La situation s’inversa dès l’instant où Maggie, portant Rossignol sur son dos, rejoignit la bataille.
Contraint d’abandonner la poursuite de l’agile Foudre, le Diable lâcha un hurlement de colère, se retourna et plongea pour se jeter sur Maggie qui arrivait rapidement. Le bras, qui n’avait pas encore été complètement restauré, leva une autre lance, puis se développa si vite que la peau se fissura tandis qu’une brume sanglante jaillissait.
Même s’il y avait mis toute sa force, la lance jetée cette fois-ci n’avait plus sa puissance originale. Au moins, Rossignol pouvait suivre sa trajectoire.
– « Maggie! »
Elle tapota le dos de la créature géante sur laquelle elle était, libéra son brouillard et y pénétra.
– « Ahoo – Goo! » Au même moment, le corps de Maggie se mit à rétrécir et elle redevint un pigeon.
Alors que l’énorme cible disparaissait soudain, la lance les dépassa toutes avec un sifflement et tomba dans la mer.
L’instant suivant, Rossignol émergea du brouillard et Maggie retrouva sa forme de bête démoniaque. Le processus d’esquive avait été aussi naturel que le mouvement des nuages ou de l’eau qui coule.
Le Diable laissa échapper un gémissement douloureux et angoissé, se mit à rétrécir jusqu’à ne plus faire qu’un pouce d’épaisseur puis se brisa comme une branche surchargée. Mais sa main gauche tenait toujours fermement les rênes au moyen desquelles il déplaçait la bête pour les affronter. En regardant sa posture, on aurait dit qu’il voulait s’écraser sur elles comme s’il avait abandonné tout espoir de retour.
Cependant, Maggie n’avait manifestement pas l’intention de réaliser son souhait. Quelques instants avant la collision, elle se laissa soudain tomber et l’ennemi passa au-dessus d’elle. Lorsqu’elle reprit son équilibre, Rossignol n’était plus sur son dos.
Telle un fantôme, cette dernière réapparut derrière le Diable.
L’ennemi tenta précipitamment de défaire la corde qu’il tenait, mais Rossignol ne lui en laissa pas l’occasion.
Elle appuya sur la gâchette et les coups de feu retentirent en continu, comme si elle donnait libre cours à sa colère refoulée.
Cette série de tirs non seulement brisa la carapace dans le dos du Diable mais traversa également sa poitrine. L’ennemi émit une série de sons rauques, haletant pour trouver de l’air et s’effondra presque aussitôt la brume sanglante évaporait.
Enfin, la bête démoniaque qui se retrouvait sans maître mourut elle-aussi, attaquée par Foudre et tomba dans la mer pour disparaître peu de temps après.
L’Observateur des Nuages atterrit lentement sur le rivage.
– « Qu’allons-nous faire à présent ? » Demanda anxieusement Rossignol en regardant Anna. Apparemment, cette dernière était la seule à avoir su garder son calme durant la bataille.
– « Nous sommes si loin que même si nous volions toute la nuit, le ballon n’atteindrait pas Border Town avant minuit », répondit Anna. « Par conséquent, il faut que Foudre et Maggie partent devant et emmènent Son Altesse. »
– « Pas de problème ahoo! » Dit la bête géante qui était allongée sur le sol, la tête sur le côté.
– « Aucun souci pour moi non plus, nous l’emmènerons », répondit à son tour la jeune fille. Elle avait un air sombre et pensait sans doute à ses capacités d’exploratrice. Le fait qu’elle ait eu trop peur de combattre l’ennemi avait entraîné tout le monde dans cette situation.
Rossignol lui caressa la tête :
– « Personne n’a jamais été bon combattant dès le départ, ce n’est pas votre faute. »
Ensemble, les sorcières attachèrent le prince encore inconscient sur le dos de Maggie et lorsqu’elles eurent terminé, Foudre prit place à côté de lui. Ils s’envolèrent dans le ciel, et suivirent la rivière Redwater en direction de Border Town.
– « Et nous ? » Demanda Wendy. « Ma magie sera bientôt épuisée. »
– « Continuez à voler aussi loin que possible. Il se pourrait que l’ennemi envoie une seconde troupe à notre recherche. Nous sommes encore trop près de la montagne enneigée », répondit Anna. Attendez que nous ayons atteint une zone sûre et nous chercherons un endroit où nous cacher et camper. »
Sa décision fut unanimement approuvée par les autres sorcières.
Lorsque l’Observateur des Nuages s’éleva à nouveau, il ne restait plus que cinq personnes dans la nacelle.
