Leaves traversa les branches et le feuillage à la recherche de Foudre et Maggie.

En réalité,  son corps étant intégré à l’épaisse forêt, la sorcière ne les traversait pas vraiment. Elle ne faisait que déplacer sa vision.

C’était une sensation incroyable. Elle se sentait un peu comme un oiseau, hormis le fait que l’oiseau, s’il ne battait pas des ailes, tomberait. Pas elle. Tant que la jeune femme gardait cette forme, elle pouvait passer d’une extrémité à l’autre de la Forêt instantanément. Bien sûr, la surface qu’elle pouvait couvrir pour le moment n’était qu’une goutte d’eau dans la mer comparée à la Forêt aux Secrets.

Depuis que sa capacité avait évolué, elle avait eu envie de découvrir ces bois situés à l’ouest de la ville. Si elle parvenait à les contrôler, elle pourrait grandement aider Son Altesse, que ce soit pour lutter contre les bêtes démoniaques ou pour ramasser des biens et des matériaux. Il n’y avait pas grand-chose qu’elle puisse faire pour lui à part améliorer les récoltes, c’est pourquoi elle tenait absolument à réussir.

Comparé au jardin du château, il s’agissait cette fois d’une vraie forêt, bien plus complexe que l’écosphère des oliviers et des vignes du palais. C’était sans comparaison. Sous chaque centimètre de terre vivaient de nombreuses créatures. En examinant les racines des plantes, elle pouvait sentir des animaux dormants, des insectes qui se tortillaient, des cadavres en décomposition ainsi que le gazouillis de minuscules ruisseaux.

Afin d’éviter de se perdre, Leaves  élargissait son territoire avec beaucoup de prudence. Partant des remparts de la ville à l’ouest, elle s’étendait peu à peu  chaque jour. Lorsqu’elle s’était complètement adaptée à un environnement, alors seulement elle tentait de contrôler une nouvelle parcelle de terrain forestier.

À ce rythme, d’ici deux ou trois ans, elle pourrait couvrir toute la Forêt aux Secrets.

Peu de temps après, la sorcière découvrit deux personnes qui chassaient dans la forêt. Si elle avait marché dans la neige au lieu de survoler la cime des arbres, elle les aurait remarquées plus tôt.

– « J’ai trouvé une proie », dit Leaves  en secouant les branches.

– « Ah! » Foudre frissonna et se tapota la poitrine : « Vous m’avez fait peur! »

Maggie hocha la tête à plusieurs reprises :

– « Goo, goo! ».

– « Je suis désolée », dit la jeune fille en apparaissant sur un tronc d’arbre, comme une brindille pousserait sur une branche. « Est-ce mieux ainsi ? »

– « Eh bien, au moins, je n’ai pas l’impression de parler à un fantôme », répondit Foudre en se posant doucement.  « Vous pouvez apparaître où vous le souhaitez dans la forêt ? »

Elle acquiesça :

– « Oui, dans la zone que je contrôle. »

Maggie atterrit sur le dos de Leaves, fit quelques pas d’avant en arrière et donna des coups de becs à l’endroit où son corps rejoignait le tronc.

– « Vous avez poussé sur un arbre, Goo! »

Sentant son dos lui chatouiller, Leaves ne put s’empêcher de rire.

–  « C’est ma capacité », répondit-elle.  

– « C’est un peu bizarre, Goo. »

– « Vous qui vous transformez en oiseau démoniaque géant, vous osez dire que les autres sont bizarres ? » Foudre roula de grands yeux et regarda Leaves : « Où est la proie ? »

– « Suivez-moi », dit-elle en tournant la tête.

Leaves, qui ne pouvait pas se déplacer sous forme humaine, fit pousser sur le sol des plantes rampantes pour guider Foudre et Maggie.

– « De quel genre de proie s’agit-il ? » Demanda Foudre.

– « Un gros sanglier qui a surgit des profondeurs de la forêt », répondit-elle. « Vous tenez vraiment à l’attraper vous-mêmes ? Je peux le ligoter avec des vignes et le jeter au pied des remparts. »

– « Comme vous le savez, les explorateurs cherchent davantage que de simples résultats », répondit la jeune fille en relevant la tête. « Le processus est parfois plus intéressant que le résultat. »

– « Moi, tant qu’il y a de la viande à manger, je suis forte… Goo ! »

Leaves ne put s’empêcher de sourire. Toutes deux fréquentaient souvent la Forêt aux Secrets, et ce bien avant qu’elle ne s’y intègre. Pour entraîner leurs pouvoirs, elles venaient ici pour chasser et Maggie transportait toutes leurs proies au château. Ces derniers temps, la moitié de la viande présente sur la table provenait de leur chasse.  

