Le soleil descendait lentement derrière les montagnes de l’ouest et la vague de chaleur s’atténuait progressivement. Le chant des cigales lui-même diminuait. Cependant, comparé à l’Île Dormante qui était entourée de tous côtés par l’océan, le château semblait encore un peu trop chaud.
Evelyne, couverte de sueur, atteignit le premier étage et, alors qu’elle poussait la porte de sa chambre, fut enveloppée d’une vague de fraîcheur.
– « Le test d’aujourd’hui a dû être difficile pour vous », dit avec un sourire chaleureux une femme aux cheveux noirs, à l’apparence mature et compétente. « Comment cela s’est-il passé ? Bien ? »
Elle s’appelait Scroll. Elle était non seulement la sorcière la plus âgée de l’Association mais elle était également très gentille. Même si elles ne se connaissaient que depuis une journée, Evelyne avait déjà fait l’expérience de ses attentions et de la manière dont elle se préoccupait des autres.
– « Je… ne sais pas », répondit Evelyne, quelque peu frustrée. « Les autres ont toutes pu montrer leur capacité. Mais quand mon tour est arrivé, Son Altesse m’a juste posé quelques questions et m’a laissée partir. Serait-ce… qu’il pense que je suis inutile ? »
Scroll s’approcha, lui offrit une coupe d’eau glacée et répondit :
– « Il n’existe pas de capacité qui n’aurait aucune fonction, c’est seulement que l’on a pas encore trouvé la bonne façon de l’utiliser. Son Altesse nous a souvent répété, aussi, ne vous inquiétez pas à ce sujet. »
– « Mais… » Evelyne prit la tasse. Elle s’apprêtait à parler mais s’interrompit.
– « Etes-vous inquiète au sujet du fait qu’il pourrait décider que vous êtes inutile et, pour cette raison, vous exclure ? » Scroll ne put s’empêcher de rire : « Si nous étions encore l’Association de Coopération des Sorcières telle qu’elle était auparavant, cela serait peut-être possible, mais depuis que nous sommes arrivées à Border Town, Son Altesse Royale a toujours traité toutes les sorcières de la même manière. Colibri pourra vous le confirmer. »
La jeune fille, qui pour l’heure était occupée à chercher des vêtements dans le placard, approuva : « C’est vrai. Dernièrement, Lune Mystérieuse, Lily, Melle Nana et moi n’avions rien à faire, aussi Son Altesse nous a encouragées à jouer à Gwent pour tromper notre ennui. »
– « Tromper votre… ennui ? » Les yeux d’Evelyne s’ouvrirent tout grands.
– « Ouais, ça semble incroyable, non ? Lorsqu’il y a à faire, il faut travailler dur, mais s’il n’y a rien à faire, vous pouvez jouer librement. C’est du moins ce qu’il m’a dit. » Colibri marqua une pause : « J’ai simplement l’impression que Son Altesse est quelque peu partial. Il est évident qu’Anna et lui sont des amis très proches. »
– « Bien sûr! Elle est la première sorcière qu’il ait jamais connue, leurs sentiments l’un envers l’autre sont beaucoup plus profonds », interrompit Scroll. Elle se frappa le front : « Prenez-vite vos vêtements propres, sans quoi il n’y aura plus d’eau courante pour ce soir! » Elle regarda Evelyne et dit : « Vous devriez nous accompagner. »
– « Où allons-nous ? » Demanda Evelyne, confuse.
– « Prendre une douche », répondit Scroll avec un sourire. « L’été, il n’y a rien de plus agréable que de se mettre sous la douche pour se laver. »
Evelyne les suivit dans la salle de bain et ne put s’empêcher de pousser un cri de surprise. Elle avait l’impression de pénétrer dans une vaste prairie, avec une mer de nuages et de montagnes devant elle. Le soleil couchant qui tombait par la fenêtre se reflétait sur les murs, teignant les nuages d’une touche d’or.
– « C’est… »
– « Le chef-d’œuvre de Soraya », répondit Scroll en riant. « Ce n’est pas une peinture décorative traditionnelle, vous comprendrez quand vous aurez ôté vos chaussures. »
Sur ces paroles, Evelyne retira ses sandales de bois et les posa sur un placard à chaussures situé à côté de la porte. Elle marcha ensuite pieds nus sur la ײprairieײ et immédiatement, comprit ce que Scroll avait voulu dire. La sensation tactile qu’elle ressentait sous la plante de ses pieds était la même que si elle avait vraiment marché sur une prairie bien dense. De plus, la pelouse était comme parsemée de gouttelettes d’eau qui rappelaient la sensation que l’on peut ressentir après une forte pluie.
