Il ne pouvait pas croire qu’elle puisse trouver les failles des livres qu’il avait lui-même écrits.
La plupart des gens auraient déjà du mal de comprendre des informations aussi compliquées, quant à mettre le doigt sur les failles… Il était inconcevable en effet qu’il n’ait pas mentionné le pouvoir magique dans un livre scientifique traitant de la nature de toute chose.
Roland avait complètement effacé de son esprit les souvenirs du Quatrième Prince. À l’exception du premier mois qui avait suivi sa traversée de l’espace et du temps, où il s’efforçait d’imiter l’ancien Prince, il n’y avait plus repensé depuis. Ses ministres n’auraient jamais osé l’interroger et il n’avait pas besoin de se dissimuler aux yeux des sorcières, aussi était-il devenu de plus en plus insouciant.
Cependant, Tilly n’était pas une sorcière ordinaire.
Elle était la sœur du Prince Roland et, de surcroît, une Extraordinaire.
Non seulement elle avait lu tous ces livres à une vitesse phénoménale mais sa perspicacité lui avait permis de relever cette incohérence. Sa logique était aussi claire que celle de toute personne moderne ayant suivi une éducation. En outre, afin d’illustrer son point de vue, elle avait recours à des points fondamentaux qu’il ne pouvait contredire.
C’était un désastre.
Roland avait beau tourner et retourner ses pensées dans sa tête, il ne savait que répondre. Toute explication tirée par les cheveux faite à une personne capable de remarquer les incohérences ne ferait qu’exacerber ses doutes. Mentir pour dissimuler un mensonge ne pouvait qu’aggraver les problèmes.
Tilly rompit ce silence gêné et dit doucement :
– « Ne vous pressez pas pour me répondre. Il est tard, je vais rentrer à la Maison des Sorcières. Vous devriez-vous reposer vous aussi, Votre Altesse. »
– « Vous avez raison. »
Roland fixait la jeune femme aux cheveux gris dans les yeux dans l’espoir de comprendre le cheminement de ses pensées. Il en oublia de se lever pour la raccompagner.
Tilly s’arrêta devant la porte de son bureau, se retourna et demanda :
– « Je peux vous faire confiance, n’est-ce pas ? »
En temps normal, Roland aurait immédiatement acquiescé mais en cet instant, éprouvant quelque difficulté à répondre, il se contenta d’incliner lentement la tête.
La porte refermée, Rossignol, confuse, murmura :
– « Comment a-t-elle pu partir ainsi ? »
– « Pourquoi cet air contrarié ? », plaisanta Roland.
– « J’ai bien failli découvrir toute l’histoire de votre vie! » Répondit Rossignol en tirant la langue. « Pourquoi n’a-t-elle pas insisté davantage ? »
– « Parce qu’elle ne voulait pas prendre le risque de détruire notre amitié », répondit le Prince en soupirant.
– « Pardon ? »
– « Non, rien. »
Roland se renversa sur sa chaise et sentit un frisson parcourir son dos. En ne le poussant pas trop loin dans ses retranchements, Tilly avait agi judicieusement. Border Town était sans aucun doute le meilleur allié de l’Île Dormante et face à l’ennemi, les alliances prédominent sur les individus. Si leurs relations devenaient tendues suite à son insistance, cela pourrait nuire aux sorcières de l’Île Dormante.
C’est la raison pour laquelle Tilly lui avait laissé du temps pour se remettre suite à sa question. Mais cela ne voulait pas dire qu’elle n’attendait pas sa réponse. S’il traînait trop, une fois leurs ennemis vaincus, il pourrait perdre sa confiance. Elle avait soulevé quelque chose, à lui de répondre à présent.
Cependant, Roland ne pouvait pas dire la vérité à Tilly. Du moins pas pour le moment. Pour Anna et Rossignol, c’était différent car elles n’avaient jamais connu que lui mais Tilly était la jeune sœur de l’ancien Prince. Tant qu’il ne connaîtrait pas les véritables pensées de ce dernier, il devrait garder ce secret pour lui.
