– « L’eau de la Crête de Mer s’écoule pour faire monter l’eau du niveau inférieur ? Comment est-ce possible ? »
Tilly réfléchit un moment. « À marée basse, l’eau va-t-elle refluer ? »
– « Bonne question », répondit Tonnerre tout excité en serrant les poings. « Par la suite, ma flotte est restée près de la Crête de Mer durant deux semaines, jusqu’à ce que la marée retombe et durant ce temps, nous avons essayé par tous les moyens possibles de traverser la Crête. C’était elle le plus étonnant. Avez-vous déjà ressenti cette impression ? Vu de l’extérieur, c’était comme si nous étions sur le flanc d’une falaise, nos voiles parallèles à l’océan, prêts à tomber à tout instant. Mais sur le bateau, nous n’avions pas cette sensation. On aurait dit que le Courage naviguait sur une étroite rivière avec d’un côté cet immense mur d’eau de mer et de l’autre le ciel à perte de vue. Bien sûr, nous devions attendre que l’eau ralentisse, faute de quoi le Serviteur Magique n’aurait pas pu protéger le bateau. »
– « C’est totalement irrationnel. », En proie à la plus totale confusion, Tilly se dit que si n’importe quel explorateur autre que Tonnerre lui avait raconté cela, elle aurait immédiatement pensé qu’il avait tout inventé.
– « Je suis bien de votre avis, mais je préfère croire mes yeux plutôt que le bon sens. » Puis il poursuivit : « Après deux semaines, la marée a commencé à tomber. Cela s’est produit exactement au même moment où les marées montaient et descendaient dans les îles des Ombres : l’eau s’est lentement retirée et la Crête de Mer, de cent mètre de haut, est repassée à deux cents. »
– « Vous voulez dire que toute cette eau s’est purement et simplement volatilisée ? »
– « Peut-être, à moins qu’elle ne se soit écoulée ailleurs. »
– « Où pourrait-elle s’écouler ? » Dit Tilly en se frottant le front. « Les marées sont drastiques dans les îles des Ombres, beaucoup plus calmes dans les îles des Fjords et pratiquement inexistantes sur les rives des Quatre Royaumes. Si l’eau ne disparaît pas, de quoi s’agit-il alors ? »
Tonnerre indiqua le sol.
Elle soupira.
– « Je me souviens que vous avez dit un jour que le niveau de la mer dans la zone des Ombres chutait très rapidement, un peu comme s’il y avait un trou géant en son fond. Cependant, quelle que soit la taille de ce trou, il devrait être rempli au bout de quelques années. »
– « Je ne fais que supposer, car personne n’a vraiment vu à quoi ressemble le fond de l’océan …cependant, une chose m’intrigue. »
– « Laquelle ? »
– « Pourquoi l’océan qui nous entoure est-il appelé la Mer Tourbillonnante ? »
Soudain, une pensée traversa l’esprit de Tilly et son cœur manqua un battement. Elle secoua la tête en disant :
– « C’est impossible et complètement fou. Si une caverne souterraine expulsait l’eau pour créer un tourbillon, ne l’aurions-nous pas remarquée ? Ce nom existe depuis des centaines d’années, alors qui sait ce que nos ancêtres avaient en tête ? »
– « En effet, j’ai réalisé une expérience simple et découvert que l’eau devait être peu profonde pour que le tourbillon soit visible mais nous n’avons pas la possibilité de voir le fond de l’océan. » Tonnerre sourit : « Cependant, rien ne nous dit que les sorcières ne le peuvent pas. Je n’y avais jamais pensé auparavant mais lorsque vous avez dit qu’il y a 400 ans, la terre était gouvernée par les sorcières, j’ai pensé que c’était probablement depuis cette époque que cette mer portait ce nom. »
– « Je suis moi-même une sorcière », répondit Tilly, « et sur l’Île Dormante, je n’en connais aucune qui soit en mesure de le faire. »
– « Je connais quelqu’un qui pourrait. »
– « Pardon ? »
– « Cette sorcière vit dans les Fjords mais voilà des années qu’elle n’a pas eu de contact humain… » Tonnerre soupira : « C’était une amie intime d’un membre de mon équipe, un de mes meilleurs assistants. Après son éveil, lorsqu’elle est devenues sorcière, elle a quitté le continent pour toujours. À présent, on peut entendre son chant mélodieux lorsque la brume se couche sur la mer. Vous avez probablement déjà entendu parler d’elle… »
– « Faites-vous allusion à la légende de la sirène qui guide les navires ? »
– « Tout à fait », acquiesça le marin. « Même si je ne suis pas certain qu’elle acceptera de m’aider, cela vaut la peine d’essayer. Je vais peut-être avoir besoin de l’aide de ma vieille amie Margaret. »
– « Je vois. Dans ce cas, il faut vous dépêcher », dit Tilly en fronçant les sourcils. « Je pense que les marchands des Fjords ont dans l’idée de chasser les sirènes… Il y a un mois, les Sortilèges de l’Île Dormante ont reçu plusieurs offres pour les capturer. Honey m’a envoyé un pigeon voyageur pour m’en informer, mais j’ai refusé. »
– « Leur chant est symbole de paix et de sécurité pour les marins et les explorateurs des fjords. Ces marchands ont perdu la tête . Pourriez-vous me dire qui ils sont ? » Demanda calmement Tonnerre.
