Le rôle d’Anna était vraiment à part.

Elle ne commença à s’entraîner avec le Sceau de la Divine Volonté que lorsque toutes eurent totalement assimilé le processus de chasse.

Ivy, qui ne connaissait pas les capacités du Sceau, s’aperçut que toutes les sorcières étaient très excitées à l’idée de l’exercice qui allait avoir lieu.

Etait-ce parce qu’elles avaient rarement l’occasion d’assister à une démonstration des capacités d’Anna ?

La jeune fille sentit grandir sa curiosité.

Elle regarda Anna se promener au milieu du champ, une étrange plaque de métal dans les mains.

Celle-ci ne ressemblait en rien à une sorcière de combat. Son regard paisible évoquait l’eau cristalline d’un lac. À en croire ses gestes et sa façon de marcher, il était évident qu’elle n’avait jamais participé à un combat à mort.

Ivy était très intriguée par la plaque de métal. De la taille d’une paume, elle était parfaitement plate des deux côtés et des pierres précieuses scintillantes y étaient incrustées. Cet objet ne ressemblait pas du tout à une arme.

Ayesha fit un geste en direction de la Forêt aux Secrets :

– « Lâchez les ballons! » Ordonna-t-elle.

Quelques secondes plus tard, plusieurs ballons colorés s’élevèrent de la voûte forestière et montèrent haut dans le ciel.

– « Allez-y, abattez-les! »

« Mais… ils sont beaucoup trop loin! », pensa Ivy. « La distance séparant le champ de la lisière de la forêt est d’au moins 250 mètres! Anna ne peut pas voler, comment pourrait-elle les atteindre ? À moins qu’elle ne soit en mesure de transcender les limites habituelles de sa capacité et d’envoyer des effets magiques dans le ciel ? »

Anna fit un signe de tête à l’adresse d’Ayesha. Elle leva la plaque de métal et la pointa en direction des ballons.

C’est alors qu’Ivy assista à un spectacle incroyable.

Une lumière éblouissante jaillit simultanément des quatre pierres précieuses. En une fraction de seconde, la plaque de métal prit l’apparence de l’or. On entendit des claquements de tonnerre dans le ciel clair tandis que des rayons de lumière s’entrelaçaient dans les nuages et se projetaient dans les airs. On aurait dit qu’un nouveau soleil venait de naître.  

Avait-elle le pouvoir de contrôler le ciel ?

Avant même que l’assistance n’ait eu le temps de s’exclamer, un rayon de lumière dorée, aveuglante, jaillit des mains d’Anna en direction des ballons. Dans le ciel, les rayons de lumière étaient à ses ordres et aussitôt, on put voir des éclairs circuler tout au long de la traînée de lumière dorée et balayer violemment l’emplacement des cibles.

On aurait dit une punition du ciel. Seul Dieu aurait pu ordonner une telle chose! Ivy avait l’impression que les rugissements assourdissants venaient de tout près. Les rayons lumineux ayant disparu, sa tête bourdonnait encore et il lui fallut un moment pour se remettre.  

« Quelle est donc cette incroyable capacité ? »

Tandis qu’elle regardait le ciel désert au-dessus de la forêt, Ivy se mit à trembler.

« Toutes les sorcières de combat de l’Association du Croc Sanguinaire auraient beau se réunir, jamais elles ne seraient en mesure de générer une telle puissance. Comment a-t-elle fait ? Est-ce un effet de ses capacités ou provient-il de cette plaque de métal ? »

Face à une démonstration de force comme celle-ci, que les ennemis soient les bêtes sauvages mentionnées par Heidi Morgan ou un simple troupeau de moutons ne ferait aucune différence.

Ivy se rappela soudain les paroles de Roland.

« Serait-ce là la puissance des Sorcières Senior ? »

En vérité, c’était aussi la première fois que Roland assistait à une démonstration de la pleine puissance du Sceau de la Divine Volonté.

De toute évidence, le rayon de lumière initial indiquait la direction à suivre aux éclairs dorés. De plus, le tonnerre n’avait frappé pour la première fois qu’à la lisière de la forêt, ce qui laissait à penser que la personne qui utilisait le Sceau était en mesure de le contrôler de sorte qu’il ne se divise qu’à proximité des ennemis.  

Roland s’était également aperçu que les rayons lumineux, pas plus larges que le bras au moment où ils étaient émis, prenaient ensuite l’apparence d’un éventail, leur portée étant d’une cinquantaine de mètres. À l’époque des armes blanches, il s’agissait sans aucun doute d’une arme de destruction massive apocalyptique.

Roland regarda Rossignol :

– « Tous ces rayons lumineux ont-ils été créés par le pouvoir magique ? »

– « Je suppose que oui… » Répondit celle-ci, hésitante.  

