Lorsque Roland entra dans le château en désordre, il trouva Petrov et le Comte Hull agenouillés au milieu du hall, attendant son arrivée.
Les corps qui jonchaient le sol avaient été enlevés, cependant, l’odeur du sang persistait. On voyait partout des morceaux de meubles et des armes brisées. Le Prince aurait presque pu imaginer les deux camps s’affrontant dans la bataille pour le château.
– « Relevez-vous », dit Roland à Petrov en le prenant par les épaules.
– « Votre Altesse, enfin, vous voici! » répondit celui-ci d’une voix étranglée.
– « Vous avez fait du bon travail », dit gravement le Prince. « Les quatre grandes familles paieront très cher pour ce qu’elles ont fait. Quant aux meurtriers, ils seront traduits en justice. »
– « Je n’ai pas su garder la Forteresse de Longsong… »
– « Vous avez fait de votre mieux, ce n’était pas votre faute », soupira Roland.
Petrov n’était pas un chef de guerre. Cela semblait évident si l’on considérait la précédente prise de la ville par la cavalerie légère et cette fois, la rébellion des nobles. Cet homme était doué pour gérer le territoire, compétent dans le commerce et habile à saisir les opportunités, mais il n’était pas machiavélique. Il n’était vraiment pas expert en matière de combat ni pour déjouer les complots. Si la Seconde Armée, conformément aux mesures d’urgence, ne s’était repliée au château, il n’aurait pas pu tenir plus de deux jours.
Mais cela ne voulait pas dire que Petrov Hull n’était pas un bon dirigeant. S’il n’était pas doué pour la guerre, il faudrait lui affecter un territoire plus calme. Roland préférait les opérateurs ayant un esprit d’entreprise à ceux qui possédaient des talents de guerriers.
– « Je suis persuadé que quelqu’un a motivé cette émeute », dit Roland en regardant les gens qui l’entouraient. « C’est une conspiration pure et simple : l’ennemi cherche à bouleverser l’ordre qui règne dans la Région de l’Ouest afin d’obtenir des avantages qui ne lui reviennent pas. »
L’assistance se tut. Tous, y compris les soldats de la Première Armée et les Chevaliers blessés, avaient le regard rivé sur le Prince.
« À cette fin, ils n’ont pas hésité à commettre des crimes, assassinant les nobles et tuant les civils. La guerre terminée, nous découvrirons que bon nombre sont ceux qui ont perdu leur famille. Beaucoup de maisons auront été pillées. Cependant, ils ont échoué. C’est grâce à votre résistance inébranlable que la Forteresse a pu échapper à une situation bien plus tragique encore. Vous avez agi en héros et fait preuve d’une volonté digne d’éloges! »
Inconsciemment, les chevaliers bombèrent légèrement le torse.
« Cependant, la guerre n’est pas finie. Paniqués, ces rebelles ont pris la fuite. L’heure de notre revanche a sonné! Je vous fais le serment de les retrouver, où qu’ils se cachent. Ils n’échapperont pas à ma justice, qu’ils se terrent sur les terres des quatre familles… ou à la Cité du Roi! » Roland marqua une pause et conclut, implacable : « Les personnes qui sont à l’origine de cette rébellion seront punies elles aussi! Le sang versé ne l’aura pas été en vain! »
À nouveau, Petrov et le Comte Hull tombèrent à genoux :
– « Vive Votre Altesse! »
– « Longue vie au Prince! » répondirent en écho les chevaliers survivants et les soldats de la Seconde Armée en s’agenouillant à leur tour.
La main droite sur le cœur, le torse bien droit, toute l’assistance agenouillée scanda à l’unisson :
– « Vive, Votre Altesse! »
Après avoir réconforté les personnes présentes, Roland convoqua Petrov, Van’er, Brian et Hache-de-Fer dans le bureau situé au troisième étage du château. C’était le seul endroit qui n’avait pas été envahi. Tous les meubles étaient intacts. Le Prince savait qu’il allait devoir y passer beaucoup de temps dans les jours à venir.
