Deux jours après le départ de Maggie, Roland, aidé des sorcières, entreprit d’assembler et d’installer dans la cour une nouvelle génération de montgolfières.

Suite à l’expansion du jardin arrière et du dortoir des sorcières, Leaves avait déplacé ses plantes dans la cour avant. Avec toutes les vignes qui recouvraient les murs et les cadres de bois le long des couloirs, on avait l’impression d’une forêt préhistorique. Pour cette raison aussi, elles offraient naturellement un excellent bouclier contre le soleil. Celui-ci filtrait uniquement par les petites ouvertures laissées dans cette voûte de feuillage dense et dispersait quelques points lumineux sur le sol.

Roland donna une pile de papier blanc aux sorcières et attendit qu’elles les aient étalées pour former comme un grand papier peint, puis il demanda à Soraya de dessiner le plus léger des enduits bleu ciel. Comparée à la première montgolfière, pour laquelle il avait utilisé une combinaison de membrane intestinale bovine et de toile, la nouvelle génération, qui reposait uniquement sur la méthode du revêtement, était beaucoup plus légère. En outre, elle était également très résistante. Comme il n’y avait pas de coutures, il n’y avait aucun risque qu’elle se déchire en plein air.

– « J’ai entendu dire par Foudre que des sorcières allaient peut-être venir des Fjords ? », Demanda Wendy, curieuse.

– « Peut-être en effet, si tout se passe bien », répondit Roland. A nouveau, il évoqua le contenu de sa réponse à la 5ème Princesse : « Mais nous devrons attendre la réponse de Tilly pour savoir ce qu’il en est exactement. »

– « Apparemment, Cendres a réussi », dit Wendy, songeuse. « Elles sont vraiment parvenues à réunir toutes ces sorcières sur l’Ile Dormante. »

– « Ouais… A mon avis, Tilly avait commencé à planifier la migration depuis un ou deux ans », répondit Roland en étendant les mains. « Elle avait depuis longtemps déjà envoyé des gens pour contacter discrètement les sorcières,  pas seulement à Graycastle mais également dans les trois autres royaumes. Votre Association de Coopération des Sorcière a certainement reçu une invitation elle aussi. Je suppose que c’est la raison pour laquelle lorsque nous avons répandu durant un bon moment la rumeur d’un refuge, aucune sorcière n’est venue frapper à notre porte. Tilly avait un pas d’avance sur nous.

« Cara ne nous en a jamais parlé », dit Wendy en se frotta les épaules.

– « Si elle avait mentionné l’invitation de Tilly, sans doute auriez-vous refusé de continuer à chercher la Montagne Sacrée, n’est-ce pas ? »

– « C’est possible, mais c’est grâce à cela que nous nous sommes retrouvées à Border Town. » Elle secoua la tête et sourit : « Par conséquent, c’était une bonne chose qu’elle ne le mentionne pas ».

– « Je le pense aussi », répondit Foudre en levant la main.

– « Tss, on ne peut pas affirmer avec certitude qu’il n’aurait pas été mieux pour nous de nous rendre dans les Fjords », fit Lily avec une moue. « La-bas, il n’y a que des sorcières, aussi lorsqu’elles sortent de chez elles, elles n’ont pas à se montrer particulièrement prudentes contrairement à nous ici, à Border Town. »

– « La situation s’est nettement améliorée », dit Anna avec ferveur. « Par le passé, je n’osais même pas sortir du tout »

– « Oui, certaines personnes sont ainsi. La dernière fois, Cendres a catégoriquement rejeté notre invitation, mais elle a tout de même agi », murmura Lune Mystérieuse pour elle-même. « Elle a simplement dit qu’elle n’était pas une traîtresse! »

– « Vous… » Lily ouvrit grand les yeux : « Imbécile! »

– « Traîtresse! »

Les autres sorcières ne purent s’empêcher de rire.

– « Je pense la même chose », dit Roland, soudain rempli d’un sentiment d’accomplissement.

Même si la 5ème Princesse était plus intelligente et plus vive d’esprit que lui et qu’il était peut-être moins puissant et déterminé que Timothy et Garcia, il était parvenu à offrir à ces sorcières un cadre de vie confortable où elles pouvaient vivre l’esprit libre et à son peuple, du même coup, une vie meilleure.

– « Ce ballon à air chaud… J’ai l’impression qu’il sera bien plus grand que le précédent », interrompit Rossignol en regardant la surface que Soraya avait déjà réussi à enduire. « Avez-vous l’intention de l’utiliser pour transporter les sorcières ? »

Roland hocha la tête :

– « La seule façon d’éviter d’avoir à passer par une ville portuaire est de traverser la mer jusqu’au sud de Border Town. En outre, en plus de servir à accueillir et emporter nos nouvelles visiteuses, il représente du même coup une autre tentative de vol. »

Le revêtement ayant été appliqué des deux côtés, il s’agissait à présent d’un matériau à double couche, d’une largeur et d’une longueur de près de six mètres. S’il avait été réalisé en toile brute ou en lin, il aurait été difficile pour une personne seule de le traîner. Mais comme il était fait d’un revêtement léger, le ballon n’était pas plus lourd qu’une pile de papiers. En combinant plus d’une douzaine de pièces comme celles-ci et en protégeant les raccords avec une couche supplémentaire de consolidation, on obtenait ainsi un coussin gonflable géant.

