Elle était la Peintre de génie du Clan Zhang, l’un des meilleurs de la Guilde des Peintres. Il était déjà insultant pour elle de s’abaisser à accepter un duel avec un parfait inconnu, mais en plus de cela ce dernier voyait l’ensemble du défi comme une farce, et il faisait ce qu’il voulait sans la moindre honte.
Est-ce là ce que vous vouliez dire par “devenir sérieux” ?
Quel peintre n’utilise pas un pinceau et du papier, mais une épée ?
Si Zhang Ziqing se sentait si enragée qu’elle aurait pu littéralement exploser, Jian Qinsheng tremblait de tout son être. Il venait de souffler au jeune homme qu’il était censé représenter l’escrime du Sanctuaire des Sages, et voilà qu’il utilisait une épée pour peindre !
Une lame était tranchante, acérée, elle n’était pas adaptée à ce genre d’usage.
Je voulais seulement lui rappeler sa propre identité et les responsabilités qui en découlent afin qu’il ne perde pas de vue notre objectif pour ces futilités.
Je ne lui ai pas demandé de se donner un handicap et de risquer de perdre le duel !
Cette jeune femme est équipée du Pinceau du Saint Renard Empyréen et du Papier Héritage, et elle a même exécuté la formidable Technique de Peinture de Terre Enneigée. Et lui, comme un simple sculpteur, il veut graver un truc sur un caillou ? A-t-il vraiment accepté ce duel sans réfléchir ?
A cet instant, le désespoir était écrit sur le visage du Doyen. Sans aucun doute, ils étaient cuits.
Il n’osait même plus regarder la suite.
– « Est-ce qu’il a une araignée au plafond ? » Zhang Wuchen était si choqué qu’il ne parvenait pas à fermer sa bouche bée.
Il avait vu beaucoup de fous, mais jamais un défiant autant toute logique !
Peindre avec une épée… Quel genre de terme médical serait approprié pour le décrire ?
– « Il sent probablement qu’il est incapable de surpasser Ziqing, mais en même temps, il ne veut pas se mettre dans l’embarras, » supposa Wuzhen.
– « C’est peut-être bien ça. » Après quelques instants de réflexion, le Troisième Doyen se jugea capable de comprendre ses intentions.
Zhang Ziqing était une des meilleures et son talent en la matière dépassait de loin celle de ses pairs. Ses compétences étaient même équivalentes à celles de la plupart des plus grands Peintres 8 étoiles. Même si le jeune homme avait réussi à gravir la Tour des Maîtres Enseignants, personne ne le jugea en mesure d’en sortir victorieux.
Et puisque qu’il était incapable de gagner, la seule façon de sauver son honneur était de faire passer le duel pour une vaste fumisterie. Ainsi, même s’il perdait, il pouvait toujours en rire.
Zhang Wuchen secoua la tête avant de reporter son attention sur lui. Une fois de plus, il fut choqué au-delà des mots.
La pointe de son épée était à moins de 30cm de la pierre. Il balançait son arme sans arrêt, couvrant la roche d’un flot de Qi d’épée. Mais étrangement, ce dernier semblait passer au travers de sa cible, si bien qu’il n’y laissait pas la moindre marque.
Pour les observateurs, il semblait être possédé. Personne ne parvenait à comprendre ce qu’il faisait!
– « Est-ce que ce type… est vraiment fou ? »
– « Je me pose la même question. Sinon, pourquoi diable se mettrait-il si soudainement à danser avec son épée ? »
Sur tous les visages n’était visible que de la confusion.
La plupart venait de milieux privilégiés, et beaucoup avaient eu la chance de voir toutes sortes de techniques de peinture de grands Maîtres Peintres. Certains préféraient une approche raffinée, d’autres une technique plus libre. Certains lâchaient la bride à leurs émotions, d’autres peignaient calmement, dignement.
Par exemple, chaque coup de pinceau de Zhang Ziqing était élégant, et la voir travailler était un régal pour les yeux. De son côté, ce jeune homme dansait sauvagement comme s’il avait le feu aux fesses. Et pour ne rien arranger, il ne laissait pas la moindre trace sur sa pierre ! N’était-il là que pour amuser la galerie ?
Même son adversaire ne put s’empêcher de se frotter les yeux en se demandant si elle voyait des choses.
A peine quelques instants plus tôt, il avait déclaré hautainement qu’il n’avait jamais perdu le moindre défi, et tout d’un coup… Il faisait n’importe quoi !
– « J’ai terminé ! »
Tandis que tous étaient toujours en train de baigner dans l’incompréhension, le Saint Céleste expira longuement et essuya la sueur de son front, puis il renvoya son épée dans son anneau de stockage.
Hula !
La pierre tomba sur une table non loin de là, juste à côté du tableau de Zhang Ziqing.
– « Vous avez terminé ? » s’étonna celle-ci. Elle jeta un coup d’œil au bâton d’encens qu’elle avait allumé un peu plus tôt, et il s’éteignit à ce moment précis.
Il avait réussi à finir à temps, mais… Mais Bon Dieu, que pouvait bien être ce caillou ?
Nous nous affrontions dans le domaine de la Peinture, pas de la sculpture! De plus… même si cela avait été un duel de sculpture, il faut au minimum tailler la pierre ! Chaque personne ici présente peut témoigner que son épée n’a pas touché sa cible une seule fois, alors… À quoi pense-t-il ?
