Depuis quelques temps, Joël menait une vie très agréable.
Le Roi de l’Aube n’était toujours pas rétabli et le Prince Roland semblait l’avoir oublié. Seuls les nobles prêtaient attention à cet Ambassadeur d’un pays voisin.
Il assistait à des banquets extravagants et se livrait à toutes sortes de plaisirs en compagnie de Denise qui lui avait même fait découvrir des cercles fermés et des maisons closes. Jamais, à Graycastle, il n’aurait pu profiter de telles richesses aux saveurs uniques.
Jamais il n’aurait mené une telle vie sans son titre d’Ambassadeur du Roi Wimbledon.
À rang égal, il possédait, à certains égards, plus d’avantages qu’un Comte qui n’était libre d’agir à sa guise que dans son propre fief tandis que lui jouissait des privilèges de la haute noblesse dans tout le royaume où il se rendait.
Il commençait à entrevoir tous les avantages liés à ce statut.
Hill Fawkes, le garde du corps que Sa Majesté lui avait affecté, était lui aussi très spécial.
À chaque fois que Joël entrait pour la première fois en contact avec quelqu’un, Hill se faufilait dans la chambre de cette personne durant trois nuits suivantes consécutives et rapportait à l’ambassadeur son identité, son statut et ses centres d’intérêt. S’il s’agissait de quelqu’un d’important, il était en mesure de découvrir pratiquement tout sur sa vie, y compris ses loisirs. Grâce à Hill, Joël pouvait s’intégrer encore plus facilement à la communauté noble de la capitale.
Par ailleurs, les arrangements de Hill lui avaient permis de faire des progrès considérables concernant son projet d’achat d’esclaves.
Un jour, après une nuit passée avec Denise, il avait évoqué ce projet qu’elle avait aussitôt agréé. Il utiliserait la caravane existante pour ouvrir une route commerciale et achèterait à des trafiquants d’esclaves les réfugiés requis par Sa Majesté. Ceux-ci seraient ensuite acheminés vers Graycastle. Il avait reçu pour ordre de traiter ces gens comme des hommes libres et non comme des biens destinés à la revente.
Mais un commerçant reste un commerçant et même en plein moment de plaisir, il n’oublie jamais de négocier le prix. Denise ne lui facturerait pas de commission cependant Joël devrait couvrir tous les frais de transport. Après avoir additionné les coûts de main-d’œuvre, les frais de repas, de véhicule, de chevaux et fixé le bénéfice souhaité, il évalua le prix de vente de chaque esclave à dix Royals.
Lorsque Hill lui avait confié cette tâche, il avait accepté en proclamant que plus jamais il ne permettrait qu’une personne de talent devienne un esclave, dût-il la payer plus cher. Son attitude avait sans doute contribué à renforcer l’attirance que Denise avait pour lui. Ayant conclu cette brève négociation, tous deux retournèrent à leurs ébats passionnés.
Dans les jours qui suivirent, Joël envoya Hill négocier avec les autres parties impliquées pour ne pas avoir à s’occuper lui-même de ces questions triviales.
Quelques jours plus tard, il apprit que le premier groupe de vingt-cinq esclaves achetés la veille était déjà en route. Il allait bientôt pouvoir toucher les cent vingt-cinq Royals d’argent que Sa Majesté lui avait promis à titre de gratification.
« Je n’aurais jamais pensé pouvoir trouver un emploi où je puisse gagner de l’argent tout en restant dans mon lit. Le métier d’Ambassadeur est vraiment formidable! » Pensait-il.
Alors que Joël se demandait où il allait bien pouvoir s’amuser ce jour-là, un domestique frappa à la porte :
– « Votre Excellence, le fils aîné de la famille Luoxi, le Seigneur Otto, souhaite vous rencontrer. »
Otto Luoxi ? Joël connaissait ce nom. Les Luoxi étaient l’une des trois familles les plus puissantes de la capitale du Royaume de l’Aube et la seconde après la famille royale Misra. Denise l’avait même averti qu’il était libre de courtiser n’importe quelle femme à l’exception de celles appartenant à ces trois familles, en particulier la famille Quinn faute de quoi son statut d’ambassadeur ne suffirait pas à la protéger.
Joël n’avait aucune inquiétude à avoir car il s’était toujours montré extrêmement prudent pour ce qui est de ses amours.
« Peut-être est-il venu m’inviter à un banquet ? » Pensa-t-il.
– « Faites-le entrer. »
Un jeune homme fit irruption dans son bureau. Il jeta un coup d’œil autour de lui puis, après avoir fermé les fenêtres, s’assit sur le siège qui lui était destiné.
