Après une semaine d’assemblage et de tests, Roland et Anna avaient terminé ensemble le développement d’un détonateur à impact.
Comparé au fusible des obus d’artillerie, celui-ci n’avait pas à supporter une température et une pression élevées et il n’y avait pas non plus de haute surcharge de G lorsqu’il quittait la chambre. Sa structure était donc très simple. Cependant, du fait que la constitution du percuteur et du ressort devaient être très précises, tous deux avaient dû en tester de nombreuses variantes avant de trouver les bonnes.
Le principal problème était que personne ne connaissait l’élasticité requise pour le ressort afin de s’assurer que la bombe n’exploserait pas si elle venait à tomber accidentellement. En même temps, il fallait être certain qu’il se déclencherait systématiquement lorsque le projectile était lancé normalement.
Lui et Anna se contentaient de modifier légèrement l’épaisseur et la dureté du ressort avant de le tester à nouveau.
Heureusement, Anna et Lucia avaient grandement avancé le travail. En conséquence, Roland disposait de plus en plus de matériaux de haute qualité. Après de nombreux d’essais, ils avaient finalement choisi d’utiliser l’alliage d’acier n° 1365, dont la dureté était relativement élevée, mais qui offrait une faible résistance. Même si la bombe tombait d’un mètre, le ressort ne serait pas entièrement comprimé.
Le ressort approprié trouvé, le reste était facile. Comme dit le dicton : là où l’eau coule, un canal se forme. Même si Roland n’avait jamais vu de véritable détonateur auparavant, il pouvait compter sur son expérience professionnelle pour en créer lui-même le concept.
Comparé aux détonateurs modernes, celui-ci avait certainement des lacunes, mais pour une grosse bombe noire grossière telle qu’on les faisait à l’époque, ce serait suffisant.
La version finale du détonateur à impact se présentait sous la forme d’un cylindre de douze centimètres de long, d’environ cinq centimètres de diamètre, avec un dispositif en spirale sur le dessous qui pouvait être vissé dans l’ouverture située au sommet de la bombe.
L’intérieur ressemblait à une rainure convexe vers le bas et le percuteur était conçu de manière à venir s’insérer dans la rainure. À l’état normal, le ressort verrouillerait la partie supérieure à l’intérieur de l’encoche tandis que le percuteur pénétrait lui aussi dans l’encoche à un doigt seulement de l’amorce. Par souci de prudence, Roland avait fait un trou dans la tête du percuteur, de sorte qu’un boulon puisse être fixé sur le dessus du boîtier de munitions. Ainsi, avant le bombardement, il leur suffirait d’enlever le boulon, seulement alors le percuteur pouvait bouger de haut en bas.
Le test de simulation eut lieu au cours d’un après-midi ensoleillé.
Comme cette bombe remplie de gravier au lieu de poudre noire pesait déjà cinq fois le poids de Rossignol, Roland décida de ne pas monter dans le ballon mais d’observer le processus à l’aide d’un miroir à trois cents mètres du lieu prévu pour l’impact.
Hache-de-Fer, le commandant de la Première Armée et Carter Lannis, le Chevalier en Chef assistaient également à ce premier test.
– « Vous avez l’intention d’utiliser un ballon à air chaud pour lancer ces explosifs géants au cœur du Palais Royal ? »
Après avoir pris connaissance du plan de bataille de Roland, Carter eut peine à en croire ses oreilles. Attaquer depuis une altitude de deux kilomètres au-dessus du sol au mépris des remparts et des forces de la garnison venait complètement bouleverser sa conception du combat qui, du fait qu’il vivait depuis un an à Border Town, avait déjà subi de nombreuses modifications.
– « Si le système de contrôle fonctionne parfaitement, ce n’est pas irréalisable », acquiesça Roland. « En ce moment même, Timothy enrôle à nouveau des gens pour construire sa nouvelle milice. Si nous ne parvenons pas à l’arrêter, le Territoire de l’Ouest subira inévitablement une nouvelle attaque de la part de son armée de drogués. Quand bien même nous le repousserions, nous n’en tirerions pas une once de bénéfice. »
La lettre secrète de Theo indiquait que Timothy utilisait toujours la même vieille routine pour tenter de l’affaiblir. Cependant, Roland ne savait pas si l’équipe envoyée par Barov parviendrait à doubler leurs adversaires, à enrôler des gens et à les faire venir à Border Town.
– « En supposant que vous parveniez réellement à libérer le tonnerre de la colère du ciel au-dessus de la tête de Timothy, il sera tellement effrayé, qu’il ne saura pas quoi faire! », dit Hache-de-Fer avec enthousiasme : « C’est une punition du ciel à laquelle personne ne peut faire face! »
– « C’est bien ce que j’espère », répondit Roland avec un sourire.
