– « Vêtements, chaussures, tasses, cuillères et fourchettes », énuméra May en comptant sur ses doigts. « Y-a-t-il autre chose que je devrais emporter ? »
Le sol était jonché d’un assortiment d’articles ménagers, allant de la bouilloire au bol de bois.
« Le plus important, c’est la literie » pensa Irène.
– « Vous devriez emporter une paire d’oreillers, des draps et des couvertures. »
À ces mots, Rosia et Gaïda furent pris d’un accès de fou rire, mais May leur lança un regard froid qui les réduisit au silence.
– « La literie n’est pas nécessaire, Carter m’a dit qu’il en achèterait un nouvel ensemble sur le marché. Il paraît qu’ils appartenaient autrefois aux quatre familles et qu’ils ont été trouvés dans les soubassements de leurs manoirs. »
– « Wow, dans ce cas, ils doivent être faits de soie fine », commenta Irène avec envie. « J’ai entendu dire qu’il y avait à la Cité du Roi un tailleur spécialisé dans la vente au détail de tissus et vêtements en soie pure. Mais malheureusement, seule la haute aristocratie et les riches marchands peuvent se le permettre. Si ces parures appartenaient aux quatre familles, elles sont certainement d’aussi bonne qualité. »
– « Oui, à peu près, » répondit May avec nonchalance. « Je me souviens qu’il m’a dit qu’une parure valait cinq Royals d’or. »
– « Hé bien… » Les trois filles en eurent le souffle coupé » de surprise.
– « Cinq… cinq Royals d’or! Dieu Tout-Puissant! » S’exclama Rosia en claquant des lèvres. « Il me faudrait près de deux ans pour gagner autant d’argent. »
– « Comment pouvez-vous vous comparer à l’Etoile de l’Ouest ? » dit Gaïda, moqueuse, en lui donnant une tape sur la tête. « Miss May est une célébrité! Elle a joué à la Cité du Roi! Et Son Excellence Carter est le Chevalier en Chef de Son Altesse. Vous ne pouvez pas rivaliser avec eux! »
– « C’est vraiment formidable, May, » dit Irène posant sur elle un regard radieux. « Je vous envie tellement! »
May savait très bien qu’Irène était la seule à être heureuse pour elle. Sa sincérité était d’ailleurs la première chose qui ait attiré Lumière du Matin. L’actrice se demandait aussi comment une jeune femme comme Irène, qui avait grandi au théâtre, pouvait être imperméable aux tentations et aux désirs du monde tout en conservant l’innocence et la gentillesse d’une enfant. Même si elle avait chassé de son esprit son amour passé, May était toujours ravie de voir qu’Irène l’enviait un peu.
– « Lorsque vous serez célèbre, vous pourrez vous acheter votre propre parure… Vous serez payée plusieurs Royals d’or pour une seule représentation à la Cité du Roi, sans parler des pourboires que les nobles vous donnent après le spectacle. »
– « Mais combien de temps me faudra-t-il pour devenir aussi douée que vous ? » Demanda Irène, frustrée, la bouche serrée.
– « On dirait que vous êtes très occupée ici. Avez-vous le temps de répéter ? »
Au même moment, la porte s’ouvrit brusquement. Un beau jeune homme passa la tête dans l’entrebâillement et demanda :
– « Je vous dérange ? »
– « Son… Son Excellence Carter! » S’écrièrent Gaïda et Rosia qui s’inclinèrent aussitôt.
– « Bonjour, monsieur le Chevalier », dit Irène en se retournant pour lui sourire. « Nous discutions de ce que May devrait emporter chez vous et nous parlions justement de vous. »
– « Vraiment ? Et que disiez-vous ? » Demanda Carter, curieux, en se grattant la tête.
– « Rien! » Répondit May en le regardant. En elle-même, elle se disait que tant qu’il ne disait rien, Carter donnait toujours l’impression d’être le parfait gentleman mais dès qu’il commençait à parler, l’illusion était brisée. « Comment se fait-il que vous veniez aujourd’hui ? Ce n’est pourtant pas votre jour de repos! »
– « Euh… ne vous inquiétez pas. Son Altesse m’a donné un peu de temps libre alors… je suis venu vous apporter un cadeau. »
– « Un cadeau ? »
May jeta un coup d’œil à la ronde. Gaïda comprit aussitôt l’allusion et dit :
– « Au fait mademoiselle May, je viens juste de me rappeler que j’avais quelque chose à régler. Lorsque vous aurez terminé vos valises, n’hésitez pas à me le faire savoir. »
– « Moi aussi, j’ai ma lessive à faire. Ça fait quelques jours qu’elle attend. »
Rosia s’inclina pour prendre congé et quitta la pièce en entraînant Irène.
