« Qu’est-ce que je viens de voir ? Un système qui n’a besoin d’aucune source d’énergie externe pour produire de l’électricité! »

La capacité de Lune Mystérieuse étant de type ײconnexionײ, l’explication était claire : elle venait de conférer une toute nouvelle propriété à la structure en métal.

« Son pouvoir magique agit comme source d’énergie », pensa Roland.

– « Comment avez-vous réussi cela ? », demanda le Prince.

– « Lorsque vous avez dit qu’il existait une étroite relation entre l’électricité et le magnétisme et que tous deux étaient indissociables, je me suis demandé s’il me serait possible de faire en sorte que les objets génèrent des éclairs en les magnétisant. J’ai alors tenté d’induire dans les fils de cuivre des forces magnétiques qui changeaient constamment, étant donné que vous m’avez expliqué que ces changements étaient indispensables au phénomène. Et cela a fonctionné », répondit la sorcière, les yeux étincelants d’espoir.

« Ce qui explique pourquoi les courants électriques génèrent toujours des champs magnétiques tandis que ces derniers ne produisent de l’électricité que dans certaines circonstances : ils requièrent à la fois des circuits fermés et des changements de flux magnétique. Qu’il s’agisse de la zone magnétique ou des courants, ces modifications nécessitent une source d’énergie externe. 

La nouvelle capacité de Lune Mystérieuse a remplacé cette source par une force magnétique auto-changeante », conclut le Prince.  

S’il avait vu ceci dans les temps modernes, Roland aurait pensé qu’il s’agissait d’un prototype de machine à mouvement perpétuel. Il comprit qu’on ne pouvait pas juger des pouvoirs des sorcières selon le sens commun de cette époque : de la même manière que le Feu noir n’était pas un feu naturel, il était possible de conférer aux objets une propriété magnétique sans recourir à des pôles.

C’étaient là  des formes tangibles du pouvoir magique.

Il se demanda si Lune Mystérieuse avait remarqué un changement dans la force magnétique des objets qu’elle manipulait avec son pouvoir.

Roland l’ayant interrogée à ce sujet, elle acquiesça dans un premier temps puis secoua la tête négativement :

– « Lorsque je vivais au camp de l’Association de Coopération des Sorcières, j’ai voulu un jour tenter de modifier à volonté le magnétisme des objets. Mon intention était de les rendre moins magnétiques lorsqu’ils n’étaient pas utilisés afin d’éviter de créer des problèmes à mes sœurs, mais cela n’a pas fonctionné. Leurs propriétés magnétiques sont restées inchangées. J’ai cru que c’était impossible, aussi j’ai renoncé », expliqua la jeune fille.

« Comme je m’y attendais », pensa Roland. Il pencha la tête vers Rossignol et demanda :

– « La forme de son pouvoir magique… »

– « Les deux ne forment plus qu’un à présent », répondit Rossignol. Elle sortit de son brouillard et sourit : « cela ressemble à une vague bleue. »

La jeune sorcière était stupéfaite :

– « Vous voulez dire que… »

– « Oui, vous avez réussi : votre capacité a évolué », confirma Roland. « Seul le fait de se consacrer assidument à sa pratique sur le long terme peut conduire à une révélation et à une évolution aussi rapide. Vous avez fait de l’excellent travail. Vous êtes à présent la sixième sorcière évoluée de l’Association. »

Rossignol s’approcha de Lune Mystérieuse et lui tapota la tête :

– « Félicitations! »

– « À présent, vais-je pouvoir faire davantage de choses pour Votre Altesse ? » Demanda-t-elle, les yeux brillants d’excitation.

– « Oui, d’innombrables choses », répondit Roland. « Comme je vous l’ai déjà dit, vous avez un grand potentiel. Mais reposez-vous d’abord. Vous avez des cernes aussi gros que des poings. Je testerai vos capacités dans le courant de l’après-midi. »

– « D’accord! » Acquiesça-t-elle énergiquement.

Lorsque Lune Mystérieuse eut quitté le bureau, Rossignol ferma la porte et reporta son attention sur Roland. Contrairement à son habitude, elle ne vint pas se percher sur le bureau mais s’approcha du prince, le saisit par les épaules et se pencha pour lui parler. La jeune femme se tenait si près que des mèches de cheveux blonds lui chatouillèrent le visage. À la vue de ses yeux brillants et de ses douces lèvres rouges, le cœur de Roland se mit à battre la chamade.

