– « Regarde, c’est Dame Scroll ». Piper poussa discrètement Jilly du coude : « J’ai entendu dire qu’elle était chef du Ministère de l’Education. »

« Le Ministère de l’Education… Le Ministre ? » Cette dernière se demandait : « Qu’est-ce que c’est? »

– « C’est la personne qui dirige les enseignants. Les enseignants que vous aimez le plus comme Maître Ferlin et ceux que vous détestez le plus, Maître Harben », expliqua Piper.  Tous sont supervisés par Dame Scroll. »

– « Où avez-vous entendu cela ? » Jilly cligna des yeux, étonnée. « Cela vient-il de cette personne importante que vous avez mentionnée ? »

– « Hrumph, bien sûr », répondit-elle fièrement en souriant. « Et ce n’est pas tout, j’en sais davantage. Aujourd’hui, ce ne seront pas seulement les officiels de la Mairie qui viendront à la cérémonie de remise des diplômes. Le Seigneur en personne sera présent! »

-« Vraiment ? » s’écria la jeune fille dont  les yeux s’illuminèrent. « Son Altesse Royale viendra nous parler ? »

– « Euh… pour ça, je l’ignore », répondit Piper en se touchant l’arrière de la tête. « Probablement. »

Après tout, il savait tout cela de son grand frère, Van’er, qui était à présent  considéré comme une personne importante. À l’origine, il n’était qu’un travailleur de gravier ordinaire dans le quartier, mais en entrant dans la milice, il était immédiatement devenu chef de peloton et avait commencé à diriger plusieurs soldats. A présent, il était officier d’artillerie de la Première Armée, avec un salaire mensuel de 25 Royals d’argent et la possibilité de serrer la main du Prince et de lui parler!

Même s’il passait la majeure partie de son temps à la caserne, à chaque fois qu’il venait leur rendre visite, il rapportait toujours de nouvelles histoires et des informations intéressantes. Et, comme toujours, Piper était venue à sa porte pour le harceler à ce sujet, voulant tout savoir d’est en ouest. En tant qu’ancienne voisine et admiratrice du grand frère Van’er, Piper connaissait souvent les informations à l’avance par sa bouche.

Une semaine auparavant,  Van’er lui avait annoncé que Son Altesse assisterait personnellement à la cérémonie de remise des diplômes. Pour cette raison, la Première Armée avait reçu un ordre de protection et d’alerte et organisé un exercice non loin du collège.

Et en effet, après un court moment, une troupe de soldats en uniforme, débordant d’énergie arrivèrent, entourant Son Altesse et le Chevalier en Chef pour les escorter.

En les voyant arriver, la foule s’agita.

Après que les soldats eurent encerclé l’entrée du collège, Roland entra dans le hall et fit signe aux rangées d’étudiants:

– «Mon peuple, comment allez-vous? Je suis Roland Wimbledon, Seigneur de Border Town et responsable du Territoire de l’Ouest. Félicitations, vous êtes le premier groupe de diplômés de Border Town à avoir terminé la totalité du programme de l’enseignement primaire. »

La foule s’était tue soudain. Non qu’elle soit indifférente, mais parce que la plupart des gens étaient si excités qu’ils ne savaient comment réagir.

Jilly , qui n’avait pas lâché le bras de Piper, s’exclama:

–  «Son Altesse s’adresse à nous! »

Piper se sentait également inspiré : de cette façon, lui et le grand frère Van’er avaient tous deux un contact étroit avec Son Altesse.

– « La raison pour laquelle vous avez été capable de passer rapidement l’évaluation et d’avoir obtenu votre diplôme est que la plupart d’entre vous étiez d’anciens élèves de Karl van Bate. Vous aviez donc une avance par rapport aux autres étudiants. Par conséquent, gardez- vous de devenir arrogants ou complaisants. Une foule de connaissances dans le monde n’attendent que vous pour être explorées. » Après un court instant, Roland poursuivit : « Ce  n’est pas une raison pour ne pas célébrer cette journée. À compter de ce jour, votre chemin sera très différent de celui des autres. Quel que soit le travail dans lequel vous vous engagerez, vous serez toujours en mesure de recevoir de riches récompenses. Aujourd’hui, je  suis  ici  pour  vous  exprimer  mes félicitations! »

– « Son Altesse… longue vie! » Piper ne sut pas qui avait commencé, mais par la suite, tout le monde se mit à crier : « Vive Son Altesse! Je suis prêt à servir Son Altesse! »

Roland attendit que les applaudissements se calment et dit gaiement :

– « A présent, je vais vous remettre votre diplôme comme preuve honorifique de fin d’études. » Il ouvrit un livret : « Piper ».