– « En principe, les Sortilèges de l’Île Dormante ne révèlent pas l’identité de leurs clients cependant… » De son doigt, la Princesse écrivit quelques noms dans les airs : « Je ne vous ai rien dit. »
En tant que sorcière et dirigeante de l’Île Dormante, elle ne pouvait rester ainsi les bras croisés.
– « Entendu », répondit-il en souriant. « Ils auront ce qu’ils méritent. »
Ils échangèrent un sourire.
– « Je suis venu vous parler de mes nouvelles aventures. D’ailleurs, je voudrais vous demander une faveur. »
– « Je vous écoute. »
– « J’ai entendu dire que la Baie du Croissant de Lune disposait d’un nouveau type de bateau qui n’est pas alimenté par le vent mais peut naviguer beaucoup plus vite que les voiliers. Selon mes sources, ce type de bateau aurait été fabriqué à Border Town », dit Tonnerre. « Si je veux continuer à explorer la Crête de Mer, j’ai besoin d’un bateau beaucoup plus grand et plus rapide capable de résister aux courants par vents forts. » Il lui tendit une enveloppe. « L’argent n’est pas un problème, à partir du moment où les bateaux sont rapides. Pourriez-vous lui transmettre cette commande ? »
Tilly comprit aussitôt :
– « Vous ne voulez pas que Foudre l’apprenne ? »
– « Si elle vient à l’apprendre, elle insistera pour m’accompagner. Il y a trop d’inconnues dans le secteur de la Crête de Mer, c’est beaucoup trop risqué pour que je l’y emmène », répondit Tonnerre, impuissant.
« Pourtant, c’est déjà une grande exploratrice. C’est elle qui a découvert les ruines de la tour de pierre dans la Forêt aux Secrets », pensa Tilly. Cependant, elle acquiesça :
– « Je comprends. Pour un temps, je ferai le messager entre vous et Roland Wimbledon ».
– « Merci, Votre Altesse. »
Tonnerre parti, Tilly réfléchit longuement et reprit les livres anciens découverts dans les ruines des îles aux Ombres dans l’espoir d’y trouver des indices au sujet de la Crête de Mer ou les marées. Suivant la méthode qu’Ayesha lui avait enseignée, elle fit prendre à son pouvoir magique la forme des lettres et aussitôt, leur signification apparut dans son esprit. Ce n’était plus elle qui lisait mais les livres qui lui racontaient leur contenu.
Dans certains étaient consignées les expériences des écrivains sur les Terres Barbares, d’autres étaient des journaux de marins et d’autres encore relataient les projets importants de l’Union. Plus elle lisait, plus elle était perplexe. Ces livres n’avaient rien à voir l’un avec l’autre. De toute évidence, ils n’avaient pas été écrits par la même personne. À sa grande surprise, aucun d’eux ne mentionnait quoi que ce soit au sujet de la Crête de Mer, de flèches sous la mer, d’un télescope ou des Portes de Pierre Géantes. C’était totalement différent de ce à quoi la Princesse s’attendait. Elle avait espéré que si elle parvenait à décrypter le langage de l’Union, elle découvrirait certains secrets au sujet des ruines et apprendrait pourquoi dans la région des Ombres, le niveau de la mer montait si vite. Mais en réalité, elle avait l’impression d’assembler des griffonnages aléatoires.
« Un instant… assembler ? » Une idée surgit dans la tête de Tilly. Elle déploya trois des journaux de bord, les réunit et les examina attentivement. Ils avaient été écrits à des dates très éloignées, parfois à des dizaines d’années d’intervalle, et les itinéraires décrits variaient, allant des mers proches du continent jusqu’aux Fjords. C’était comme si quelqu’un avait réuni tous ces documents provenant de différentes sources et les avait placés dans les ruines.
À cette pensée, elle sentit un frisson le long de sa colonne vertébrale.
Qui aurait pu faire une telle chose ?