Foudre, qui était responsable de son propre “équipement d’aventure”, le vérifia une fois de plus :
Silex et amadou, bandages, poignards, cartes, ainsi qu’un sac de rations bourré de bœuf séché.
– « Et vous ? » demanda-t-elle en regardant Maggie, « Vérifiez encore. »
– « Goo! »
Maggie mit sa main dans son sac : ce chiffon était habituellement caché dans ses cheveux touffus. En définitive, il était difficile de déterminer combien de choses elle pouvait réellement mettre dans ce sac. Depuis le moment où elle s’est transformée en oiseau, tous ses vêtements et ses sacs semblaient disparaître sans laisser de trace. Alors que la capacité de Foudre à voler était limitée par le poids, Maggie, cependant, ne semblait pas le moins du monde affectée. La meilleure preuve en était qu’elle tirait beaucoup plus de choses de son sac que sa compagne.
Bœuf séché, émincé de porc séché râpé, pilons, poisson, œufs s’entassèrent devant Foudre.
– « Oh, mon Dieu », s’écria celle-ci, incrédule. « Nous partons à l’aventure et non à un barbecue dans le désert. Prenez au moins des armes avec vous. »
– « Googoo! » Maggie désigna sa bouche.
– « Vous voulez dire que votre arme, c’est votre bec ? » Foudre soupira, « Si vous rencontrez un juge habillé comme une boîte, il serait étonnant que vous puissiez picoter son armure! Hé, oubliez ça! …C’est seulement un voyage d’une journée de toute façon, nous ne devrions pas rencontrer de danger, alors allons-y. »
– « Je vois! Goo! » Maggie se transforma aussitôt en pigeon, fit deux pas et se mit à voler près du sol avant de s’élever lentement.
« Euh, peut-être est-ce à cause du poids » se dit Foudre.
Elle abaissa ses lunettes coupe-vent, prit son élan et s’envola.
« Je me souviens encore de la première fois où j’ai vu Maggie. C’était juste au sud, dans les bois, que nous avons commencé notre poursuite aérienne. Même si, pour finir, elle n’a pas réussi à m’échapper, J’ai dû faire beaucoup d’efforts avant de pouvoir lui sauter dessus. À présent, je crois que je pourrais l’attraper en un clin d’œil. »
« Cela ne peut pas continuer, il est déjà si rare de trouver un partenaire pour voler. À l’avenir, j’assumerai seule la responsabilité du matériel d’aventure », se dit la jeune fille. « Mais il semblerait qu’elle ait besoin d’un bon exercice. »
– « Goo, Goo ? »
Foudre ralentit et se dirigea vers Maggie :
– « D’accord, parlons! »
– « Je voulais vous demander : quel domaine allons-nous explorer, goo ? » demanda le pigeon en ouvrant et refermant son bec.
– « À l’extrémité ouest de la Forêt aux Secrets. Je veux voir, en définitive, quelle est réellement la taille de cette forêt », répondit la jeune fille. Elle sortit une carte de son sac et la déploya. Désignant du doigt un espace vide sur le côté ouest, elle ajouta : « Nous pourrons remplir cette partie manquante lorsque nous y serons passées et peut-être voire d’où vient la rivière Redwater. »
Dès le retour de Maggie de sa mission dans les Fjords, Foudre avait immédiatement commencé à se préparer pour l’expédition. Lorsqu’elles étaient en pratique libre, Son Altesse ne se souciait jamais de l’endroit où elles se rendaient. De plus, la jeune fille n’osait pas dire à son amie qu’elle avait peur d’explorer seule la forêt.
Pour une exploratrice, ç’aurait été la honte et une terrible humiliation.
Mais elle ne pouvait pas se mentir à elle-même : depuis son voyage à la tour de pierre, Foudre avait peur de la forêt profonde. À la pensée que l’horrible monstre pourrait être caché dans les bois, elle avait envie de fuir au plus vite.
Heureusement, elle était la fille du plus grand explorateur.
Tonnerre lui avait un jour donné une méthode pour vaincre la peur qui consistait à l’approcher un peu, puis l’observer, réussir à comprendre et en fin de compte, s’apercevoir que sa ײpeurײ n’était pas si terrible.
Parce que les racines de ces obstacles sont à l’intérieur de soi.
Cette fois, l’aventure, pour Foudre, était une tentative pour se débarrasser de sa peur et avec Maggie pour l’accompagner, elle se sentait un peu plus hardie. Elle avait également choisi un parcours très sûr. Elles voleraient vers l’ouest en suivant la rivière Redwater sans jamais pénétrer profondément dans la forêt, ce qui, selon elle, rendrait très improbable toute rencontre avec d’éventuels Diables. Lorsqu’elles auraient fait le trajet une fois, Foudre essayerait seule la fois suivante. Elle croyait fermement qu’un jour, elle pourrait sortir seule pour dessiner une carte complète du Territoire de l’Ouest, visiter à nouveau la tour de pierre et découvrir la vérité sur la Cité Sainte de Taquila.
…
Tout au long du vol, la jeune fille restreignit sa vitesse à une soixantaine de kilomètres à l’heure. Elle était à présent capable de la contrôler avec précision par la quantité de puissance magique qu’elle libérait. Etant donné sa consommation actuelle, elle pourrait continuer à voler toute la journée.