Plus important encore… Tout ce qu’il a fait a été de balancer son épée au hasard pendant dix à vingt respirations… S’il n’a rien fait, comment se fait-il qu’il ait l’air si fatigué que même son visage soit devenu tout pâle ?
Même s’il veut faire semblant, il aurait pu trouver quelque chose de plus convaincant ! C’est comme s’il nous prenait tous pour des idiots !
Incapable de se contenir plus longtemps, elle cracha : « Êtes-vous certain que c’est avec ceci que vous souhaitez me défier ? Sinon, cela ne me dérange pas de vous laisser plus de temps ! »
Puisqu’elle avait lancé un duel au jeune homme, elle n’accepterait une victoire que s’il faisait de son mieux. S’il avait eu un problème cette dernière heure, cela ne la dérangeait pas de lui donner une autre chance de montrer ses véritables capacités.
– « Ce n’est pas nécessaire, j’ai fini de peindre, » répondit Zhang Xuan avec un petit rire. « Nous devrions laisser le Miroir de Wu Dao juger notre travail maintenant. »
– « Vous êtes sérieux ? » En le voyant si enthousiaste, elle ne put s’empêcher de frémir.
Tout ce qu’il a fait, c’est de poser une pierre arrachée au sol sur la table ! Même s’il a balancé son épée comme un taré pendant tout ce temps, il n’a pas laissé la moindre marque dessus. Pense-t-il sincèrement que son caillou vaut ma Peinture du 8ème niveau ?
J’ai envie de lui ouvrir le crâne pour voir d’où vient sa confiance !
– « Je suis on ne peut plus sérieux. Bien sûr, si vous admettez la défaite, nous pouvons simplement passer cette étape. »
– « Admettre la défaite ? » Zhang Ziqing faillit éclater de rire.
Il veut que j’admette ma défaite devant une simple pierre ?
Il doit avoir oublié sa camisole quelque part ! N’a-t-il donc pas pris son médicament aujourd’hui ?
– « Eh oui ! Vous avez dû voir de vos propres yeux les efforts que j’ai déployés pour réaliser ce chef-d’œuvre. Je pense qu’il m’est impossible d’en produire un second dans un court laps de temps ! » renchérit Zhang Xuan d’un air solennel. Il regarda au loin. La solitude d’un homme qui se tenait au sommet du monde se reflétait dans ses yeux.
– « Des efforts ? »
– « Un chef-d’œuvre ? »
Les spectateurs faillirent tomber à la renverse en l’entendant.
Le jeune homme n’avait même pas laissé la moindre entaille sur la pierre, de sorte qu’il n’avait pas fait voler un minuscule éclat. Si cela pouvait être considéré comme un chef-d’œuvre, alors même un chien pouvait être appelé un Maître Peintre !
Et il avait encore le culot de parler de ses efforts… Quelle blague !
Le voyant toujours aussi convaincu, Zhang Ziqing en fut irritée. « Êtes-vous sûr d’en appeler au Miroir de Wu Dao ? »
– « J’en suis sûr ! » D’un geste de la main, il prit la disposition d’un expert.
– « Très bien… Si cela peut vous faire plaisir ! »
Glaciale, la jeune femme convoqua le Miroir de Wu Dao. Elle tendit un doigt en avant et en tapota légèrement la surface. Un rayon de lumière en sortit immédiatement.
– « La Cadette Zhang Ziqing prie le Miroir de Wu Dao de nous aider à évaluer les Peintures que nous avons devant nous ! »
Hu la!
En un instant, l’artefact prit vie. Il dégagea un éclat aux couleurs de l’arc-en-ciel, qui enveloppa rapidement le Papier Héritage.
Un court instant plus tard, une voix monta depuis le Miroir.
– « Peinture Bambou. Les pousses sont imprégnés du souffle de vie, et une brise murmure au milieu de la montagne, plaçant ainsi la Peinture en harmonie avec la nature. Ni sobre ni chargé. Un chef-d’œuvre rare du 8ème niveau ! »
En entendant le jugement, Zhang Ziqing poussa un soupir de soulagement et de la fierté apparut sur son visage.
Le fait qu’elle eût reçu une telle appréciation du Miroir signifiait que même si cette œuvre n’était pas au niveau de son “Portrait en Marchant dans la Neige l’Hiver”, elle n’était pas très loin derrière.
Ainsi, convaincue de sa victoire, elle lança un regard hautain à son adversaire. « Peuh ! Je me demande comment le Miroir de Wu Dao jugera votre travail ! »
Tzzzzz!
L’artefact passa à la pierre sur la table.
Tout à coup, il s’arrêta un court instant avant de reprendre.
Et comme s’il ne pouvait pas percevoir complètement l’œuvre d’art, il recommença pour la troisième fois.
Il s’arrêta enfin. « Cette Peinture est vraiment un chef-d’œuvre unique en son genre. Par la présente, je la déclare supérieure à la précédente ! »
– « Quoi ? » Zhang Ziqing tituba, ses yeux sortant presque de leurs orbites. Elle ne put s’empêcher de se demander si elle entendait des choses. Pourquoi le Miroir avait-il prononcé quelque chose d’incompréhensible ?
Cette pierre minable venait d’être ramassée par terre. Comment diable pouvait-elle être un “chef-d’œuvre unique en son genre” ?
– « … Qu’est-ce qu’il vient de se passer ? » Zhang Wuchen et les autres étaient tout aussi abasourdis.