– « Mais… Je n’ai rien de spécial à faire! Attendez… j’aurais voulu voir le cadeau de May! »
En entendant la voix de la jeune femme s’éloigner, May soupira de soulagement et verrouilla la porte avant de se tourner vers le Chevalier en Chef :
– « Alors, quel est ce cadeau ? J’espère que ce n’est pas une nouvelle invention de Son Altesse. »
Carter jeta un coup d’œil aux alentours :
– « Votre père… »
– « Il travaille. Croyez-vous que tout le monde ait du temps libre comme vous ? », répondit May d’un ton sec avec impatience.
Elle pensait qu’après avoir quitté la Forteresse pour Border Town, son père prendrait le temps de se familiariser avec son nouvel environnement mais à sa grande surprise, à peine une semaine plus tard, il avait un emploi administratif à l’Hôtel de Ville. Elle n’avait rien pu faire. À présent, il travaillait officiellement au Ministère de la Construction.
– « Je suis très occupé moi aussi », répondit Carter en levant les mains comme pour se défendre. « Son Altesse a transféré l’un des meilleurs agents du Ministère de la Justice à la Forteresse de Longsong aussi je dois gérer toutes sortes de tâches : en plus d’interroger les espions et de vérifier le statut des résidents, je dois également rechercher les criminels. Depuis quelques jours, je n’ai même plus le temps de manger. Vous n’avez aucune idée de la cruauté de ces criminels. Ces gars-là ne sont pas des habitants de la région de l’Ouest mais des bandits qui se cachent d’abord parmi les réfugiés. Maintenant que les choses vont un peu mieux, ils se mettent à créer des problèmes. Mais ne vous inquiétez pas, ils ne sèment la pagaille qu’à la périphérie ouest, là où se trouvent les camps temporaires. Ils n’entreront pas facilement au centre-ville. J’attraperai tous ceux que je trouverai à rôder dans les parages. »
En voyant Carter parler de son travail avec autant de passion, May éclata de rire.
– « D’accord, Monsieur le Chevalier, j’ai compris que vous étiez très dévoué à la paix et à l’ordre au sein de la ville. Voudriez-vous déjeuner et boire quelques verres avec moi avant de retourner à vos affaires ? »
– « J’aimerais beaucoup mais je crains fort que ma pause soit presque terminée », répondit Carter en déposant un paquet dans ses bras. « Essayez ceci pour voir si cela vous convient, j’ai demandé à Son Altesse de le créer spécialement pour vous. »
– « Son Altesse ? » S’exclama May, quelque peu surprise.
– « Oui, lorsque je lui ai annoncé la date de notre mariage, le Prince m’a parlé d’une robe que l’on porte spécialement ce jour-là. Sa conception demande énormément de travail. J’ai dû insister un bon moment et soudoyer Soraya en lui promettant du pain à la crème glacée pour obtenir cette robe. »
May déplia le tissu et découvrit une robe d’un blanc neigeux.
Son cœur cessa un instant de battre lorsque le Chevalier étala le vêtement. C’était une robe à la fois simple et magnifique aux détails élaborés et sophistiqués. Sa simplicité résidait dans le fait qu’elle n’était pas incrustée de bijou ni bordée d’or. Elle était faite d’une superposition de mousselines de soie blanche. Cependant, la coupe était plutôt seyante. Le haut, cintré à la taille, contrastait avec une ample jupe évasée qui ondulait comme la mer, mettant parfaitement en valeur l’ingénieux travail d’artisanat qui avait été déployé pour la concevoir.
Qu’elle soit noble ou simple paysanne, n’importe quelle jeune femme serait fascinée et ne pourrait détacher sa vue de cette robe.
May la caressa doucement et se retira dans sa chambre pour l’enfiler.
Lorsqu’elle revint au salon, Carter, frappé par sa beauté à couper le souffle, en resta bouche bée.
– « Mon Dieu, vous êtes… magnifique ! »
– « Vraiment ? » Une vive rougeur, plutôt rare chez elle, lui monta aux joues. Elle n’avait pas besoin de miroir pour imaginer son apparence. L’expression stupéfaite du Chevalier en chef parlait d’elle-même.
May s’approcha de Carter et pressa doucement ses lèvres contre sa joue.
– « Merci pour votre cadeau, je l’aime énormément. »
Pour toute réponse, le Chevalier la prit dans ses bras.
En voyant le visage de Carter s’approcher lentement du sien, May ferma les yeux.
– « May Lannis… voilà qui sonne plutôt bien », pensa-t-elle.