Il paraissait un peu inquiet et à en juger par ses yeux cernés, il n’avait pas dû dormir beaucoup la nuit dernière.
Joël était contre les excès dans le plaisir. Il pensait que la sobriété dans le plaisir sexuel était bénéfique aux deux partenaires qui restaient heureux et en bonne santé. En revanche, épuiser toute son énergie au lit finirait, sur le long terme, par nuire à son potentiel physique. Le Prince Alban en était le parfait exemple. Il n’avait pas bonne mine du tout et s’il ne changeait pas ses habitudes, lorsqu’il atteindrait trente ans, il ne serait plus en mesure de rechercher le plaisir.
À la grande surprise de l’ambassadeur, le jeune homme resta longuement silencieux. Ce n’était guère courtois, surtout venant d’un membre de l’une des trois familles. Il attendit un moment et prit l’initiative de rompre le silence.
– « Bonjour, vous êtes sans doute le Seigneur Otto Luoxi. Que me vaut le… »
– « Vous pouvez contacter Sa Majesté Roland Wimbledon, n’est-ce pas ? », coupa soudain le jeune homme. « J’ai quelque chose d’important à lui communiquer. »
– « Et… quelle est-cette information ? » Demanda Joël, perplexe.
– « Tout est écrit ici », répondit Otto en déposant devant l’ambassadeur une lettre accompagnée de dix Royals d’or. « Cet argent est pour le service rendu. Je vous en prie, assurez-vous que cette lettre parvienne à votre Roi. Il en va de la survie du Royaume de Graycastle! »
Joël prit une grande bouffé d’air frais. « La survie du Royaume de Graycastle ? Il exagère, sans doute. » Cependant, Otto continuant à la fixer avec des yeux brillants, il rassembla ses esprits et répondit :
– « Je comprends. Ne vous inquiétez pas, je la remettrai à Sa Majesté. »
– « S’il vous plaît, faites-le au plus vite », insista Otto avant de se lever pour quitter la pièce.
À voir son attitude anxieuse, il était évident qu’il ne mentait pas.
Joël empocha rapidement les dix Royals d’or mais ne toucha pas à la lettre. Conscient que cette affaire requérait de la prudence, il préférait auparavant demander conseil à Hill.
À la nuit tombée, lorsque Hill Fawkes entra dans sa chambre, Joël lui fit le récit de ce qui s’était passé durant la journée.
Hill réfléchit un moment puis prenant un petit couteau, il ouvrit soigneusement la lettre.
– « Que faites-vous ?! » S’écria l’ambassadeur stupéfait. « C’est une grave offense que d’ouvrir une lettre destinée à Sa Majesté! »
Hill lui fit signe de se taire.
– « Chut. Si l’information est vraiment aussi grave qu’il le prétend, nous aurions grand tort de recourir à des moyens conventionnels pour faire parvenir cette lettre au Roi. Il faudrait au moins un mois à un messager pour se rendre de la Cité de L’Aurore à la Région de l’Ouest et en route, tout peut arriver. Ce serait beaucoup trop risqué. »
– « Cela ne m’explique pas pourquoi vous l’avez ouverte. »
– « Vous souvenez-vous des faucons gris que j’ai élevés ? Ce sont les plus rapides de tous les courriers : ils atteindront la Cité de l’Aurore dans deux ou trois jours », expliqua Hill. « Une fois là-bas, un autre groupe de faucons prendra le relais et dans une semaine, Sa Majesté la recevra en mains propres. Mais comme les oiseaux ne sont pas en mesure de porter une enveloppe aussi grande, je vais la lire et en recopier le contenu sous forme de lettre secrète. »
– « Parce que les faucons gris sont capables d’envoyer des lettres comme des pigeons voyageurs ? » S’exclama Joël, fort surpris : « Je pensais que vous les aviez élevés pour la chasse. »
– « Ils sont beaucoup plus intelligents que les pigeons », souligna Hill.
Sur ce, il ouvrit la lettre et très vite, son visage s’assombrit.
– « Qui aurait pu penser qu’une telle chose se produirait… »
– « Que dit la lettre ? »
– « Vous tenez vraiment à le savoir ? » Demanda Hill en tournant la tête vers lui.
– « Laissez tomber », répondit Joël en toussotant. « Je préférerais bien dormir ce soir. »
– « Excellente décision » Approuva Hill. « Par ailleurs, mieux vaut ne parler à personne de votre entrevue avec Otto Luoxi. Il serait préférable, dans l’immédiat, de reporter ou annuler toutes les réceptions prévues au Palais. » Il marqua une brève pause avant d’avouer : « Ils ont de graves ennuis. »