Il fallut beaucoup de temps au Doyen Mo pour réussir à se débarrasser complètement du cactus sur sa tête. Les deux Éveilleurs d’Esprit 9 étoiles jetèrent un œil aux nombreuses sculptures restantes, vacillant légèrement de peur et d’appréhension.
Ils avaient une confiance totale en leurs capacités dans l’enchantement, mais ils n’avaient jamais rencontré une chose aussi étrange. De nombreuses techniques touchant à leur art existaient dans ce monde, les esprits que chaque pratiquant pouvait créer avaient donc toujours de petites variantes, chacune ayant ses propres forces et faiblesses. Mais ceux de ces sculptures… Ils trouvaient cela difficile à croire, mais il leur semblait qu’ils étaient parfaits et sans défauts ! Peu importait comment ils s’y prendraient, l’esprit serait capable de se défendre et même de riposter !
Ils en étaient arrivés à un point où ils se sentaient presque totalement impuissants.
– « Y a-t-il un autre moyen de résoudre ce problème ? » Après avoir attendu près d’une heure sans qu’ils n’eussent détruit plus d’esprits, Zhang Wuchen ne put contenir davantage son impatience.
– « Eh bien… » Le Doyen Wu rougit immédiatement, embarrassé. Il se tourna maladroitement vers lui et s’inclina. « Troisième Doyen, je crains que nous ne soyons pas assez qualifiés pour nous charger de cette situation. Pardonnez-moi, mais puis-je demander quel maître a enchanté ces sculptures ? »
– « C’est… un épéiste du Sanctuaire des Sages, Zhang Xuan ! »
– « Zhang Xuan ? » Les deux Éveilleurs d’Esprit échangèrent un regard. Ils virent la confusion dans leurs yeux.
Ils connaissaient quelques professionnels extraordinairement talentueux, mais ils n’avaient jamais entendu parler de cet individu !
De plus… Un épéiste ? C’était une blague ?
– « Son enchantement diffère grandement du style que nous avons appris et j’ai bien peur que nous ne puissions pas vous aider. Si je peux me permettre une suggestion, pourquoi ne pas mandater cet homme ? Il est très probablement le seul à pouvoir arrêter toutes ces statues. »
Si même des Éveilleurs d’Esprit 9 étoiles comme eux étaient impuissants, alors seul celui qui était à l’origine des esprits en question avait la capacité de s’en occuper.
Toutefois, en entendant ces mots, le Troisième Doyen ne put s’empêcher de se pincer le nez.
Dire que le noble Clan Zhang était incapable de résoudre le problème posé par un jeune homme ! Si la nouvelle se répandait qu’ils avaient dû supplier un étranger de venir à leur rescousse, cela porterait certainement atteinte à leur réputation.
Mais cela aurait été pire s’ils permettaient aux sculptures de continuer.
– « Wuzhen, ouvrez la voie… » soupira-t-il, résigné à l’inévitable.
Sachant à quel point la situation était grave, il s’exécuta aussitôt. Le Troisième Doyen le suivit, et après un moment d’hésitation, les Doyens Wu et Mo décidèrent de leur emboîter le pas.
Ils étaient curieux de voir à quoi ressemblait l’homme qui avait été capable d’enchanter un esprit si puissant que même eux ne pouvaient rien faire.
– « Le Maître Enseignant Zhang et Jian Qinsheng sont venus ici pour défier le Clan au maniement de l’épée, ils résident donc dans les appartements des concurrents, » expliqua le Septième Doyen.
D’innombrables visiteurs venaient au Clan Zhang tous les jours. Certains pour le défier, d’autres par pure courtoisie… Afin de mieux s’occuper de chaque cas, ils étaient accueillis dans des quartiers différents, classés selon leurs mobiles.
Et puisque Jian Qinsheng avait un différend avec leur Maître de Clan, il allait sans dire que l’endroit où il avait été installé était un logement pour concurrent.
Beaucoup d’autres experts étaient alors leurs voisins temporaires, et leurs domaines de spécialité variaient. Arts de l’épée, de la lance, du sabre, du poing, de la paume, etc. Peu importait le thème, il y avait forcément quelqu’un de présent pour un défi. Et bien sûr, toutes les professions étaient représentées.
– « Vite, allons voir ! Quelqu’un défie Zhang Ziqing ! »
– « Zhang Ziqing ? Vous voulez parlez de cette jeune et talentueuse femme, la Peintre de génie du Clan Zhang ? »
– « Oui ! Elle a commencé à peindre à l’âge de 3 ans. À 7 ans, elle a atteint l’Imprégnation des Intentions, la Vraisemblance Époustouflante à 9 ans, la Sagesse Spirituelle à 12 ans, l’Image en Suspension à 15 ans, et alors qu’elle n’a que 18 ans cette année, et elle est déjà capable de peindre à l’Appel Éclatant ! Même le Maître de la Guilde des Peintures ne tarit pas d’éloges, pour elle. Il la considère comme le plus grand Peintre de génie vu ces quelques derniers milliers d’années… En plus de cela, elle est douée à la cithare et aux échecs. Qui est assez fou pour la défier ? »
– « Je ne sais pas trop, mais je crois qu’il s’agit d’un invité nommé “Zhang Xuan”. J’ai entendu dire que plusieurs personnes lui vantaient les peintures de Zhang Ziqing, et qu’il est donc allé voir ce qu’il en était. On dit qu’il n’a pas mâché ses mots, ce qui a provoqué sa colère, menant finalement à ce défi ! »
– « Et qu’aurait-il dit ? »
– « Que ses bases étaient nazes, et qu’il pouvait lui apprendre à tenir un pinceau. Elle est la meilleure du Clan Zhang, elle a naturellement été irritée par ce genre… »
Tandis que Zhang Wuchen avançait, il entendait les gens commenter la situation avec animation.