Pendant ce temps, Scroll, qui avait ôté ses vêtements, défaisait ses tresses pour libérer ses mèches. Elle laissa tomber ses longs cheveux noirs. Evelyne la vit alors se diriger vers le mur. Elle tourna une sorte de clé et plusieurs fils d’eau jaillirent soudain du mât qui la surplombait. Scroll en fut complètement recouverte.
– « Que pensez-vous ? Ne trouvez-vous pas que c’est pratique ? »
Colibri s’approcha et lui mit quelque chose de rond dans la main :
– « Ceci est un article de toilette que Son Altesse a lui-même créé. Lorsqu’on l’utilise sous la douche, la sensation ne saurait-être plus merveilleuse. Venez, je vais vous montrer comment s’en servir. »
…
Lorsqu’Evelyne retourna dans sa chambre, elle eut l’impression que son corps était devenu plus léger.
Elle n’avait jamais connu de toilette aussi agréable. Le savon parfumé couvrait tout son corps de bulles et lorsqu’elle les eut rincées à l’eau, la sensation collante qu’elle ressentait de la tête aux pieds fut immédiatement balayée et remplacée par une sensation de fraîcheur et de douceur. Elle enfila ses vêtements propres. L’air chaud semblait s’être rafraîchi et lorsqu’elle levait le bras, elle pouvait sentir le parfum des roses sur sa peau.
Est-ce là la vie quotidienne des sorcières de l’Association ?
Evelyne était encore un peu surprise, incrédule. Elle était née dans la banlieue de la Cité du Roi, dans une famille qui tenait un pub. Même si la plupart de leurs clients étaient des agriculteurs et des paysans, l’un de leurs sujets de conversation récurrents était la vie des nobles au centre-ville. Tandis qu’elle servait le vin, elle avait entendu de nombreuses histoires. Des baignoires dorées remplies de vin, d’autres remplies de lait parsemé de pétales de roses… mais la plus incroyable des rumeurs ne pourrait jamais égaler l’expérience qu’elle venait de vivre. Evelyne était convaincue qu’un bain de lait ou de vin ne serait jamais aussi agréable que ceci.
Elle se souvint que le propriétaire de ce château était un Prince : il était donc normal qu’il accorde une attention particulière à son confort et à son plaisir. Mais elle n’aurait jamais imaginé que des sorcières puissent réellement profiter du même style de vie que la famille royale. Avant de partir pour l’Île Dormante, elle vivait dans des conditions telles qu’il était extravagant d’espérer seulement être en mesure de mener une vie ordinaire.
– « Vous avez faim ? » Scroll essuya ses cheveux pour les sécher et refit ses tresses : « C’est bientôt l’heure du dîner. Nous devrions nous rendre dans la salle de séjour, maintenant. »
Le salon se trouvait au premier étage. La longue table de bois était remplie de toutes sortes de plats. En comptant grossièrement, Evelyne dénombra six pots de viande, de la soupe aux œufs, de la soupe de légumes et des champignons rôtis, soit presque autant que lors du banquet de bienvenue de la veille.
Elle attendit que toutes les autres sorcières aient pris place et elles commencèrent toutes ensemble. Très vite, Evelyne s’aperçut qu’en plus du couteau et de la fourchette, certains utilisaient également une paire de baguettes de bois pour manger, son Altesse Royale aussi. Il utilisait même ses couverts moins souvent que les autres et maniait les baguettes avec dextérité. À table, il n’y avait ni gros steaks, ni poulet ou canards entiers. À la différence de la nourriture couramment servie dans les tavernes, le steak était déjà coupé en petits morceaux, et les pattes de sanglier désossées. Il n’y avait plus qu’à les saisir pour les manger.
