– « Je vois » Roland passa ses mains autour de sa taille, la souleva et la déposa doucement sur le lit. Cette simple action avait suffi pour qu’il soit à bout de souffle. Il ouvrit la fine couverture et vint s’allonger sur le lit aux côté d’Anna. Celle-ci posa sa tête au creux de son bras.
« Quelle est la prochaine étape ? …les préliminaires ? »
Roland réalisa qu’il était beaucoup trop nerveux.
« Cela ne peut pas continuer comme ça. En tant que personne ײexpérimentéeײ, je ne peux me ridiculiser devant une jeune fille. Peut-être serai-je en mesure d’alléger l’atmosphère avec une conversation légère et ensuite seulement passer à l’action, peut-être… en m’inspirant d’un porno ? »
Alors qu’il se creusait le cerveau, la voix douce d’Anna résonna à son oreille :
– « Quand vous m’avez poussée, dans le ballon, avez-vous pensé que vous pourriez mourir ? »
Roland resta stupéfait. Il ne s’attendait pas à ce qu’elle lui pose cette question.
– « Je l’ai fait sans réfléchir. »
– « Vous êtes destiné à devenir le dirigeant de Graycastle. Vous êtes aussi notre espoir, à nous autres sorcières », murmura-t-elle. « Je ne mérite pas que vous fassiez autant pour moi. »
– « Ce n’est pas une question de valeur, chuchota Roland. « Je ne peux pas rester là, indifférent, à vous regarder vous faire attaquer. À présent que je suis réveillé et après mûre réflexion, je puis vous dire que si cela ne s’était pas produit si vite et si j’avais eu le temps de réfléchir, j’aurais agi exactement de la même façon. »
– « Il n’y a rien que je puisse faire pour vous dissuader de recommencer, n’est-ce pas ? »
– « Non, rien », répondit Roland en lui pinçant le nez avec sa main libre.
Anna baissa les cils, puis, après un silence, demanda :
– « Pourriez-vous me parler de votre passé… J’aimerais en savoir plus à votre sujet. »
– « Oh, le passé… » Roland prit une profonde inspiration puis se mit à fouiller dans les souvenirs du 4ème Prince, dans l’espoir de trouver une ou deux anecdotes amusantes à lui raconter concernant sa vie au palais. Mais avant que les mots ne puissent sortir de sa bouche, il les ravalait. Son passé n’avait rien à voir avec la vie qu’il menait mais avec celle qu’il avait vécue dans un monde très différent : « Je vivais dans une grande ville, une ville immense. »
– « C’est vrai, la Cité du Roi de Graycastle est infiniment plus grande que Border Town. »
– « À ma naissance, je n’étais guère différent des autres gens. J’étais plutôt intelligent pour des choses sans importance, mais pas au point d’avoir des facilités exceptionnelles. En ce qui concerne les études, j’étais perçu comme un travailleur, c’est pourquoi je recevais souvent les éloges du professeur. Mais il ne savait pas que j’étais aussi celui qui avait le plus travaillé pour effacer les graffitis sur les murs de la classe. »
– « Il n’aurait certainement pas osé vous en faire le reproche », murmura Anna.
– « Haha, c’est peu probable. Il n’aurait pas eu à me faire quoi que ce soit, il lui suffisait d’en informer mes parents. » Roland sourit, « À cette époque, ils m’ont appris à ne jamais me montrer indulgent. »
« Puis, en vieillissant, j’ai souvent changé de professeurs, passant des enseignants de l’école primaire aux conseillers universitaires jusqu’à ce que finalement, mes études s’achèvent sur des résultats moyens. Bien sûr, comparé aux enfants des autres, je ne me sentais pas à la hauteur… »
Roland ferma un peu les yeux. Le fait de pouvoir parler de ses expériences après les avoir un peu modifiées et ne plus avoir à les dissimuler lui donnait un sentiment de liberté qu’il n’avait plus ressenti depuis qu’il était arrivé dans ce monde. Depuis ce jour, il jouait le rôle du prince, mais dans l’immédiat, il avait l’impression de retourner dans son passé. C’était comme s’il était allongé dans une chambre d’hôtel conçue dans un style classique, en compagnie de la jeune fille qu’il aimait, et se sentait au chaud et en sécurité. De ce fait, il se détendit peu à peu.
Est-ce peut-être maintenant le moment de passer à l’étape suivante ?
« Roland tourna légèrement la tête et s’aperçut qu’Anna avait fermé les yeux. Sa poitrine, étroitement serrée contre lui, se soulevait paisiblement et régulièrement. Elle ressemblait à un chaton qui serait entré au pays des rêves.
Le Prince la contempla un moment, mais très vite, il ne put s’empêcher de rire.