De plus, le fait de voler le long de la rivière et uniquement à la lisière de la forêt faisait qu’elle était beaucoup plus détendue que le jour où elle partit à la recherche de la tour de pierre. À ce moment-là, tout son champ de vision était rempli de vert foncé qui dégageait une impression déprimante et l’empêchait de distinguer la direction et la hauteur. Mais ce jour-là, sous les vagues de lumière du soleil, la rivière Redwater ressemblait à une ceinture de cristaux argentés. Ceci ajouté au bavardage incessant de Maggie à son oreille, la peur de la jeune fille s’estompa rapidement.
– « Vite, regardez, il y a des montagnes en face de nous, goo! »
Enfin, Foudre aperçut elle-aussi l’incomparable Montagne. Celle-ci était encore loin, mais sa silhouette laissait deviner son aspect majestueux. Le sommet de la montagne était tout près de l’océan, comme si la terre avait glissé jusqu’à l’eau. Plus elles se rapprochaient de la rivière, plus les collines surplombant les eaux diminuaient, jusqu’à ne faire plus qu’un avec la ceinture d’argent.
– « Cette montagne est un peu trop grande », soupira-t-elle avec tristesse. La distance diminuant, les contours de la montagne se distinguaient de plus en plus. Son sommet, blanc comme la neige, semblait traverser les nuages. Elle ne ressemblait pas à la Chaîne des Montagnes Infranchissables qui, avec ses hauts et ses bas, se dessinait sur des milliers de kilomètres, mais elle était plus haute que trois ou quatre montagnes réunies. Le flanc de la colline au sud n’était qu’une extension de ses crêtes montagneuses, la source de la rivière Redwater se trouvait elle aussi dans cette haute et magnifique montagne.
– « La Forêt aux Secrets se termine! » s’écria Maggie avec enthousiasme.
Effectivement, le vert foncé prit fin et la terre redevint vert clair : ce devait être une prairie. À l’extrémité de leur champ de vision, cependant, le sol prenait une teinte d’un noir profond qui s’étendait jusqu’au pied de la montagne.
– « Allons jeter un coup d’œil », cria Foudre en montrant du doigt la terre sombre avant de plonger dans sa direction. Très vite, elle s’aperçut que le sol était entièrement formé de pierre noire.
– « Qu’est-ce que c’est ? » Maggie, qui venait d’atterrir à son tour, s’empressa de le picorer : « Ça n’a pas l’air de se manger, goo ! »
– « Evidemment que ça ne se mange pas », répondit Foudre. Elle ramassa une pierre noire pour la regarder de plus près. Celle-ci avait un aspect tranchant et net, et bien qu’elle fut noire en apparence, lorsqu’elle la tournait vers le soleil, la jeune fille apercevait des éclats métalliques. Il y avait des pierres comme celle-ci partout, entrecoupées de quelques taches de boue. À première vue, on aurait dit que la terre avait été trempée dans de l’encre. « Il pourrait s’agir d’une sorte de minerai. Prenez-en deux morceaux, nous les montrerons à Son Altesse. »
Il était temps de se mettre au travail, aussi s’envola-t-elle à nouveau pour commencer à consigner le terrain environnant.
Il leur avait fallu près de la moitié de la matinée pour parcourir la distance qui séparait la limite de Border Town du pied de la montagne. En d’autres termes, celle-ci se trouvait à près de deux cent quarante kilomètres de la ville, bien plus loin que la Forteresse de Longsong. Et cette montagne… Une idée surgit soudain dans l’esprit de Foudre : « À quoi peut bien ressembler le paysage de l’autre côté d’une montagne aussi gigantesque ? Est-ce une vaste jungle ou des collines et des montagnes vallonnées ? »
Sa peur ayant disparu, elle avait bien du mal de chasser cette pensée maintenant que celle-ci lui avait traversé l’esprit.
Il allait être difficile de survoler la montagne. Le sommet couvert de neige blanche suffisait à lui seul à faire reculer les gens. Mais, il y avait une autre solution : la contourner par la mer. Ainsi, au lieu de voler jusque derrière la montagne, il lui suffirait de se diriger vers le centre de la mer et de là, elle apercevrait l’autre côté.
Foudre appela Maggie et lui recommanda à plusieurs reprises de ne pas s’éloigner. Elle enfila ses lunettes coupe-vent et l’instant d’après, accéléra. Son pouvoir magique s’épuisait rapidement et le vent qui venait en sens inverse balayait ses cheveux courts vers l’arrière. La terre s’éloignait peu à peu et bientôt, le bleu de l’océan s’étendit devant elle à perte de vue.
Après environ une demi-heure de vol, elle aperçut vaguement le paysage situé derrière la montagne. Apparemment, une succession de montagnes séparaient la mer de la terre, mais soudain, la jeune fille aperçut quelque chose qui fit geler son sang dans ses veines.
Tout au bout de l’horizon, une couche de brouillard d’un brun rougeâtre, semblable à du sang, recouvrait les montagnes. Ce brouillard s’étendait en direction de l’ouest, aussi n’en percevait-elle pas la limite.