, je me retournai et vis un jeune homme à peine plus jeune que moi, aux traits du visage relativement arrondis et possédant une chevelure châtain incroyablement longue, laissée détachée. Il me regardait de ses grands yeux verts cernés d’épais sourcils assortis à sa veste déboutonnée, laissant voir une chemise écrue froissée. Voilà un homme bien négligé.

— Que voulez-vous ? lançai-je tout en l’étudiant.

Il fit une moue et replia ses mains devant lui, comme un gamin qui n’oserait demander la permission à ses parents.

— Je sais que vous venez du train monsieur, murmura-t-il, est-ce que je peux faire la visite avec vous ? Promis je ne vous gênerais pas. Mais ma maman ne veut pas que je me déplace seul alors je vous ai suivi pour l’escale. Comme ça, je vous suis et je rentrerai au train en même temps que vous ce soir. Et comme ça, je lui prouve encore que je peux me déplacer en dehors du train sans elle. Il n’y a pas de danger ici, n’est-ce pas ?

Tout en me reculant, je haussai un sourcil. « Maman ? » Avais-je bien entendu ce que ce jeune homme venait de me dire ? À moins que je ne sois encore sous l’emprise de l’alcool ? Ne voulant pas me trimbaler ce garçon des plus étranges toute la journée, je refusai et avançai dans la file d’attente en faisant mine de ne pas l’entendre. Mais à mon désarroi, je me rendis compte qu’il me suivait, me regardant avec une troublante insistance. Perdant patience, je le toisai à nouveau et le rabrouai sèchement.

Son visage se décomposa et ses yeux se remplirent de larmes, prêt à éclater en sanglots.

Ne voulant pas d’ennuis et sentant les regards des visiteurs converger sur ma personne en me dardant d’un œil réprobateur, je m’avouai vaincu et acceptai de l’avoir auprès de moi.

— D’accord, d’accord, d’accord ! pestai-je. C’est bon vous pouvez me suivre, mais alors taisez-vous et ne faites pas de bruits ou alors je vous jure que je vais faire tout mon possible pour vous perdre et vous abandonner ici ! Et sans scrupule.

Il se tut instantanément et hocha la tête.

Derrière moi, j’entendis un homme ronchonner. La file s’éternisait et il fallait que je m’empare d’un ticket. Arrivé devant le guichetier, paraissant aussi aimable qu’une porte de prison, je commandai une place.

— Vous pouvez m’en prendre une aussi, monsieur, s’il vous plaît ? souffla le garçon à mon oreille. J’ai pas pris les sous et maman à beaucoup d’argent sur elle. Promis, elle vous remboursera !

Énervé, je pris une profonde inspiration et, tout en crispant mes doigts contre mes paumes, commandai une deuxième place que je lui offris. À la vue du ticket tendu vers lui, son visage s’illumina et il me gratifia d’un sourire si chaleureux que j’en fus, l’espace d’une seconde, totalement décontenancé.

Enfin, je m’en allai en direction de l’entrée et entrepris ma visite, suivi de prêt par mon inconnu qui, tel un chien, me suivait à la trace.



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