Roland étudiait la disposition de la grille d’alimentation d’un quartier résidentiel lorsqu’on l’informa des faits. Après que Carter eut terminé son rapport, Roland posa sa plume et soupira légèrement. Il avait beau savoir que ce genre de chose était inévitable, il était triste que cela soit vraiment arrivé. Bien que le Prince ait dit et répété qu’il était strictement interdit de vendre de la nourriture pour son propre compte, certaines personnes prenaient le risque et ce pour un moindre bénéfice. Etant donné qu’il s’agissait du premier cas de ce genre, il était évident que Roland allait devoir prononcer une lourde peine à des fins dissuasives.
Par ailleurs, il ressentait le besoin de finaliser les lois et de recruter des juristes spécialisés pour mener des interrogatoires et traiter des affaires. Lorsque la cité serait terminée, les affaires pénales ne feraient qu’augmenter et il n’aurait pas le temps de toutes les juger.
Il fut décidé que le procès aurait lieu dans la salle d’audience.
Roland avait demandé à Barov de venir au château : ils examineraient ensemble ce cas de contrebande de nourriture.
Lorsqu’ils entrèrent dans la grande salle, les deux suspects s’agenouillèrent sur le sol. Leurs visages, d’une pâleur fantomatique et leurs yeux hagards suggéraient qu’ils n’avaient pas l’habitude de ce genre de circonstances.
Roland s’assit sur le trône, s’éclaircit la gorge et dit :
– « Dites-moi tout ce que vous avez fait, sans rien dissimuler car vous seriez alors doublement coupables. »
– « Oui, oui, Votre Altesse. »
On aurait dit que les deux suspects sortaient d’un rêve. Ils se bousculèrent mutuellement pour raconter leur version des faits. Le serf, en particulier, s’écria de toute sa voix :
– « Votre Altesse! Seigneur! Je sais que ce que j’ai fait était mal, mais si je n’avais pas vendu ce blé… je n’aurais pas pu survivre! Ces fonctionnaires ayant refusé de m’acheter mon blé selon vos recommandations, je n’avais pas d’autre choix! »
L’affaire se révélait très simple. Roland comprit dès la moitié du récit ce qui le soulagea.
Afin de rassurer les citoyens, l’Hôtel de Ville avait fixé un quota individuel d’achat de céréales légèrement supérieur à la consommation réelle. Par conséquent, chaque mois, il leur restait un peu de blé. Parker, qui résidait dans le sixième quartier résidentiel, y avait pressenti l’occasion de faire des affaires. Il broyait l’excès de blé en farine et ajoutait quelques-unes des herbes qu’il cultivait pour faire des crêpes savoureuses. Celles-ci se vendaient bien. Heureusement, les restrictions concernant la vente sur le marché de proximité ne s’appliquaient qu’aux aliments de base. La volaille et les œufs pouvaient être vendus librement sur les étals.
L’affaire lui rapportait chaque mois quelques Royals d’argent. Cependant, comme il n’y avait pas suffisamment de blé excédentaire, il avait dû réduire sa propre consommation afin d’élargir l’échelle de son commerce. Cela expliquait que Parker ait jeté son dévolu sur les serfs qui ne vendaient pas toute leur nourriture à l’Hôtel de Ville et pris contact avec ײl’Orײ avec lequel il s’était mis d’accord.
Cependant, les dernières paroles du serf avaient intrigué Roland.
– « Pourquoi les fonctionnaires n’ont-ils pas acheté le blé selon les règles ? Cette affaire impliquerait-elle l’Hôtel de Ville ? »
Roland regarda Barov. Celui-ci s’approcha de lui et dit à voix basse :
– « C’est le Ministère de l’Agriculture qui est chargé des achats. Le Ministre est Sirius Daly, qui, j’en suis convaincu, n’aurait jamais fait une erreur aussi grave. Vous devriez le faire appeler pour l’interroger. »
Roland acquiesça et envoya ses gardes quérir le Ministre de l’Agriculture.
Sirius Daly entra en trombe dans la grande salle et après avoir exécuté un impressionnant salut de chevalier à l’adresse de Roland, il demanda s’il y avait un décret dont Son altesse voulait lui faire part. Il avait conservé les manières et le style des chevaliers de la famille Wolf.
