Deux jours après cette longue réunion, Hache-de-Fer reçut l’ordre de tester de nouvelles armes.
Le Nord-Ouest étant vulnérable aux attaques des bêtes démoniaques, le nouveau champ de tir avait été établi de l’autre côté de la rivière Redwater. Lorsque Hache-de-Fer arriva, les gardes du Prince avaient circonscrit l’endroit avec des cordes de chanvre et des drapeaux rouges. Ils avaient également installé un point de contrôle à chaque extrémité du pont d’acier, interdisant l’accès à toute personne non autorisée.
De toute évidence, Son Altesse prenait ce test très au sérieux.
Hache-de-Fer marchait à grand pas dans la neige. Tous les gardes qu’il croisait lui lancèrent un regard amical. Il ne pouvait s’empêcher de repenser à la première fois qu’il avait participé à un test pour les fusils à silex. À l’époque, comme il était originaire du Pays des Sables, les gens du Royaume de Graycastle restaient méfiants à son égard. Cela faisait cinq ans qu’il vivait à Border Town et les seules relations qu’il avait étaient avec des chasseurs vivant à proximité, ceci en raison de son expertise en matière de tir à l’arc. Au-delà des Vieux Quartiers, personne ne le connaissait.
À l’époque, il pensait rester chasseur toute sa vie et vivre en reclus dans cette ville désolée jusqu’à ce qu’il meure de vieillesse, soit tué par des bêtes démoniaques ou par l’une de ses proies. Il ne s’attendait pas à ce que Son Altesse le choisisse et lui montre le pouvoir du feu et du tonnerre. Depuis lors, sa vie s’était mise à changer à une vitesse phénoménale. Il avait d’abord combattu les bêtes démoniaques au sein de la Milice qui était ensuite devenue la Première Armée de Border Town. De chef de l’Escadron de Chasseurs, il avait été très vite promu au rang de Commandant de la Première Armée. À sa grande surprise et pour compenser son plus grand regret en cette vie, il avait rencontré Dame Drew Silvermoon, l’héritière du clan Osha, toujours dans cette ville et grâce à l’esprit ouvert et respectueux de Son Altesse à l’égard des sorcières. Enfin, il avait juré de tout son cœur allégeance à ce nouveau Seigneur qui lui avait accordé sa confiance, sa reconnaissance et transformé son destin.
Au milieu du champ de tir, Hache-de-Fer aperçut le Prince qu’il salua, le Chevalier en Chef et, chose inattendue, plusieurs sorcières de l’Île Dormante.
Il s’avança :
– « Votre Altesse, Hache-de-Fer au rapport! ».
Le prince hocha la tête :
– « Puisque tout le monde est là, nous pouvons commencer », dit-il en tendant deux longs fusils à Hache-de-Fer et Carter. « Voici l’une des armes que je viens de concevoir. Pour le moment, ce ne sont encore que des prototypes et leur nombre est limité, aussi, merci de bien vouloir les essayer tour à tour. »
Hache-de-Fer étudia soigneusement l’arme qu’il tenait à la main. On aurait dit un fusil si ce n’est qu’il n’avait pas de cartouche.
Surpris, il se demanda s’il fallait le recharger par le museau, comme pour les premiers fusils à silex.
– « C’est ce qu’on appelle un fusil à verrou », expliqua le Prince. « Il fonctionne avec la nouvelle poudre à canon sans fumée. Son calibre est de 8 mm. Il est plus fin qu’un fusil de 12mm mais aussi plus puissant. » Il retourna l’arme pour leur faire une démonstration. « Les munitions sont insérées à l’avant de la gâchette et chaque chargeur peut contenir cinq balles, mais il ne peut pas tirer continuellement comme un fusil à répétition. Vous devrez donc le recharger lorsque vous aurez tiré toutes les balles. »
Peu de temps après la démonstration du prince, Hache-de-Fer qui avait compris comment utiliser le nouveau fusil tira tout un chargeur. Le recul du fusil était assez fort. À chaque fois qu’il appuyait sur la gâchette, il recevait un coup de crosse sur l’épaule. C’était beaucoup plus fort qu’avec un revolver.
S’il s’était agi d’un ancien fusil, au bout de cinq balles, l’épaisse fumée dégagée aurait dû gêner sa vision mais avec cette arme, il n’y avait rien. C’était probablement dû à la fameuse “poudre à canon sans fumée” dont Son Altesse venait de parler. En dehors de cela, ce nouveau fusil à verrou n’avait rien de particulier. Hache-de-Fer avait noté une amélioration substantielle entre le fusil a silex et le révolver, mais ce fusil à verrou non seulement ne semblait pas avoir été amélioré mais n’était même pas aussi efficaces qu’un révolver. Son défaut le plus évident était le faible taux de tir.
