Lorsque Foudre vit Son Altesse partir, elle entraîna Maggie dans un coin de la salle.
– « Goo ? »
Les cheveux de la jeune fille, qui touchaient presque le sol, lui donnaient l’apparence d’un fantôme à chaque fois qu’elle se déplaçait. Elle repoussa les mèches blanches qui lui tombaient sur le visage, révélant des joues gonflées par la côte de porc croustillante qu’elle n’avait pas fini d’engloutir.
– « J’ai découvert un endroit fascinant », chuchota Foudre. « Il est caché dans la Forêt aux Secrets. J’ai l’intention d’aller l’explorer demain. Voudriez-vous partager l’aventure avec moi ? »
– « Gooo! » Maggie avala et acquiesça énergiquement : « Bien sûr que je le veux! Que devons-nous préparer ? »
« Pour partir à l’aventure, il vous faut le costume trois pièces de l’explorateur… Euh, je veux dire, les trois choses les plus couramment utilisées », corrigea Foudre en s’apercevant qu’elle employait l’étrange vocabulaire de Son Altesse. « Il vous faut un silex, de la nourriture sèche et un poignard. Ce n’est pas très loin d’ici, par conséquent ne prenez de la nourriture que pour une journée et ne remplissez pas tout votre sac comme vous l’avez fait la dernière fois. »
– « D’accord », répondit Maggie.
Elle s’apprêtait à partir lorsque Foudre l’arrêta :
– « Souvenez-vous que cette aventure est notre secret. N’en parlez à personne », dit la jeune fille. « Nous partirons demain matin à la première heure. »
Elle regarda Maggie se diriger vers la table chargée de nourriture, pinça les lèvres et se mit à réfléchir à leur plan d’action.
Malgré le succès de la mission de bombardement et la satisfaction de Son Altesse, elle avait constaté que son vol était beaucoup moins souple qu’auparavant, comme si quelque chose la retenait. Chaque fois que Foudre accélérait, elle avait toujours le sentiment d’être poursuivie par un Diable.
Elle était consciente que ce problème était dû à la peur. En effet, cela remontait à sa précédente exploration de la Tour de Pierre. La jeune fille avait paniqué en apercevant l’horrible silhouette derrière la porte dans les soubassements, sa seule pensée étant de fuir au plus vite. Depuis ce jour, sa confiance en ses talents d’exploratrice s’était considérablement émoussée.
– « Ce n’est pas l’objet de votre peur qui vous terrifie mais le fait qu’il soit inconnu. Si vous voulez surmonter cette terreur, vous devez d’abord l’approcher. »
Foudre se répétait sans cesse l’enseignement de son père. Le lendemain, elle serait peut-être confrontée à un réel danger, mais un explorateur ne pouvait se permettre d’avoir peur du risque ni de reculer. Si elle ne parvenait pas à surmonter cela, la jeune fille ne pourrait peut-être plus jamais voler librement.
C’était la raison pour laquelle Foudre avait décidé de ne pas en parler à Son Altesse et d’agir sans son autorisation. Roland avait prévu d’explorer la Tour de Pierre lorsque les Mois des Démons seraient terminés. La Première Armée collaborerait avec les sorcières. Cependant, elle craignait que s’ils visitaient à nouveau la tour ensemble, elle ne puisse considérer ceci comme une victoire sur sa peur. S’approcher d’une zone dangereuse en comptant sur le soutien d’autres personnes n’était pas vraiment une aventure.
Le Prince la gronderait sans doute. Peut-être même la priverait-il de crème glacée. Quant à ses sœurs, elles seraient certainement inquiètes, mais la jeune fille était résolue à aller jusqu’au bout.
En tant que fille de Tonnerre, le plus grand explorateur des Fjords, Foudre ne pouvait se faire à l’idée d’être lâche.
Cela ne signifiait pas pour autant que sa décision était imprudente. Cette fois, elle avait le revolver que lui avait offert Son Altesse, en savait un peu plus sur les Diables et Maggie l’accompagnait.
Ce dernier point surtout, était important. Si jamais elles venaient à rencontrer des Diables et dans l’hypothèse où Maggie ne réussirait pas à se changer en bête démoniaque, elles pourraient toujours s’enfuir par leurs propres moyens.
« Un explorateur n’a pas besoin de toute une brigade pour se montrer courageux », pensait-elle, « mais il ne lui est pas interdit d’avoir quelques coéquipiers de confiance. »
Le repas terminé, Foudre ramassa quelques morceaux de viande laqués de miel et les mit dans un sac de toile dans lequel elle ajouta des torches, des armes et des gourdes d’eau.
La réussite de la mission de bombardement lui avait donné une certaine confiance en elle, de même les encouragements de Son Altesse et le fait d’embrasser sa joue… lui avaient redonné du courage. Comme disait le dicton du forgeron : « mieux vaut battre le fer quand il est chaud. » Demain serait le moment idéal pour cette aventure.
Dès les premières lueurs du matin, Foudre monta au sommet du château où Maggie l’attendait, perchée sur le mur.