Roland voulait également tester la capacité de soudure du revêtement de Soraya. La peinture représentant une “épaisse écorce d’arbre” que la sorcière avait dessinée sur la table lorsqu’elle avait utilisé sa nouvelle capacité pour la première fois était encore fraîche dans son esprit. Les deux étaient si solidement liés que lorsqu’on tentait de saisir l’écorce des arbres et de la tirer vers le haut, toute la table se soulevait avec elle.

Par conséquent, le Prince voulait absolument savoir si le revêtement était en mesure de coller les morceaux de papier de manière à former un tout inséparable. Et si cela s’avérait possible, le revêtement pourrait alors permettre de conserver la forme de cette énorme poche gonflable tout en préservant ses propriétés d’étanchéité à l’air.

À l’heure actuelle, au lieu d’imiter un ballon à hydrogène que n’importe qui pouvait contrôler, il devait encore compter sur Anna pour gonfler le ballon à air chaud. Mais comme il possédait déjà un moteur à courant continu et qu’il pouvait produire de l’hydrogène en électrolysant l’eau, l’arrivée du “Zeppelin”, dirigeable historiquement célèbre, n’était plus guère éloignée. S’il parvenait à trouver un matériau léger approprié pour en réaliser le squelette, créer ce genre de monstre énorme pouvant voler à une hauteur de deux à trois mille mètres et qui n’avait quasiment aucun ennemi naturel poserait bien moins de difficultés techniques que d’autres aéronefs.

Bien que le taux de réussite des bombes lancées à haute altitude était très faible, l’ennemi ne pourrait y résister. Il ne pourrait qu’être vaincu sans la moindre possibilité de riposter. Aussi longtemps qu’ils tourneraient chaque jour autour du territoire ennemi, Roland se dit qu’il n’existait pas d’adversaire qui ne s’effondre pas sous la puissance du Zeppelin.

Il Imagina leur future bataille contre la Cité Sainte de l’Eglise : quatre ou cinq de ces aéronefs planant côte à côte dans les airs, laissant tomber des bombes comme tombe la pluie, de lourds bombardements de canons venant des canaux de la rivière en direction des portes de la Cité ennemie et des remparts… A cela viendrait s’ajouter l’infanterie, avec ses armes à feu, combattant depuis l’arrière. Imaginer qu’il possédait les trois branches de l’Armée, l’Armée de Terre, la Marine et l’Armée de l’Air et que celles-ci combattent était déjà excitant.

– « Votre Altesse, qu’est-ce qui vous fait rire à ce point ? »

Anna soupira et, incapable de se retenir de rire à son tour, se couvrit la bouche avec sa main.

– « Je présume qu’il est en train de délirer en pensant aux nouvelles sorcières », fit Lily en roulant les yeux. « Les hommes… »

On relia la partie inférieure de l’airbag à une grande nacelle à l’aide de cordes de chanvre. La nouvelle génération de ballons à air chaud s’achevait avec succès. Comparé à la première génération, son volume était quatre fois plus important et ce nouveau ballon pouvait transporter plus de dix personnes à la fois. En outre, la nacelle était équipée d’un auvent destiné à protéger les passagers des rayons du soleil. Afin de manager un emplacement d’où Anna pourrait insuffler de la chaleur au ballon, on avait laissé un trou dans l’auvent.

Roland nomma le ballon “Observateur des Nuages” et lorsqu’il eut achevé le test de charge lourde dans un espace ouvert de la cour, il décida que le premier essai de navigation aurait lieu le jour suivant.

À côté d’Anna, les autres membres de l’équipage de ce vol d’essai étaient Wendy, cinq autres sorcières et le  Prince en personne.

Le processus de navigation dans les airs se déroula sans encombre. Les sorcières, qui flottaient dans les airs, bavardaient constamment et soupiraient en regardant le paysage, spectaculaire du point de vue d’un oiseau. La dernière fois, elles l’avaient admiré à partir d’un point fixe, mais cette fois, le fait qu’ils soient constamment en mouvement en faisait une visite guidée qui suscitait encore plus l’intérêt. Wendy fournissant du vent en permanence, L’Observateur des Nuages avançait vers le sud. A midi, il arriva au-dessus des crêtes montagneuses et après avoir passé le drapeau inséré au sommet de la colline, il vint planer au-dessus du littoral.

Après avoir volé en cercle le long de la côte, l’Observateur des Nuages et toutes les personnes à son bord retournèrent au château. Durant le vol, Roland s’aperçut que Wendy, qui était chargée de contrôler la direction du vol, se frappait de temps en temps les épaules et semblait exténuée.

Il avait entendu dire que les femmes à forte poitrine souffraient fréquemment de  douleurs aux épaules. Cela pouvait être solutionné par l’utilisation de sous-vêtements bien ajustés. Que cela soit vrai ou non, il ne risquait rien à essayer. De plus, tandis qu’elle prenait de l’âge, le corps d’Anna se développait lui aussi. C’est pourquoi Roland décida de faire un petit cadeau aux sorcières adultes.