C’était le groupe le plus étrange que René Medde ait jamais vu.

Dans la salle du premier étage du château, six personnes entouraient une table carrée sur laquelle était déployée une carte détaillée de la Forteresse de Longsong.

Il y avait là Hache-de-Fer, le Commandant de la Première Armée, Vader, le Chef de la Police de Border Town, Crack, l’actuel chef des Incendiaires, Rossignol, Chef du Bureau de la Sécurité, Cendres, la sorcière aux cheveux noirs et le comte de la famille Elk en personne.

René n’aurait jamais pensé avoir un jour besoin de l’aide des Rats et encore moins à coopérer avec des sorcières.

– « Mes seigneurs, il y a environ sept ou huit gangs différents à la Forteresse », dit Crack, en s’inclinant avec un sourire mielleux, « Le Gang des Faucilles, situé dans la banlieue nord, est le plus grand et compte 500 à 600 membres, mais c’est le Gang du Glas, du centre-ville, qui est le plus puissant. Ce gang, principalement composé de condamnés en fuite et de mercenaires, n’accepte que très rarement les gens du peuple. S’ils contrôlent le quartier le plus lucratif, c’est parce qu’ils ont plus qu’assez d’épées et d’armures. »

« L’Est de la ville est entre les mains des Charognards et du Gang des Vautours qui vendent des esclaves et de l’Eau des Rêves dans toute la zone portuaire. Ils sont extrêmement cruels. Selon les rumeurs, ces deux organisations seraient soutenues par les familles Wolf et Érable. Cependant, lorsque nous, les Incendiaires, les avons vaincus il y a quelques années, aucun de ces grands nobles n’a fait un geste pour leur venir en aide », dit-il, une pointe de fierté dans la voix.

« En ce qui concerne les quartiers Ouest, les gangs sont beaucoup plus complexes… Comme ce sont tous de petits gangs, je n’ai eu à faire qu’à leurs dirigeants. Ils sont… »

– « Ces informations au sujet des gangs ne sont pas importantes, vous n’avez donc pas besoin d’entrer dans les détails », coupa le grand Mojin. « Je veux seulement savoir si vous pouvez nous conduire aux repaires de ces Rats clandestins. »

– « Hum… Monseigneur… », répondit Crack, « On dit communément que « Les tanières des Rats sont criblées de cavernes et de trous ». Je connais les principaux points de rassemblement de tous ces gangs, mais je ne connais pas tous leurs repaires, surtout ceux qui sont situés dans des puits asséchés ou des soubassements. Je ne peux compter que sur les dirigeants et leurs hommes de main pour trouver les endroits spécifiques. »

– « Il a raison à ce sujet », soupira René. « Si nous affrontions les Rats face à face ils n’auraient aucune chance, mais il sera beaucoup plus difficile de tous les éliminer. »

– « Nous aurions pu lancer une attaque surprise, mais maintenant que l’annonce a été faite, les dirigeants seront tous cachés au moment où nous agirons. »

– « Cachés ? » La sorcière aux cheveux noirs se mit à rire : « À moins qu’ils ne se cachent à Redwater City, mais s’ils restent à la Forteresse, nous les trouverons forcément. »

– « Oui, vous avez raison », dit Crack en épongeant la sueur qui perlait sur son front. Il cessa de discuter la question.

La sorcière nommée Cendres était terriblement impressionnante. René, qui avait participé à des batailles et combattu des bêtes démoniaques à Hermès, savait reconnaitre un vrai guerrier …Même les soldats de l’Armée des Juges, qui pourtant avaient mené des centaines de batailles, auraient vacillé devant elle. Elle n’avait même pas besoin de prendre une expression effrayante car lorsqu’elle était présente, personne n’osait la regarder dans les yeux.  

Nul doute que pour avoir une aura aussi menaçante, elle avait non seulement vu le sang et massacré des ennemis mais également frôlé la mort de près.

– « Son Altesse nous a donné trois jours pour nous préparer : lorsque les premières rations seront distribuées, l’armée commencera par la porte Ouest de la ville et nettoiera les gangs de rats de tous les secteurs », dit calmement Hache-de-Fer. « Cette mission ne vise que les organisateurs de manière à pouvoir éradiquer au plus vite les gangs des rues sombres. »

– « Mais… êtes-vous certain que ça va fonctionner ? » Demanda René à Hache-de-Fer qui se dirigeait vers l’entrée. « Je ne connais pas de ville qui ait été en mesure de se débarrasser des Rats. Aussi longtemps qu’il y aura des citoyens, ce sera ainsi. »

Hache-de-Fer se retourna et le regarda.

– « Vraiment ? Pourtant, il n’y a pas de Rats à Border Town. »

Tout le monde quitta la salle, à l’exception de Vader.  