Le dîner prenait fin lorsque le Prince frappa dans ses mains et annonça :
– « Dernièrement, j’ai développé deux nouvelles choses que j’ai l’intention de distribuer comme marchandises. Cependant, je ne suis pas encore certain du résultat. Je voudrais que vous les essayiez et me donniez votre avis. »
– « Qu’est-ce que c’est ? Quelque chose qui se mange ? »
– « D’accord, je vais essayer! »
– « Moi aussi, goo! »
Les sorcières de l’Association approuvèrent immédiatement. Devant leur réaction, Evelyne, surprise, se tourna vers Scroll. Celle-ci sourit et expliqua :
– « Son Altesse crée des choses nouvelles, comme le savon parfumé que vous avez utilisé tout à l’heure, le parfum, les baguettes, la crème glacée… Avant de les mettre en production, il nous demande toujours de les tester. »
Le Prince s’éclaircit la voix :
– « La première est un vin beaucoup plus moelleux et riche que la bière où le vin classique. Il est également plus enivrant, par conséquent, les sorcières qui sont encore mineures ne sont pas autorisées à participer. »
– « Votre Altesse, c’est un préjugé! » s’écria Foudre. « Je peux boire beaucoup plus que les marins! »
– « Quand bien même, c’est hors de question. »
– « Oh… » La petite fille fit la moue, mais Roland resta indifférent et demanda aux serviteurs de servir les bonnes liqueurs aux sorcières adultes.
Devant Evelyne se trouvaient trois coupes de cristal étincelant. Elle vit qu’elles contenaient toutes des boissons différentes. L’une d’entre elles était pleine d’un liquide incolore qui ressemblait à de l’eau, une autre était d’un blanc laiteux tandis que la dernière était d’un orange flamboyant. À la lumière de la bougie, elle aperçut de petits objets qui flottaient dans la dernière coupe qui, en revanche, ressemblait à un vin fruité non filtré.
– « Il y a du vin blanc mélangé à du jus de pomme, du vin blanc mélangé à du lait et, enfin, du vin blanc pur », précisa Roland. « On peut ajouter de la glace selon vos goûts, mais plus on en mettra, plus le goût du vin sera dilué. »
Il sourit ensuite à Evelyne :
– « Vous avez séjourné longtemps dans un pub de la capitale et vous avez également le pouvoir de réaliser différents types de boissons. Je serais heureux de connaître votre avis sur cette nouvelle sorte de vin. »
Durant un petit moment, Evelyne ne put empêcher son cœur de danser. Elle prit la coupe contenant la boisson à l’orange, pinça les lèvres et en but une gorgée. Comme Son Altesse Royale l’avait annoncé, la saveur du vin blanc était beaucoup plus intense que celle de la bière. Il lui brûlait même un peu la gorge. Il laissait une petite amertume au bout de la langue mais le goût de la pomme atténuait son impact. Enfin venait l’arôme riche et moelleux du vin. Les différentes saveurs se succédaient dans sa bouche et donnaient un excellent vin comme jamais elle n’avait goûté auparavant.
Le vin blanc mélangé au lait de vache était un peu plus doux, le lait couvrant presque totalement l’amertume du vin. Outre le lait de vache, elle sentait quelque chose qui était certainement du miel ou peut-être du sucre. Cette douceur conférait une saveur entièrement nouvelle au vin aromatique.
Lorsqu’elle se tourna vers la dernière tasse, le cœur d’Evelyne était rempli d’attentes. Elle prit volontiers une petite gorgée. Aussitôt, une sensation de chaleur brûlante roula sur sa langue et dans sa gorge. Ainsi qu’elle l’avait prévu, la boisson n’offrait pas d’autre saveur que celle du vin pur. D’abord brûlante, puis douce-amère.
– « Les goûts de ces verres de vin sont… inoubliables », dit-elle en reposant la coupe. La jeune femme respira profondément : « Votre Altesse, il est possible que certaines personnes ne supporte pas sa saveur forte et irritante. Mais je pense que les gens qui aiment vraiment le vin ne pourront pas résister à l’envie de posséder un vin avec une saveur aussi moelleuse et riche. »
– « Est-ce vrai ? » Roland se mit à rire : « C’est agréable à entendre, mais cette coupe ne contenait pas le plus fort des vins blancs. Je suis certain que je peux encore améliorer la richesse et le moelleux de sa saveur. Lorsque le moment sera venu, j’aimerais que vous le testiez à nouveau pour moi. »
« Euh, m’aurait-t-il choisie pour tester ses nouveaux vins ? »
Même si Evelyne était un peu confuse, elle répondit cependant : « Entendu, Votre Altesse. »
Lorsque les coupes et les assiettes furent débarrassées, le Prince ordonna à ses préposés d’apporter une pile de boîtes et de les placer sur la longue table.
– « Ce sont mes secondes créations. J’ai également un petit cadeau pour vous. » Il marqua une pause : « Il s’agit d’un vêtement spécial. »