« C’était donc ça… elle aussi était fatiguée. »
Pensez donc : deux nuits auparavant, pour ne pas être repérées, les sorcières avaient dû chercher un petit endroit caché dans la montagne. Mais comme il leur fallait se prémunir contre une éventuelle attaque d’animaux ou de Diables, elles n’avaient quasiment pas dormi de toute la nuit. Dès le lendemain matin, alors que l’aube pointait à peine, elles étaient remontées à bord de l’Observateur des Nuages pour reprendre leur route en direction de Border Town. De retour au château, Anna avait, de surcroît, passé la nuit dans la chambre du jeune homme à le veiller. Aussi n’avait-elle pas eu un seul moment de repos depuis quarante-huit heures, c’est pourquoi sa fatigue l’avait facilement emportée au moment où elle se laissait enfin aller. « Cela tiendrait du prodige si elle n’était pas épuisée à présent », se dit le Prince.
Peut-être la jeune femme était-elle venue le rejoindre ce soir-là parce qu’elle était trop anxieuse pour attendre davantage.
C’était dommage, mais Roland ne s’en souciait pas. Ils avaient encore bien des jours devant eux.
Il s’approcha d’Anna, déposa un baiser sur ses cils et murmura :
– « Bonne nuit. »
La lumière du matin filtrait à travers les rideaux lorsque Sylvie sortit de son lit, incapable de réprimer un bâillement.
Les expériences des derniers jours ressemblaient à un rêve. La découverte des Diables, la lutte dans les airs et enfin leur fuite à Border Town lui laissaient à penser que même si elles s’étaient trouvées encerclés et poursuivies par L’Armée des Juges de l’Église, elle ne se sentirait pas aussi tendue et épuisée.
– « Bonjour », lança Wendy.
Habillée depuis longtemps, elle apportait une bassine d’eau pour se laver le visage et se rincer la bouche.
– « Bonjour », répondit Sylvie. « Vous vous êtes levée de bonne heure! »
– « Je suis vieille », répondit Wendy, « J’ai de moins en moins besoin de dormir. »
– « Oh, c’est déjà l’aube ? » Dit Rossignol, encore somnolente, en se frottant les yeux. « On dirait que je vais devoir faire une sieste ce midi. »
– « Vous avez mal dormi cette nuit ? »
– « Oui, j’ai beaucoup rêvés. »
Sylvie eut une moue de désapprobation. Elle avait bien vu la jeune femme monter en douce au troisième étage et faire les cent pas devant la porte du Seigneur. Mais en raison de la capacité unique de Rossignol, elle ne pouvait pas voir ce que faisait cette dernière. Quoi qu’il en soit, elle était rentrée très tard.
– « La nuit dernière, vous n’avez pas… »
Elle s’apprêtait à parler lorsque Rossignol, se retournant brusquement, la toisa. Devant ses yeux quelque peu rétrécis, le message étant évident, Sylvie comprit et se tut aussitôt. Tout le monde au sein de l’Association avait pu se rendre compte de la puissance de la sorcière de combat numéro un. Sylvie la revoyait encore se déplacer rapidement dans le ciel, semblable à un spectre, et tuer les Diables. Si un jour elle venait à l’Île Dormante, Sylvie craignait que même Dame Cendres ne puisse s’opposer à elle. Aussi, devant cet avertissement silencieux, elle jugea plus judicieux de ne pas se comporter en curieuse. »
– « Que s’est-il passé la nuit dernière ? » Demanda Wendy, étonnée.
– « Hmm Hmm » toussota-t-elle, « je l’ai entendue ronfler, sans doute à cause de la grande quantité d’énergie qu’elle a dépensée ces derniers jours. »
– « Ça doit être ça, en effet », acquiesça Rossignol en haussant les épaules. Elle ôta sa chemise de nuit, révélant son corps bien proportionné et harmonieux et enfila le sous-vêtement offert par Son Altesse.
Cela dit, à présent, même Wendy avait complètement accepté ce vêtement, allant même jusqu’à le lui recommander.
Sylvie n’avait eu d’autre choix que de dire que Son Altesse Roland était un homme affreux. Mais lorsqu’elle pensait à lui, son cœur était également rempli de chaleur.
« Il existe en effet un noble capable de prendre volontairement le risque d’être blessé pour une sorcière. »
Quand elle avait vu Roland se précipiter courageusement au mépris de sa propre sécurité pour pousser Anna hors du danger, elle avait été touchée au fond de son cœur. À ses yeux, les sorcières de l’Association n’étaient pas des outils qu’il avait l’intention de contrôler.
« Elles comptent à ses yeux, ce sont même… des compagnes. Sa réaction en cet instant ne pouvait pas être feinte. Il est vraiment du côté des sorcières, comme Tilly Wimbledon. »
« Si Roland et Tilly pouvaient s’unir et unir les forces des deux villes, ils seraient vraiment en mesure de créer un nouveau pays. Un lieu où les sorcières et les gens ordinaires ne feraient aucune distinction entre ce qui est à eux et ce qui appartient à l’autre. »
La sorcière décida d’écrire à Lady Tilly pour lui dire :
« Votre frère aîné, Son Altesse Roland, est vraiment quelqu’un de bon. »