– « Vous supposez ? »

– « Depuis mon brouillard, j’ai vu, en effet, une vague de magie s’affoler, mais… » Son regard reflétait la perplexité : « Je n’avais encore jamais vu un pouvoir magique de cette couleur. »

– « Pourriez-vous préciser ? »

– « Il est Noir. Où devrais-je dire transparent ? » Rossignol fronça les sourcils : « Il s’apparente fort aux trous noirs que j’observe en présence de Pierres du Châtiment Divin. »

Roland frissonna. « Comment est-il possible que la couleur du pouvoir magique d’un Sceau aussi brillant que l’or soit noire dans son monde de brouillard ? Les caractéristiques des Pierres Magiques seraient-elles identiques, ou du moins similaires, à celles de la Pierre du Châtiment Divin ? » Roland était plongé dans ses pensées lorsque soudain, une idée lui traversa l’esprit : « Il doit exister un lien entre les Pierres Magiques et les Pierres du Châtiment Divin. »

Il tenait là le début d’une théorie plutôt audacieuse.

De retour à son bureau, il fit appeler Ayesha.

– « Combien  de fois votre  peuple a-t-il fait des recherches sur le Sceau de la Divine Volonté ? »

– « Très peu », répondit-elle, « et je vous ai déjà fait part de tout ce que nous avions découvert. Après tout, seuls nos chefs étaient en mesure d’activer ce type de Sceau. Etant donné l’importance de leurs pouvoirs magiques au cours de nos combats, elles ne pouvaient se permettre de le dilapider pour ce type d’expérience. » Puis, intriguée, elle demanda : « Pourquoi ? Quelque chose ne va pas ? »

– « Un jour, vous m’avez dit que le Sceau était capable de pénétrer les défenses de la Pierre du Châtiment Divin. Est-ce exact ? »

– « Pas systématiquement. Cela dépend de la qualité de la pierre en question. »

– « N’avez-vous jamais observé les caractéristiques du pouvoir magique du Sceau de la Divine Volonté ? » Demanda doucement Roland. « Dans la Brume de Rossignol, les foudres magiques générées par le Sceau ont la même couleur que la Pierre du Châtiment Divin. »

– « Non… nous avions certainement dû faire cette expérience auparavant, ne serait-ce que pour consigner les caractéristiques du pouvoir magique, cependant, lorsque le Sceau était activé, la Pierre de Mesure perdait ses fonctions d’observation. Comme de surcroît nos chefs ne pouvaient pas nous rendre visite tous les jours, nous nous sommes contentées de consigner la couleur observée, c’est-à-dire l’or. »

Ayesha battit des paupières. « Un instant! Vous dites que son apparence est la même que celle de la zone d’interférence de la Pierre du Châtiment Divin ? »

– « En effet », répondit calmement Roland. « J’ai une théorie selon laquelle la Pierre du Châtiment Divin ne créerait pas de trous noirs neutralisant le pouvoir magique. Au contraire, elle contiendrait une si grande quantité de magie que cela affecterait et annihilerait les effets de la magie environnante.  Lorsque le Sceau de la Divine Volonté est activé, la Pierre de Mesure perd son efficacité car il se crée une zone d’interférence similaire à celui généré par la Pierre du Châtiment Divin.

– « Mais le stagiaire chargé d’observer le pouvoir magique a explicitement dit que… ». Arrivée au milieu de sa phrase, Ayesha s’interrompit brusquement.

– « Son observation a été obstruée par la lumière éblouissante émise par le Sceau, tout comme la lumière l’emporte sur l’ombre », répondit vivement Roland. « Dans l’univers brumeux de Rossignol, seul le pouvoir magique est en couleur. Elle peut même regarder le soleil sans en être affectée. Cela explique que vous n’ayez pas pu faire cette découverte. »

L’observation du pouvoir magique était une compétence dérivée, limitée par le niveau visuel propre à chaque sorcière. De plus, selon qu’une observation avait lieu le jour ou la nuit, elle aboutirait à des conclusions différentes. Sylvie était largement en mesure de le prouver, son Œil Magique lui permettant de déceler tout activité magique sur plusieurs kilomètres, ce qui était de loin supérieur au champ de détection de Rossignol.

C’est pourquoi la Société de Recherches se fiait aux résultats obtenus par la Pierre de Mesure. Sa précision ne dépendait ni de l’opérateur, ni de l’environnement, par conséquent, elle fournissait une évaluation globale très précise du pouvoir magique en question. C’était presque aussi pratique que d’observer depuis l’univers de brume de Rossignol. De ce fait, la Société de Recherches ne prenait en compte les conclusions de l’observateur que lorsque la Pierre de Mesure n’avait pas fonctionné.