Le Prince se cantonna aux aspects de l’affaire qu’il ne comprenait pas :
– « Avez-vous effectivement refusé d’acheter ses grains à ce serf ? »
– « Votre Altesse, voici ce qui s’est passé », répondit sans hésiter Sirius. « Conformément à votre demande, après la récolte exceptionnelle, nous avons continué d’acheter, cependant, nous avons baissé le prix d’achat en fonction de la baisse de qualité du blé. Les deux premiers mois, notre prix d’achat n’était guère différent du prix d’origine. »
Sirius marqua une pause avant de poursuivre : « Après l’arrivée de l’hiver, étant donné que la majorité des serfs n’avaient pas de lieux de stockage adéquats pour le blé et qu’ils avaient été relogés dans les zones d’habitation temporaires, la qualité du blé s’est considérablement détériorée. Lors des achats, nous nous trouvions fréquemment confrontés à des aliments humides, décolorés et moisis, comme celles de ce serf, c’est pourquoi nous avons dû réduire notre prix d’achat de 20 à 30 pour cent. Nous ne pouvions plus les stocker, aussi je lui ai proposé un prix cinq fois inférieur à ce qu’il était durant la récolte exceptionnelle. »
– « Votre Altesse, autant ne pas me l’acheter dans ce cas. Cela revient au même! » S’écria le serf. « J’ai passé toute mon année à travailler à la ferme. J’en aurais obtenu davantage si je l’avais vendu dans les rues sombres. N’aviez-vous pas promis que les prix ne changeraient pas ?! »
– « Imbécile, il fallait le vendre en temps et en heure », lança Barov, en colère. « Croyez-vous que personne ne sait pourquoi vous avez thésaurisé du blé ? S’il y avait eu pénurie de nourriture en ville, vous auriez vendu votre stock trois ou quatre fois le prix habituel! »
À présent, l’affaire était claire. Cependant, Roland était un peu surpris de ce qu’il venait de découvrir. Au départ, il pensait se trouver face à une simple affaire de trafic alimentaire et voilà qu’il découvrait un problème de revente d’aliments abimés. Parker était évidemment conscient que ce blé était d’une qualité extrêmement médiocre, pourtant, il avait accepté de l’acheter à moitié prix et ce plusieurs fois d’affilée. Il ne se souciait probablement pas de savoir si le blé moisi était réellement comestible.
S’il ne faisait aucun doute que le serf, qui avait commis une faute grave, devait être lourdement puni, Roland était perplexe concernant la sanction de Parker. Sophia lui avait raconté que lorsqu’ils ne trouvaient rien à manger, les pauvres apaisaient leur faim en mangeant des racines, de l’herbe, des feuilles et même du pain moisi. C’était précisément la raison pour laquelle Sophia avait souligné à maintes reprises combien il était noble et merveilleux de permettre à tous les citoyens de manger du blé. Parker, lui-aussi, avait été pauvre. Il ne savait probablement pas que c’était un crime grave d’utiliser des ingrédients de basse qualité pour faire des crêpes.
Après avoir discuté de la question avec Barov, Roland rendit enfin son verdict.
Il se leva, regarda le public et dit solennellement :
– « Je déclare ces deux hommes coupables! Le serf a désobéi à mon interdiction en faisant du trafic de céréales. Il a violé la loi en toute connaissance de cause, de ce fait, il est doublement fautif. Je le condamne à dix ans de travaux dans les mines, étant entendu que s’il travaille et se comporte bien, cette peine pourra être réduite. »
« Quant au résident Parker, il a également violé l’interdiction mais de plus, il a utilisé du blé de qualité inférieure pour faire des crêpes qu’il a vendues à d’autres citoyens. Pour ces deux crimes, je le condamne à dix ans de travaux forcés et à une amende équivalente à trois fois ce qu’il a gagné en vendant ses crêpes. Ces sanctions sont applicables immédiatement! »
Les deux condamnés s’effondrèrent, sans forces, comme paralysés. Les gardes, qui étaient restés sur le côté, se dirigèrent vers eux et les traînèrent hors de la salle.
Le Prince donna ensuite des instructions à Sirius :
– « Veuillez rédiger le compte rendu de cette affaire. Vous remettrez le bulletin à Barov pour vérification et publication. Je veux que tous les citoyens aient connaissance des faits afin de m’assurer que ceci ne se reproduira jamais. »
– « Bien, votre Altesse! »
Le procès terminé, Roland convoqua le Chevalier en Chef :
– « Saviez-vous que c’est encore une fois Vader qui a arrêté le criminel ? »
Carter acquiesça :
– « Cependant, cette fois, ils ont abusé. Non seulement ils ont arrêté ce criminel sans uniforme mais on m’a également signalé qu’ils s’étaient battus avec des gens du peuple. Je vais devoir lui donner un avertissement à ce sujet. »
– « N’en faites rien. Vous devriez plutôt le féliciter », répondit Roland en se caressant le menton. « N’attend-on pas d’un policier en civil qu’il sache s’adapter à la situation et réfléchisse au moyen d’appréhender un criminel ? Autrefois, Vader était membre d’une équipe de patrouilleurs. Il connait bien les bandes des rues. C’est un inspecteur né. »
« Le moment venu, je lui offrirai un poste au Bureau de la Sécurité », se dit le Prince. « Rossignol manque de personnel. »