« Eh ? Que se passe-t-il ? Me ferait-elle des propositions en plein jour ? »

– « Quelle est la méthode ? Un instant… À quoi cela est-il dû ? »  

Ce n’étaient pas là les paroles à laquelle le Prince s’attendait.

– « Quelle méthode ? », demanda-t-il.  

– « Celle qui permet d’évoluer sans avoir à lire Les Fondements Théoriques des Sciences Naturelles », répondit la sorcière avec enthousiasme : « Je peux déduire des notes de Lune Mystérieuse qu’elle ne comprenait pas un traitre mot du contenu de ce livre. Cependant, vous lui avez appris à évoluer, lui permettant ainsi d’acquérir une nouvelle capacité! Que dois-je faire ? Pratiquer avec des petits jouets moi aussi ? »

« Ah, c’était donc pour me demander la méthode d’évolution… Quel dommage… euh, je veux dire, quel soulagement », se dit Roland.

Il se reprit et s’éclaircit la gorge :

–  « J’ai bien peur que votre capacité ne puisse évoluer par un éclair soudain d’illumination. »

– « Et pourquoi ? »

– « Selon Ayesha,  le seul fait d’observer des phénomènes naturels liés à votre capacité peut provoquer une évolution. Votre brume trop incroyable pour que je puisse la comprendre et encore moins vous guider pour en apprendre davantage », expliqua Roland. « Je crains que la seule méthode qui vous permette de développer votre pouvoir magique ne soit de vous familiariser avec les sciences naturelles, la physique et les mathématiques supérieures. »

Le visage de Rossignol blêmit. Elle se dirigea faiblement vers le canapé et s’y enfonça. On aurait dit que son corps était vide.

Après le déjeuner, Roland passa tout l’après-midi à effectuer une batterie de tests complets  sur la nouvelle capacité de Lune Mystérieuse.

Il l’avait appelée “Force Magnétique Variable”. Comme sa capacité de magnétisation, celle-ci pouvait être appliquée à n’importe quel objet, créant une variation périodique basée sur le pouvoir magique que la sorcière avait initialement invoqué. Cependant, en ce qui concerne les isolants, il n’y avait pas d’électricité générée.

Roland avait évalué la puissance magique de Lune Mystérieuse comme étant la plus faible parmi les sorcières évoluées. Elle ne pouvait allumer que deux des Pierres Magiques incrustées dans le Sceau de la Volonté Divine, soit une demi-pierre de moins que Maggie. Malheureusement, toute capacité magique de type ײconnexionײ exigeait une grande quantité de puissance magique. Plus les variations étaient longues et importantes, plus elles nécessitaient de magie. Après une série d’essais, Roland s’aperçut que la nouvelle capacité de la jeune fille pouvait servir de batterie stable, mais elle était loin d’être suffisante pour alimenter un gros moteur électrique ou une machine à vapeur. Il effectua des tests au moyen d’un vieux moteur à courant continu initialement utilisé pour l’électrolyse de l’eau en vue de le transformer en un moteur électrique, mais le résultat fut décevant. Lune Mystérieuse devait employer tout son pouvoir magique pour y induire une force magnétique et le moteur ne fonctionnait que le temps d’une demi-journée. Cela signifiait que sa nouvelle capacité ne pourrait pas servir de source d’alimentation.

Roland s’abstint de faire part à la jeune sorcière de ces tristes résultats. Il l’encouragea, au contraire, à continuer à étudier et à s’entraîner. En effet, elle était fragile et il redoutait l’effet dévastateur de ces mauvaises nouvelles.

En outre, il savait que l’évolution des capacités n’était pas une transformation soudaine, mais une métamorphose par l’apprentissage.

Ayesha lui avait dit que la fabrication de la Pierre de Lumière résultait d’un travail conjoint. Il pensa : « Si une autre sorcière peut manipuler ou transférer du pouvoir magique, la limitation de puissance de Lune Mystérieuse ne sera plus un problème. »

Le soir même, il alla trouver Tilly.

– « Une auxiliaire avec un pouvoir de type ײcontrôleײ ? Elle réfléchit un moment et répondit : « Je ne connais pas de sorcière sur l’Île Dormante qui ait ce genre de capacité. »

– « Vraiment ? » Roland soupira : « De toute évidence, Lune Mystérieuse ne devra compter que sur elle-même pour s’améliorer. »

– « Cependant, je sais où vous pouvez trouver la sorcière que vous cherchez», ajouta Tilly.

À ces mots,  le moral de Roland remonta au beau fixe.