Ils étaient venus pour demander l’aide de Zhang Xuan. Et le jeune homme se retrouvait impliqué dans un nouveau désordre alors que la question des sculptures n’avait pas encore été réglée !
Suivant la foule, ils virent rapidement le jeune homme au milieu d’une place. Jian Qinsheng se tenait en retrait, les mains sur le visage, l’air plongé dans une immense détresse. Quant à l’autre vedette de la scène, Zhang Ziqing, elle fixait le prodige en tremblant de rage, le visage rouge.
– « Vous souhaitez me défier en Peinture ? » Zhang Xuan fronça les sourcils. « Et pourquoi accepterais-je ? Si je n’ai rien à gagner, je n’ai aucun intérêt à perdre mon temps avec une parfaite inconnue. »
Il avait entendu dire que beaucoup faisaient la queue pour voir le travail de cette jeune femme, il s’était donc approché dans l’espoir de découvrir quelque chose qui pourrait l’étonner. Mais après avoir regardé de plus près ses œuvres, il n’avait pu s’empêcher de secouer la tête, déçu.
Certes, elle était surprenament jeune pour avoir pu atteindre l’Appel Éclatant, mais en même temps, c’était précisément son manque d’expérience qui rendait sa conceptualisation immature à l’extrême. Son expression des émotions était donc plutôt forcée, et même maladroite.
Les plus beaux poèmes, ceux qui transcendaient le temps, étaient basés à partir de la vie et des émotions de l’artiste. Seule l’expérience personnelle permettait de véritablement créer une œuvre si vivante que d’autres pouvaient s’y retrouver, lui conférant ainsi de la profondeur et une grande longévité. Quant à ceux qui ne s’appuyaient que sur leur imagination, ils ne développaient pas correctement les sensations. Inévitablement, leur conceptualisation était incomplète.
Si cela avait été n’importe qui d’autre, vu qu’il aimait la discrétion, il n’aurait même pas pris la peine d’ouvrir la bouche. Mais devant un génie du Clan Zhang, il n’avait pas su résister à la tentation de donner quelques commentaires.
Qui aurait cru qu’elle se déchaînerait ainsi ?
– « Vous… » Zhang Ziqing le fixa si intensément qu’elle donnait presque l’impression de vouloir le tuer avec ses yeux.
Elle trouvait ce jeune homme tout bonnement exaspérant. Elle trouvait déjà irritant qu’il qualifiât son travail de “naze”, mais qu’en plus il affirmât qu’elle était une parfaite inconnue ?
Moi, Zhang Ziqing, je suis célèbre même à la Guilde des Peintres ! Tous dans la haute me connaissent… Qui pense-t-il être ?
Il ne se battra pas sans enjeu ? A-t-il seulement le droit de demander quelque chose ?
– « Très bien ! Cette toile est nommée Portrait en Marchant dans la Neige l’Hiver. C’est un chef-d’œuvre que j’ai peint l’année dernière. Si vous pouvez me battre, elle est à vous ! » Bien qu’en colère, elle comprenait que cet homme partirait si elle refusait de placer son pari.
Ainsi, elle fit un mouvement brusque du poignet et fit apparaître un parchemin dans ses mains.
Lorsqu’elle le déroula, un monde de neige et de froid se matérialisa devant elle. Les observateurs eurent l’impression de pouvoir être capturés dans une prison infinie et glacée au premier regard.
De nombreuses exclamations choquées s’élevèrent en la voyant miser cette oeuvre, puis des regards envieux apparurent çà et là.
– « Pour que Ziqing aille jusque-là, elle est vraiment en colère cette fois-ci ! » déclara Zhang Wuchen.
– « Tout à fait. C’est une peinture unique et c’est celle qu’elle aime le plus, elle l’a toujours considérée comme sa meilleure production. Un jour, le Maître de la Guilde des Peintres lui a offert 50 pierres spirituelles de dernier niveau pour l’obtenir, mais elle a refusé de la lui vendre ! » renchérit Zhang Wuzhen.
Elle l’avait peinte alors qu’elle était inspirée et dans les meilleures conditions imaginables. Dieu savait quand elle serait capable de créer à nouveau pareil chef-d’œuvre. Ainsi, elle la chérissait comme s’il s’agissait de son enfant, si bien que même les Doyens du Clan Zhang n’avaient guère de chances de l’apercevoir. Et pourtant, elle s’en servait dans un pari… Elle était réellement en pétard.
– « Mais quelle radine! » Zhang Xuan s’était demandé ce que Zhang Ziqing allait miser. Quand il vit que ce n’était qu’une Peinture, il ne put s’empêcher de secouer la tête. « Ne trouvez-vous pas embarrassant qu’un génie du Clan Zhang essaye de m’arnaquer avec un torchon de ce genre ? Faisons ainsi. Si vous perdez, vous devrez me donner une pierre spirituelle de dernier niveau ! »
– « Une pierre spirituelle de dernier niveau ? » La demoiselle serra les poings. « Vous avez bien dit “une” ? »
– « Ouais. » Il hocha la tête avec nonchalance.
Pour lui, rien n’avait plus de valeur que les pierres spirituelles. Une simple peinture… Il pouvait en produire à volonté, il n’était donc pas intéressé.