– « Monsieur le Comte, quelqu’un a-t-il déjà postulé pour devenir policier ? »

– « Pas encore… mais j’ai entendu Petrov dire que la Seconde Armée avait enregistré des dizaines d’inscriptions. » René s’assit lentement devant la table. Les paroles de Hache-de-Fer résonnaient encore à ses oreilles. Au bout d’un moment, il murmura : « Est-il vrai que vous n’avez pas du tout de Rats à Border Town ? »

– « Si vous voulez parler d’organisations des rues au sens conventionnel, alors non, il n’y en a pas. » Vader haussa les épaules. « Ni les hommes, ni les femmes n’ont à s’inquiéter au sujet de la nourriture ou du logement. Tout le monde peut trouver un emploi convenable. Même les petits travaux sont suffisamment rémunérés pour que les gens puissent se nourrir. Honnêtement, avant d’arriver à Border Town, je ne pensais pas qu’un lieu comme celui-là puisse exister au sein du Royaume de Graycastle. »

– « Comment est-ce possible ? » Demanda René.

– « Je ne sais pas, Monseigneur… » Répondit Vader en écartant les mains. « Son Altesse Roland est capable de bien plus de choses que tous les nobles que j’ai connus jusqu’ici. »

– « Ne m’appelez pas Seigneur », dit René en agitant la main. « Son Altesse veut que nous travaillions ensemble, aussi, pour le moment, laissons nos titres de côté. »

Vader acquiesça sans protester. René appréciait beaucoup sa franchise.

– « Pensez-vous que le Prince soit réellement en mesure d’éliminer tous les Rats de la Forteresse et nettoyer toute la Région de l’Ouest ? »

– « Je n’en ai aucune certitude », répondit Vader à la grande surprise du Comte. « Après tout, En tant que Chef de Patrouille, j’ai été en contact avec les Rats des années durant. Leur existence était aussi évidente que celle des ombres lorsqu’il fait soleil. Il se pourrait qu’une attaque directe ne soit pas ce qu’il y a des plus efficace.  Son Altesse a dit un jour qu’il ne serait peut-être pas capable de gérer des millions de personnes, mais que s’il ne s’agissait que de dix mille, il parviendrait peut-être à se débarrasser de cette vermine. Au fond, ce qu’il souhaite, c’est que les gens prennent conscience qu’il est bien trop risqué de devenir un Rat et qu’il y a de bien meilleures options. »

– « Trop risqué ? » René ne tint pas compte de ce qu’il venait de dire au sujet des millions de personnes car pour lui, une ville de dix mille habitants était déjà quelque chose d’incroyable. « Cela va prendre beaucoup de temps. »

– « C’est vrai, on ne peut pas éradiquer les Rats ni combattre le crime en un jour », acquiesça Vader. « C’est la raison pour laquelle Son Altesse a créé la police. Comme je vous l’ai déjà expliqué, cette organisation est très différente d’une équipe de patrouille.”

En effet, cela n’avait rien à voir. Ils dépendaient de l’Hôtel de Ville, non de la noblesse et s’efforçaient de faire régner l’ordre plutôt que de conspirer avec des criminels.

« Le Prince m’a dit quelque chose de plus important encore »

– « Que vous a-t-il dit ? »

– « En fait, j’avais les mêmes préoccupations que celles-que vous avez aujourd’hui », répondit Vader en souriant, « mais Son Altesse m’a dit : « Si je comprends bien, sous prétexte que c’est difficile, vous n’essayerez même pas ? »

René Medde eut soudain un sentiment d’accomplissement. S’il avait refusé d’essayer à chaque difficulté, il n’aurait pas poursuivi sans relâche son titre de Chevalier. Il était Comte à présent mais avait l’impression de s’éloigner de la vie qu’il désirait mener. Tant qu’il pourrait se battre pour le peuple, il suivrait toujours le chemin que lui dictait son cœur. Et voilà qu’à présent, ce chemin s’élargissait.  

Il prit une profonde inspiration :

– « Je comprends à présent »

– « J’étais aussi surpris que vous », lui rappela Vader.  « Par contre, je n’ai pas compris ce que Son Altesse a dit ensuite. »

– « A-t-il dit autre chose ? » Demanda René, tout excité.  

– « Eh bien… » Vader se caressa le menton. : « il a dit “vous vous sentirez incroyablement comblé lorsque vous aurez bu ce bol de bouillon de poulet*.” Mais… qu’est-ce que le bouillon de poulet a à voir avec tout ça ? »

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NDT :  Il s’agit d’un clin d’œil à Jack Canfield, l’un des plus grands motivateurs et coach en développement personnel de notre époque, auteur, entre autres, d’un livre recensant 80 histoires vraies de dépassement de soi et d’espoir, intitulé « Bouillon de poulet pour l’âme » (en référence à sa grand-mère qui avait l’habitude de lui faire du bouillon de poulet lorsqu’elle voulait le réconforter). Comme Roland joue ici le rôle de motivateur, le clin d’œil s’imposait.