– « Ahoo, Ahoo! »
Dans la cour arrière du château nouvellement reconstruite, Maggie déambulait sous le regard reconnaissant de tous en jouant avec ses ailes et sa queue.
Les sorcières avaient déjà tout raconté à Roland, cependant, il fut stupéfait en voyant pour la première fois Maggie sous sa ײforme de bête démoniaqueײ.
Cet énorme oiseau brun mesurait dix mètres de long depuis le sommet de sa tête jusqu’au bout de sa queue pour une quinzaine de mètres d’envergure. Ses ailes étaient semblables à celles d’une chauve-souris et lorsque l’oiseau se trouvait face au soleil, le Prince apercevait nettement ses minces vaisseaux sanguins et son squelette. Probablement parce qu’il était trop long, l’oiseau avait pour soutenir son corps quatre membres aussi épais que le bras d’un adulte qui se terminaient par des griffes.
Mais le plus spectaculaire était sa tête : il avait trois yeux disposés en triangle et tout le reste n’était qu’une bouche sanglante qui, lorsqu’elle était largement ouverte, était aussi grande qu’une cuve sacrificielle. Celle-ci était très différente d’un bec d’oiseau normal.
Chaque fois que Maggie ouvrait la bouche pour parler, on apercevait une rangée de dents acérées et une longue langue, ce qui faisait hurler de peur les autres sorcières.
– « Est-ce là la monture volante des Diables ? » S’exclama Leaves. « Heureusement que nous n’avons pas rencontré un tel monstre durant notre séjour dans les terres arides, sans quoi jamais nous n’aurions réussi à fuir! »
– « Si Maggie n’avait pas évolué et acquis cette nouvelle capacité, je crois bien que je ne serais jamais revenue », dit Rossignol en caressant le cou lisse de Maggie. « Je te préparerai chaque jour un sac rempli de morceaux de poisson grillé. »
– « Ahooo! »
– « Je sais, je n’oublierai pas d’y verser du miel. »
À cette promesse, la queue de l’oiseau se balança encore plus gaiement.
« Evidemment, ce sont mes poissons », soupira discrètement Roland. « Elle se contente de prendre de la nourriture à la cuisine pour récompenser les autres sans me demander la permission et voudrait faire croire qu’elle fait quelque chose de génial! »
– « Très bien, allons tester votre nouvelle compétence selon nos vielles règles. »
– « Ahoo! »
Après une interminable matinée de répétitions, Roland obtint tous les détails sur la nouvelle forme de la bête de Maggie.
Suivant les précédentes règles de grossissement, sous sa forme d’oiseau géant à peau brune, elle était plus grande que les montures des Diables. En outre, sa capacité de levage était elle aussi supérieure. Elle pouvait en effet porter deux sorcières. Cependant, à pleine charge, Maggie ne pouvait voler qu’à environ quatre-vingts kilomètres à l’heure. Elle était donc bien plus lente que Foudre.
Quoi qu’il en soit, le point fort de Maggie était qu’elle était suffisamment résistante pour porter des poids lourds sans avoir à réduire son altitude de vol, contrairement à Foudre. En même temps, cette nouvelle transformation consommait davantage de magie, mais une fois la métamorphose achevée, elle pouvait voler à haute ou basse altitude ou transporter une à deux personnes et sa consommation magique restait extrêmement faible. Restait à étudier sa puissance physique.
De nos jours, la quantité de pouvoir magique que Maggie pouvait contenir dans son corps avait elle-aussi augmenté de façon significative. Elle ne se situait plus au niveau inférieur par rapport à l’Association de Coopération des Sorcières, mais au niveau intermédiaire. Elle pouvait donc changer de forme sept à huit fois par jour.
En dehors de cela, Maggie venait confirmer une hypothèse que Roland avait précédemment émise.
Les chances qu’avaient les sorcières d’évoluer étaient liées au niveau de compréhension de leur propre capacité. Le fait qu’elles aient acquis ces connaissances par le biais de l’apprentissage ou par un éclair intuitif de lucidité pouvait provoquer un changement dans leurs capacités.
Cela impliquait également qu’il existe une possibilité d’évolution naturelle. S’ils vivaient suffisamment longtemps, il y aurait toujours un ou deux chanceux qui parviendraient à s’élever au-dessus des autres. Comparer leur capacité initiale à celle qu’elles avaient acquise après évolution revenait à comparer le ciel à la terre, au point que même quelque chose de pourri pouvait devenir mystique. Était-ce la raison pour laquelle l’Église s’efforçait de réprimer les sorcières sauvages ?
Après le déjeuner, le château du Seigneur accueillit un événement majeur. Presque quatre mois de construction et de décoration, le jour était enfin arrivé d’inaugurer la maison des sorcières.
En regardant le bâtiment d’à peine trois étages et de cinquante suites, Roland soupira longuement. Dans le futur, ce type d’habitat aurait été perçu comme une maison de campagne que l’on aurait soi-même construit mais ici, elle représentait le plus haut degré d’architecture du continent, non par ses dimensions mais plutôt en raison de la technologie utilisée.