– « Laissez-moi vérifier votre paquetage. »
– « J’ai pris tout ce que vous m’avez demandé, goo. »
Elle reprit sa forme originale, ouvrit son sac à dos et le tendit à la jeune fille afin que celle-ci puisse en vérifier le contenu. Cette fois, elle avait réduit la quantité de nourriture de moitié et avait pensé à prendre un poignard et un silex.
– « D’accord, c’est bon pour cette fois… allons-y », dit Foudre. Suivie du pigeon, elle s’éleva dans les airs et s’envola en direction de la Forêt aux Secrets.
Foudre avait fait mentalement le trajet tant de fois qu’elle pouvait à présent s’y retrouver les yeux fermés. Ce jour-là, le temps était un peu couvert mais rien de comparable avec les nuages sombres de la fois précédentes. Les terres s’éloignaient lentement derrière elles et plus les sorcières approchaient de la Tour de Pierre, plus la nervosité de Foudre allait grandissant.
– « Vous avez bien dit la nuit dernière que vous aviez découvert un endroit intéressant. Était-ce un nouveau nid d’aigle ? » Demanda Maggie au bout d’un moment.
– « Non, c’est quelque chose de beaucoup plus intéressant », répondit Foudre. « L’objet de notre exploration est une relique ancienne, une tour de pierre abandonnée depuis plus de quatre cents ans. Comme les soubassements ne se sont pas encore effondrés, avec un peu de chance, nous pourrions peut-être y trouver des livres anciens. »
– « Des livres anciens ? » Maggie secoua ses ailes : « Ce n’est guère plus excitant que de chercher des œufs d’aigle, goo. »
– « Un nid d’aigle contient tout au plus deux ou trois œufs. Vous en êtes vite venue à bout », répondit la jeune fille. « Mais si vous découvrez un livre ancien et que vous le rapportiez au Prince Roland, il vous récompensera certainement d’un panier rempli d’œufs. Vous pourrez soit les faire bouillir soit les cuire à la vapeur, selon ce que vous préférez, et manger trois œufs tous les jours pendant un bon moment. »
– « Vraiment ? » La bonne humeur de Maggie revint aussitôt : « Dans ce cas, allons vite chercher ces livres anciens. Goo Goo! »
Vers midi, toutes deux arrivèrent sans encombre à destination.
La moitié de la Tour de Pierre, encore debout, était cachée dans les bois, couverte de mousse et de plantes grimpantes. Apparemment, rien n’avait changé depuis quelques mois. Cependant, Foudre descendit et fit plusieurs fois le tour du site. Lorsqu’elle fut certaine qu’il n’y avait aucun danger, la jeune fille se posa doucement.
– « Sommes-nous arrivées, goo ? » S’écria le pigeon au-dessus de sa tête.
Foudre lui fit signe de se taire. Dans le silence de la forêt, leurs voix résonnaient terriblement.
– « Parlez doucement. Il pourrait y avoir des Diables à proximité. »
– « Des Diables ? »
La queue de Maggie se dressa aussitôt sous l’effet de la surprise.
– « Attendez-moi au sommet », chuchota Foudre en montrant du doigt la partie supérieure de la tour brisée. « Je vais d’abord faire un tour d’inspection. »
Ses pas crissaient tandis qu’elle marchait sur l’herbe qui commençait à sécher. Parvenue à l’entrée de la tour, elle s’aperçut que les plantes ne l’avaient pas recouverte. Les quelques plantes grimpantes qu’elle avait coupées avec son poignard la fois précédente étaient toujours là. Retenant son souffle, la jeune fille entra dans la tour et reprit le chemin qu’elle avait gardé en mémoire. Pas à pas, elle s’approcha lentement du centre de la tour où se trouvait le passage menant aux soubassements. Lorsqu’elle aperçut l’escalier qui descendait dans l’obscurité, Foudre entendit même son cœur qui battait très fort.
La peur vient de l’inconnu, pour vaincre la peur, il faut s’approcher de l’inconnu…
Le jeune petite fille se répétait constamment ces mots pour se donner du courage. Elle alluma une torche et descendit l’escalier.
Arrivée à l’endroit où l’escalier bifurquait, elle jeta calmement un regard scrutateur. De la porte brisée, il ne restait que quelques fragments de bois. Il n’y avait aucun Diable à l’entrée du sous-sol, seule une épaisse obscurité semblait prête à avaler les gens qui se risqueraient à entrer.
C’est alors qu’elle entendit faiblement une voix flotter dans les ténèbres. Elle était à peine audible mais lui semblait familière.
Aussitôt, ses cheveux se dressèrent sur sa tête. Saisie de frissons, elle ressentit une nouvelle fois l’envie presqu’incontrôlable de se retourner et de fuir! Elle serra les dents et lutta pour supprimer la peur qui bouillonnait au creux de son ventre. Elle porta la main à sa bouche, tendit l’oreille et écouta à nouveau.
Cette fois, l’appel était beaucoup plus clair et le ton exactement le même que la première fois.
– « Aidez-moi… »