Il lui fallait d’abord savoir ce qui se passait sur le champ de bataille en ville. Il regarda Hache-de-Fer qui, aussitôt, expliqua :
– « Les sorcières se sont emparées des portes Nord qui, jusqu’ici, étaient occupées par les quatre familles. La Première Armée élimine actuellement les rebelles qui se cachent dans la ville sous la direction de Mlle Sylvie. L’ordre devrait être rétabli d’ici demain matin. »
– « Y’a-t-il des pertes ? »
« Au total, six hommes ont été blessés jusqu’ici. Tous du régiment des fusiliers, mais Mlle Naela s’en est occupée. »
– « Et la Seconde Armée ? Les hommes ont-ils été comptés ? »
– « Pas encore… Mais aux dernières nouvelles, il y a davantage de victimes », répondit Brian, hésitant. « Les deux pelotons envoyés pour soutenir les remparts ont été vaincus et à ce jour, ils ne sont toujours pas rentrés. Sur les 50 soldats envoyés pour défendre le château, 11 ont été tués et pratiquement aucun de ceux qui patrouillaient sur les remparts n’a survécu. »
Roland acquiesça. À cette époque le militantisme avait permis à une centaine de personne de résister deux jours. Les forces défensives tendait à avoir un énorme avantage, en particulier lorsque l’ennemi manquait d’armes d’assaut efficaces. Si l’autre camp n’avait pas d’armes à feu, il était impossible de démolir le château du Seigneur simplement avec la chair et le sang des mercenaires et des gardes. Cela avait été pleinement pris en compte lors de la conception de ce bâtiment pour prévenir toute attaque ennemie.
À cette pensée, il a ordonné à Hache-de-Fer :
– « Allez me chercher quelques-unes des armes à feu des rebelles. Je voudrais les voir.»
Roland était vraiment préoccupé par les nouvelles armes à feu de cette époque. Même si, depuis la création de la poudre de neige, il savait pertinemment que ce jour finirait par arriver, la vitesse de développement de Timothy l’avait vraiment surpris.
Hache-de-Fer s’exécuta aussitôt. Quelques minutes plus tard, des soldats apportèrent dans le bureau des armes de différentes longueurs et formes.
Après les avoir vues de près, Roland ne tarda pas à comprendre comment l’ennemi avait fait pour fabriquer ces armes dans un aussi court laps de temps.
Ces longs tubes n’auraient pu porter le nom de fusils en ce sens qu’ils n’avaient ni gâchette ni dispositif de percussion. Ce n’étaient rien de plus que des tubes métalliques avec un trou à chaque extrémité. L’une des extrémités, était plus large pour permettre le chargement de poudre et de balles et avait un trou de la taille d’une aiguille sur le dessus pour l’allumage. L’autre extrémité, plus étroite, pouvait être utilisée comme poignée après y avoir inséré une tige de bambou ou un bâtonnet de bois.
Cela ressemblait beaucoup à un prototype de fusil à silex en termes de structure.
Le processus de chargement de cette arme primitive était le même que celui du fusil à silex, mais le lancement était plus gênant. Le tireur devait tenir le manche de bois sous son aisselle et enflammer la poudre à la main de l’autre côté. En raison de la limitation occasionnée par la posture de maintien, elle ne permettait pas de viser avec précision et ne pouvait être pointée qu’approximativement vers l’avant lors du tir.
Cependant, c’était tout de même une arme à feu. Les inconvénients mis à part, son principe de lancement était à peu près le même que celui du fusil à silex. Le canon et les projectiles étaient presque similaires de sorte que sa puissance de tir était de loin supérieure à celle de l’arbalète. Si une armure de chevalier était touchée, elle ne résisterait pas.
À l’aspect bien particulier de chacune de ces armes, on pouvait voir que Timothy avait fait des efforts de finition. Certaines étaient en acier et l‘on voyait nettement des traces de martèlement sur le tuyau tandis que d’autres, conçues dans du cuivre, avaient un aspect lisse. Partant du principe qu’il ne s’agissait que de produits d’essai destinés à venir en aide aux autres familles, les armes à feu qu’utilisait personnellement Timothy étaient sans doute meilleures.
Cependant… même le meilleur canon à main restait un canon à main.
La Cité du Roi n’aurait aucune chance de gagner lorsque l’offensive du printemps aurait été lancée. Ils ne seraient jamais en mesure d’affronter l’armée de la Région de l’Ouest équipée de revolvers, de fusils à verrou et de mitrailleuses lourdes.
Roland les regarda et dit :
– « Dès demain, la Première Armée récupérera les territoires suburbains de la Forteresse. Si les aristocrates résistent, vous avez l’autorisation de les exécuter sur le champ. Mon espoir est que la Région de l’Ouest soit unifiée dès la fin de cette semaine. »
– « À vos ordres, Votre Altesse! », Répondirent en chœur les quatre hommes.
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NDT : Pour le visuel du canon à main (qu’on appelait également couleuvrine avant l’invention des canons de campagne du même nom), voir ici.