Avec les anciens fusils, il pouvait tirer en continu mais il était difficile de le faire avec le fusil à verrou étant donné qu’il devait le recharger à la main et le relever après chaque tir pour viser à nouveau la cible. Même si ces manipulations prenaient moins de temps que pour un fusil à silex, cette arme n’était pas efficace pour supprimer rapidement un ennemi. Au cours de batailles comme celle qu’ils avaient menée contre les nobles à la Forteresse où ils se trouvaient confrontés à des combats rapprochés dans les rues comme à l’extérieur, elle était beaucoup moins pratique qu’un révolver.
Hache-de-Fer fit honnêtement part de ces remarques à Roland. Carter était du même avis.
Le prince hocha la tête :
– « En effet, il n’est pas aussi pratique qu’un revolver, mais il a aussi un avantage non négligeable. Andrea, venez leur montrer, je vous prie. » Il remit le fusil à la sorcière et recommanda : « N’oubliez-pas d’utiliser vos capacités lorsque vous tirez. »
La sorcière blonde prit le fusil et le rechargea d’un geste sûr. Visiblement, ce n’était pas la première fois qu’elle utilisait cette nouvelle arme.
– « À présent, regardez-moi! »
Trois coups assourdissants retentirent et à la grande stupéfaction de Hache-de-Fer, les trois cibles de bois les plus éloignées tombèrent l’une après l’autre. Non seulement ses balles atteignaient les cibles qui, à cette distance, ne semblaient guère plus grosses que des ongles mais également les fins bâtons de bois qui les soutenaient.
Elles se trouvaient à au moins 400 mètres!
– « Votre Altesse, c’est… » bégaya Carter, stupéfait.
– « La capacité dérivée d’Andrea lui permet de frapper la cible avec précision, que ce soit avec un fusil ou un arc », expliqua le prince, « mais sa capacité n’agit pas directement sur les balles ni sur les flèches. Elle ne fait que jouer sur sa maîtrise des armes. Avec une pierre, elle atteindrait la cible placée à dix mètres mais si elle lançait un oiseau, sa capacité ne fonctionnerait pas. »
– « Vous voulez dire qu’à force d’entraînement, les gens ordinaires peuvent également acquérir ce genre de compétence ? »
– « Tout à fait. Le plus grand avantage de ce fusil à verrou est l’amélioration considérable de sa distance de tir et de sa précision. À la différence des précédents fusils, il n’y a pas d’espace entre le canon et la cartouche, ce qui fait que cette nouvelle arme ne présente pas de fuite d’air », expliqua le Prince. « En y ajoutant un viseur télescopique, n’importe quel soldat ordinaire pourrait abattre avec précision des ennemis distants de 400 ou 500 mètres, tandis qu’un revolver ne dépasse pas un rayon de 100 mètres. »
Hache-de-Fera comprit aussitôt pourquoi cette arme était si mortelle. La majorité des gens ne s’attendrait jamais à une attaque à aussi longue distance. Un tireur embusqué dans un quartier résidentiel ou un endroit élevé pourrait atteindre facilement sa cible. Et si, de surcroît, ce tireur était Dame Rossignol, personne n’échapperait à des balles tirées par une personne invisible.
– « Votre Altesse, vous avez promis de m’en donner un lorsque vous commenceriez à les produire en série », rappela Andrea en se couvrant la bouche.
– « Bien sûr », répondit Roland en rangeant les deux fusils. Il se dirigea vers l’autre extrémité du champ et retira le tissu qui recouvrait une arme. « En fait, les fusils à verrou n’étaient qu’un début. Voici l’arme qui fera l’objet du test d’aujourd’hui. »
Sitôt qu’il l’aperçut, Hache-de-Fera s’empara de la nouvelle arme. Différente des fusils en acier et en bois, cette arme noire semblait entièrement faite de métal. Elle était bien plus grosse que tous les fusils qu’il avait vus jusqu’ici : le trépied sur laquelle elle reposait lui arrivait à la taille et son canon, particulièrement long, avait un calibre équivalent à la moitié de son poignet. De cet énorme fusil pendait un long et mince morceau de toile sur lequel brillaient des balles. En matière de conception et de taille, cette arme n’avait rien de commun avec tous les autres fusils.