C’était la première maison faite d’un mélange de béton armé de bambou et de briques.
Roland se rappelait encore comment Karl, en versant la première colonne de béton armé, lui avait fait part de toutes sortes d’impressions enthousiastes :
– « Ce ciment, à l’origine, peut être utilisé comme ça, mais mélangé à des galets, il peut prendre toutes les formes que vous souhaitez et également servir pour n’importe quelle partie de la maison… Votre Altesse, je pense que, d’ici peu, le métier de tailleur de pierre aura disparu de la maçonnerie. »
Mises à part les poutres du toit, tous les étages de la maison des sorcières étaient faits de blocs de béton préfabriqués. En regardant ceux-ci, avec leurs trous au milieu, Roland avait l’impression d’être revenu à l’époque de son enfance. On ne voyait plus ces matériaux de construction depuis les années quatre-vingt : lorsqu’il avait dix ans, ceux-ci avaient déjà été remplacés par des planchers en béton coulé sur place et avec le temps, la technique avait fini par être abandonnée.
Et voilà qu’à Border Town, il voyait renaître la technique ײrétrogradeײ des blocs de béton préfabriqués.
La maison des sorcières, qui formait la lettre ײLײ était située sur le côté gauche du château. Le jardin, qui avait été agrandi, avait une superficie trois à quatre fois supérieure à ce qu’il était auparavant et malgré les deux bâtiments, il restait suffisamment d’espace libre pour permettre à Leaves d’améliorer ses diverses sortes de fruits et de récoltes.
Un peu anxieuse et craintive, Evelyne inspecta la toute nouvelle maison.
Cela faisait déjà plus d’un mois qu’elle était arrivée à Border Town, mais jusqu’à présent, elle avait le sentiment de n’avoir rien fait d’autre que servir du vin à Son Altesse. En outre, avec ses cinq points seulement lors du dernier examen, elle était également la dernière de toutes les sorcières… Bien que Scroll n’ait jamais annoncé les résultats publiquement, c’était assez facile à deviner, il suffisait de se renseigner.
Honey elle-même, qui tout au long de la journée ne parlait qu’aux oiseaux, avait obtenu sept points!
Elle eut soudain le sentiment qu’elle était stupide.
Malgré tout, Son Altesse ne la traitait pas différemment des autres. De temps à autres, le plus souvent sous prétexte d’apporter une nouvelle liqueur blanche qui brûlait douloureusement, le Prince venait la trouver pour discuter avec elle des caractéristiques du vin. De plus, elle avait elle aussi reçu un salaire d’un royal d’or le mois précédent, ce qui aggravait encore le manque de confiance en elle. Comparée aux quatre autres, elle se faisait l’impression de n’être rien moins qu’une profiteuse.
– « Vite, venez voir! À côté du séjour, il y a une salle entièrement réservée à la cuisine et également une étrange petite pièce peinte en blanc! » Dit Chandelle, tout excitée, en ouvrant la porte de la chambre.
– « Hmm… » Répondit faiblement Evelyne.
– « Que se passe-t-i ? Vous êtes souffrante ? » Demanda Chandelle, inquiète. Elle s’accroupit devant elle et lui tâta le front : « Vous n’avez pourtant pas de fièvre. » Soudain, elle se mit à rire : « Vous ne manqueriez pas de sommeil, vous qui partagez un lit avec nos sœurs de l’Association de Coopération des Sorcières ? »
Evelyne resta un moment silencieuse puis murmura :
– « Nous sommes ici depuis plus d’un mois, n’est-ce pas ?
– « Plus ou moins. »
– « Lotus est chargé de construire le nouveau mur, qu’elle aura bientôt terminé. Honey forme de nouveaux messagers et Sylvie elle-même a accompagné Son Altesse pour enquêter sur ces terribles monstres », dit-elle, frustrée. « Il n’y a que moi qui n’ai toujours rien à faire. Je n’ai même pas reçu de plan d’entraînement organisé et je suis arrivée dernière lors de l’examen… Je ne vois vraiment pas pourquoi Son Altesse voulait que je vienne.
Après avoir un peu réfléchi, Chandelle répondit :
– « Pourquoi n’allez-vous pas le lui demander personnellement ? »
– « Hein ? »
– « Son Altesse Roland est le frère de Lady Tilly, vous avez pu constater qu’il est sincère avec nous. Même Sylvie qui disait toujours : « Tenez-vous loin de Roland, soyez vigilantes envers le Prince » a changé d’attitude. Hier, elle a même tenu des propos élogieux à son sujet », dit Chandelle « Si vous lui posez la question en présence d’une autre personne, il ne va pas vous mordre! »
« Il y a du vrai dans ces paroles », se dit Evelyne.
Afin de cesser de se torturer, elle décida d’agir conformément à la suggestion de Chandelle.