Theo mentionnait dans sa lettre que Timothy, qui avait probablement trouvé la méthode de fabrication de la poudre noire, venait d’ouvrir un atelier au centre-ville pour tenter de produire en masse ce dangereux produit. Mais après maintes réflexions, Roland avait décidé que le Palais Royal resterait la cible du bombardement.
Pour une raison bien simple : le palais était le seul endroit capable d’attirer suffisamment l’attention.
À une altitude de deux mille mètres, la plus belle ville de Graycastle ne serait pas plus grande que la moitié d’une paume. Par conséquent, il avait fallu trouver à l’avance un point cible sur lequel lancer la bombe. Le palais, entouré d’un mur de briques rouges, était situé au beau milieu du quartier central de la ville. De plus, ils n’auraient aucun mal à repérer les pierres d’un blanc pur qui recouvriraient le toit, aussi leur serait-il quasi impossible de manquer leur cible.
Mais pour l’atelier, c’était différent.
Roland ne possédait pas de plan de la Cité du Roi et de surcroît, il n’y avait personne sur place pour les guider. Il était impossible, sur quelques mots, de localiser la cible choisie. De plus, l’atelier était petit. Si la bombe venait à tomber sur la maison d’un civil, les bénéfices liés à leur plan ne sauraient compenser les pertes qu’ils subiraient alors.
Soudain, une ombre blanche tomba du ciel et une colonne de fumée monta du champ d’essais, bientôt suivi par le bruit sourd d’un objet percutant le sol.
– « On dirait que la bombe vient d’atterrir », se dit Roland en rangeant son miroir. « Allons jeter un coup d’œil au résultat ».
Après une semaine de formation, Foudre avait considérablement amélioré sa technique de bombardement. Cette fois, la bombe avait percuté le sol à cinq mètres seulement de la cible. Elle s’était enfoncée dans la terre et son enveloppe extérieure s’était considérablement déformée sous la puissance de l’impact.
L’Observateur des Nuages se posa et Anna utilisa sa flamme noire pour ouvrir la bombe. Tous purent constater que la paroi à proximité du détonateur était noircie, ce qui prouvait que la température de l’amorce était suffisamment élevée pour enflammer le gaz répandu par-dessus le gravier qu’ils avaient utilisé à la place de la poudre noire. Le détonateur fonctionnait donc. S’ils remplissaient la bombe avec de l’amidon nitré, celle-ci ferait facilement un trou de quatre à six mètres de profondeur, tuant toutes les personnes qui n’avaient pas trouvé refuge dans un rayon de 50 mètres.
Maintenant qu’elles étaient entraînée au lâcher depuis les airs, restait à organiser leur plan de combat.
Le regard de Roland parcourut son entourage puis il dit calmement :
– « Nous mettrons à exécution ce raid surprise sur la Cité du Roi lundi prochain. À la tête d’une troupe de cinquante tireurs, Hache-de-Fer escortera d’abord les sorcières à la périphérie de Silver City. Il y a dans ce secteur une crête montagneuse où vous pourrez vous cacher pour ne pas être repérés. Elle devrait être parfaite pour installer un camp ou envoyer un ballon.
– « Compris! À vos ordres Votre Majesté! » Acquiesça Hache-de-Fer.
– « Pourquoi ne décollerions-nous pas directement de Border Town ? » Demanda Wendy.
– « C’est bien trop loin », répondit Roland.
Il fallait au moins une semaine pour se rendre du Territoire de l’Ouest à la Cité du Roi. Que l’on voyage à bord de l’Observateur des Nuages ou en volant, le trajet durerait trois jours, six en comptant le retour. De plus, après l’installation du mécanisme de largage, il ne resterait que deux places dans la nacelle, ce qui signifiait que Rossignol ne pourrait pas les accompagner. Anna est la seule de toutes qui soit en mesure de combattre, c’est pourquoi les laisser passer six nuits dans la nature représenterait un risque beaucoup trop élevé et Roland ne se sentirait pas rassuré.
« En partant de Silver City, vous pourrez bombarder le jour même et repartir avant que le soleil ne se couche. »
« Deuxièmement, les sorcières désignées pour la mission sont Anna, Wendy, Foudre, Maggie, Rossignol et Sylvie. Les deux dernières seront chargées de surveiller les environs du camp tandis que l’attaque sera menée par les quatre premières selon la méthode apprise à l’entraînement. Surtout Foudre.
Il se tourna vers la jeune fille : « Notre succès dépend de vous. »
– « Laissez-moi faire », répondit celle-ci en se tapotant la poitrine.
– « Dans ce cas, il ne me reste plus qu’à vous recommander de faire bien attention à vous », conclut Roland en insistant sur chaque mot. « J’attendrai votre retour ici, à Border Town. »
Quatre jours plus tard, la première bombe, surnommée ײVent d’Est No.1ײ était chargée sur un chariot. Escortée par la Première Armée, elle embarqua sur un navire de fret à destination de Silver City.