Il secoua la tête comme pour écarter ces considérations agaçantes, et se tourna vers Rossignol :
– «Etant donné que vous avez entendu toute la conversation, que diriez-vous d’examiner la situation en compagnie de Maggie et de Foudre ? »
– « Pas de problème, Votre Altesse. »
– « Ce ne sera pas une simple conversation… Pour être honnête, je m’inquiète un peu pour vous », dit-il doucement.
– « …Y’a-t-il matière à s’inquiéter ? » bégaya Rossignol. « Je vais bien et même si je dois la traîner jusqu’ici… »
– « C’est précisément ce qui m’inquiète! » Répondit Roland. Il frappa sur la table : « Voulez-vous qu’elle nous mette en pièces ? Ecoutez, soyez prudente cette fois et renseignez-vous avant d’affronter Sephora. Peu importe si elle refuse. Ne la menacez pas. C’est une sorcière, tout comme vous. »
– « Euh… c’est tout ? », demanda-t-elle, déçue.
– « Au sujet des sorcières, oui », répondit le Prince en fronçant les sourcils. « Il vous faudra de plus aider Foudre à consigner la disposition de l’environnement, des fortifications, des sentinelles et des soldats de la Crête du Dragon Déchu. Lorsque ce sera fait, revenez au plus vite. »
Rossignol acquiesça dans un murmure.
« Pour finir », dit Roland, « Prenez soin de vous. C’est le plus important. »
– « Pouvons-nous avoir une autre pinte de bière ? »
– « Hé, mon gruau est-il prêt ? »
– « J’arrive, j’arrive! Désolé pour l’attente! »
En entrant à la Caverne du Trompettiste, Otto Luoxi fut aussitôt submergé par les bruits qui fusaient de toutes parts. Il se sentit réchauffé par le feu qui crépitait tandis que l’odeur aigre des corps le faisait grimacer. En sa qualité d’aristocrate, il était rare qu’Otto mette les pieds dans les quartiers populaires. Il n’avait pas l’habitude de fréquenter ces gens. S’il n’avait eu rendez-vous avec les Rats, jamais on ne l’aurait surpris dans ce pub des ruelles sombres à la périphérie de la ville.
Suivant les règles locales, il identifia rapidement sa cible : un homme maigre portant un capuchon était assis dans un coin sombre du pub, un petit os à côté de la main.
Otto alla s’asseoir à côté de l’homme et dit :
– « À la santé des Doigts de Squelette. »
– « Vous n’avez pas d’alcool pour porter un toast. »
– « Mais je possède quelque chose qui peut tout mesurer sur terre. »
C’était le code.
L’homme haussa les épaules :
– « Appelez-moi Hood. J’ai entendu dire que vous étiez ici pour obtenir des informations ? »
Otto acquiesça. Alors que Timothy prenait son temps pour lui faire part de sa réponse, il ne pouvait trouver le repos et posait des questions autour de lui au sujet du prince rebelle. Une personne qui occupait encore le territoire occidental six mois après l’ascension du roi et plongeait Timothy dans la perplexité était sans aucun doute une force avec laquelle il fallait compter.
Le moyen le plus rapide d’obtenir un maximum d’information était de passer par les Rats.
Cet homme était le sixième auquel Otto s’adressait. Les informations qu’il obtint le surprirent. Le légendaire Prince rebelle, Roland Wimbledon, quatrième fils du Roi Wimbledon III, non seulement ne montrait aucun signe d’affaiblissement mais menaçait même le nouveau Roi de le détrôner.
Ce Prince était également fidèle à sa parole. Bien que Timothy fît de grands efforts pour dissimuler les choses, Otto s’était aperçu de l’étrange effondrement du Palais Royal. Si cette information était vraie, cela remettrait en cause toute alliance avec Timothy. Le jeune homme devait aller au fond des choses s’il voulait protéger le Royaume de l’Aube.
– « C’est vrai », murmura Otto Luoxi. « Je voudrais tout savoir au sujet de l’énorme collision qui a causé l’effondrement du Palais il y a trois mois. »