– « Mais enfin, comment les Diables ont-ils fait pour nous découvrir ? » Demanda Soraya, perplexe. « Le ballon et la nacelle ont été peints avec un camouflage aérien. De plus, à deux mille mètres d’altitude, il est difficile de nous identifier même avec un miroir d’observation. »
– « Il y avait un Diable colossal », dit Sylvie en fronçant les sourcils. « Il s’était accroupi au sommet de l’une de ces flèches noires. Sa tête, couverte d’innombrables yeux, était plus grande que son corps. Je n’ai pourtant fait que le regarder mais… il a immédiatement tourné tous ses yeux vers moi. Des centaines de Diables sont aussitôt sortis de terre, c’était comme si toute la région se mettait à bouillir.
– « Un tel monstre peut-il vraiment exister ? » Soraya haletait sous le choc.
– « Il y a autre chose : ces deux montures volantes étaient elles-aussi très étranges », dit Anna. « Lorsque les balles les ont touchées, leur sang n’était pas noir comme on aurait pu s’y attendre mais plutôt d’un bleu profond. C’était très différent des bêtes démoniaques et des espèces hybrides que nous avions rencontrées durant les Mois des Démons. »
– « Mais au contraire, cela ressemble aux Diables », répondit Soraya. « J’ai également vu du sang bleu sortir des blessures du premier Diable sur lequel Rossignol a tiré. »
– « Mais alors, ce ne sont pas des bêtes démoniaques ? » Demanda Sylvie.
– « Quant à cela, je l’ignore… mais c’est merveilleux que Maggie puisse se transformer en l’une d’elles », s’exclama Wendy. « Si elle n’avait pas sauvé Rossignol, nous aurions toutes été en danger. »
– « Sa capacité a évolué », dit soudain Rossignol qui jusque-là était restée silencieuse. « J’ai remarqué que la source magique à l’intérieur de son corps n’avait plus la forme d’un cyclone tourbillonnant. Elle était devenue une forme fixe : une paire d’ailes blanches déployées. »
Tandis qu’elle tenait le bras de Son Altesse, le cœur de Foudre était rempli d’une indicible culpabilité.
« Le Diable avait certes une apparence malveillante, mais dans le ciel, avec son grand corps, il ne pouvait pas répliquer très vite. Si j’avais quitté la nacelle pour bloquer l’ennemi dès le départ, Son Altesse n’aurait pas été si grièvement blessée. »
S’avancer courageusement pour protéger son compagnon est la responsabilité absolue d’un explorateur. Chaque fois que Tonnerre effectuait une exploration dans les fjords, il prenait toujours les devants dès qu’il rencontrait un danger. Il emmenait tout le monde et faisait face à toutes les crises. Que ce soit devant des pirates ou un monstre des profondeurs, il n’avait jamais reculé.
Pour la première fois, Foudre réalisa qu’elle avait encore une longue distance à parcourir avant de pouvoir se qualifier de grande exploratrice.
Mais son père disait aussi que si la peur pouvait être combattue en la reconnaissant et en se familiarisant avec elle, les compétences quant à elles pouvaient être maîtrisées grâce à un entrainement répété.
Elle prit la ferme résolution d’attendre que la blessure de Son Altesse soit complètement guérie. Et le prierait alors de lui donner un pistolet spécialisé et de demander à sa grande sœur Rossignol de lui apprendre à tirer et à se battre.
– « Comment va Son Altesse, ahoo ? » Marmonna Maggie. Comparée à la voix du pigeon, sa voix était maintenant rugueuse et distordue, comme si le vent soufflait depuis une caverne de pierre. « J’ai senti son corps se refroidir, ahoo. »
La jeune fille serra les poings et se retourna pour voler vers Maggie.
Elle vit que Roland avait fermé les yeux, ses lèvres étaient pâles et, avec ses cheveux gris et désordonnés, il semblait presque sans vie. Le sang sur ses vêtements avait séché et la brûlure noire était un spectacle trop affreux. Elle posa doucement sa main sur le cou du Prince et sentit un faible battement qui prouvait que Son Altesse était encore en vie. Mais le seul fait de sentir sa peau sous le bout de ses doigts la glaça de frayeur.
– « Quelle quantité de magie vous reste-t-il ? » demanda Foudre en évaluant le trajet qu’il leur restait à parcourir. « Nous devons voler à pleine vitesse. »
– « Ahoo! »
Lorsque les deux sorcières arrivèrent à Border Town, la vue de la jeune fille était floue et avait beaucoup faibli. Voler à grande vitesse avait non seulement épuisé rapidement sa magie, mais également déposé un lourd fardeau sur son corps. Elle serra les dents et utilisa ce qui lui restait de force pour s’envoler dans la cour du château, et cria aux gardes qui, alertés par le bruit, venaient s’enquérir :
– « Appelez vite Mlle Nana, le Prince est blessé! »