– « Regardez, il est là », dit Leaves.

En effet, un énorme sanglier était accroupi au bord du ruisseau, en train de boire l’eau glacée. Avec ses grandes défenses pointues de chaque côté de son museau et sa crinière presque aussi longue qu’un doigt, cet ennemi ne semblait pas facile à vaincre. En principe, lorsqu’ils apercevaient un animal comme celui-ci, les chasseurs gardaient leurs distances mais aux yeux des sorciers, ce n’était qu’un festin. 

– « Je suis prête », dit Foudre en sortant son poignard.

– « Vous n’utilisez pas d’arme à feu ? » Demanda Leaves, surprise.  

– « Ce serait trop facile. »

Confiante, elle se frotta le nez et se précipita vers la cible.

– « Bonne chance, Goo! »

Telle une traînée de lumière dorée, la jeune fille surgit derrière l’animal et bondit sur lui.  Tandis qu’elle se relevait, le sanglier secoua violemment la tête et poussa un cri aigu.

– « Elle l’a manqué ? »

Non… Leaves remarqua que l’un des yeux du sanglier n’était plus qu’une entaille sanglante. Apparemment, Foudre avait l’intention  de tirer parti de sa flexibilité pour éliminer dans un premier temps toute menace de contre-attaque de la part de son adversaire afin de l’épuiser ensuite dans une bataille d’attrition.

Face à l’attaque de Foudre depuis les airs, le sanglier était aussi maladroit qu’une pierre. Bientôt, n’ayant plus la force de résister, il s’écroula dans la neige.  

– « Alors ? Qu’en pensez-vous ? », siffla la jeune fille.

– « Bon travail », répondit Leaves. Elle attacha les pattes arrière de l’animal avec des plantes rampantes et le hissa : « Saignons-le d’abord. Son Altesse dit que débarrassée du sang, la viande est bien meilleure. »

– « Roooo », dit Maggie, l’eau à la bouche. « Nous allons bien manger ce soir, Goo. »

– « Attendez… », dit Leaves qui avait senti la présence d’autres créatures dans la forêt. Elle regarda en bordure de sa zone de contrôle et aperçut deux loups gris qui s’approchaient.

Elle fronça les sourcils : quelque chose clochait. Habituellement, même en hiver, ce type d’animal, qui vivait au plus profond de la forêt, ne s’approchait jamais aussi près de Border Town.

Elle hésitait à en parler à Foudre lorsqu’une silhouette familière apparut soudainement devant ses yeux. Leaves se rappela la bataille tragique qu’elle avait vécue sur les Terres Barbares et sentit ses cheveux se dresser sur sa tête.

– « Les Diables! »

Deux Diables, en effet, marchaient lentement en direction de la ville. Ils n’avaient ni pierres magiques sur leurs bras, ni lances sur le dos. Ces Diables n’étaient donc pas armés.  Cependant, la jeune femme remarqua qu’ils portaient tous les deux un gant de fer noir, celui, précisément, qui avait tué Poivre Rouge

– « Pourquoi les Diables viendraient-ils ici ? »

Horrifiée et terrorisée, elle se tourna vers Foudre et lança :

– « Sortez d’ici, vite, les Diables arrivent! »

– « Quoi ? » Répondirent simultanément les deux sorcières, surprises.

Brièvement, leur compagne leur fit part de ce qu’elle venait de voir et les exhorta :

– « Dépêchez-vous! Ils n’ont pas de monture, aussi ne pourront-ils pas vous rattraper. Je vous rejoindrai plus tard. »

À sa grande surprise, Foudre hésita un moment puis secoua la tête en disant :

– « Je reste ici. Je vais les combattre. »

– « Les… combattre ? Mais pourquoi ? » Demanda Leaves, stupéfaite.  

– « Si je m’enfuis devant l’ennemi, comment pourrai-je le vaincre plus tard ? ». La jeune fille prit une profonde inspiration, sortit le pistolet de sa ceinture et dit : « Mon père m’a toujours dit : ײlà où vous tombez, il faut vous relever.ײ Jamais plus je ne m’enfuirai. »