Piper sentit tout son corps commencer à trembler. Il regarda en direction du prince, ouvrit la bouche, mais fut incapable de dire un mot.

Le voyant se figer, le professeur Ferlin Eltek se tourna vers lui et lui fit signe :

– « N’ayez pas peur, approchez-vous de Son Altesse. »

Piper sortit lentement des rangs. Son cœur sautait si fort qu’il pouvait l’entendre. Il se rappela soudain que Van’er mentionnait fréquemment un salut militaire plus simple que le rituel chevaleresque de la noblesse pour exprimer sa loyauté et son dévouement, qui lui avait été indiqué par le Prince lui-même. Bien qu’il ne connaisse pas la posture spécifique, il rassembla tout son courage et plaça sa main à plat devant son front.

Le prince se mit à rire, hocha la tête et tendit le livret à Piper.

– « A l’avenir, si vous voulez refaire ce salut, déplacez un peu votre main de manière à ce qu’elle soit alignée avec votre oreille, de cette façon ce sera plus dans les normes… Félicitations pour votre diplôme. »

– « M-merci ».

Piper prit le livret et retourna dans les rangs, raide comme un sac de bois. Ce n’est que lorsque Son Altesse remit le diplôme aux autres personnes qu’il parvint à se rétablir.

– « Montrez-moi ce qui est écrit dessus ». Jilly, curieuse, tourna la tête.

– « Vous allez avoir le vôtre. Pourquoi tant d’inquiétude ? », chuchota Piper. Il ouvrit le livret de ses mains tremblantes et découvrit un parchemin recouvert de fines mailles. Dans le coin supérieur gauche était peint son portrait, au centre se trouvait l’emblème royal avec sa tour et sa pique. Quelques lignes de textes y étaient également inscrites. Six mois auparavant, il aurait été contraint de se rendre chez Maître Karl pour lui demander la signification des lettres. Mais aujourd’hui, Piper, qui possédait les bases de la lecture et de l’écriture, put le lire mentalement en toute tranquillité.

Collège de Border Town, premier cycle d’études supérieures : Piper

Doyen : Scroll

Émetteur : Roland Wimbledon, Seigneur de Border Town.

Lorsque Roland eut remis tous les diplômes, il frappa dans ses mains pour réclamer l’attention.

– « À compter de ce jour, vous êtes en mesure d’accéder à des emplois qualifiés auxquels les gens ordinaires n’ont pas accès et de toucher un généreux salaire d’au moins dix Royals d’argent par mois. Par la suite, Mademoiselle Scroll vous donnera tous les détails au sujet des emplois disponibles de l’Hôtel de Ville. » Il leva la main pour interrompre toute discussion : « Vous n’êtes pas obligé de choisir de suite. Rentrez tranquillement chez vous et discutez-en avec vos familles. Lorsque vous aurez pris votre décision, prenez votre carte d’identité et votre certificat d’études et rendez-vous à l’Hôtel de Ville pour déposer votre demande. »

Profitant de ce que Dame Scroll présentait les différents emplois, Jilly se rapprocha de Piper et demanda :  

– « Avez-vous une idée de ce que vous voulez faire ? Je voudrais travailler à l’usine de vélo. Le salaire y est plus élevé que celui de mon père et j’aurais aussi la chance d’avoir une bicyclette gratuite! »

– « C’est vraiment super », répondit Piper, désinvolte.

Récemment, sur la place de la ville, quatre grandes plaques de bois avaient été érigées, en haut desquelles figuraient les portraits de Son Altesse et de quelques ministres. Ceux-ci étaient assis sur d’étranges montures de fer ou debout à côté. Ces bicyclettes étaient devenues le sujet de conversations enthousiastes. Et avec un salaire de 15 Royals d’argent par mois, s’il n’avait pas été requis d’avoir terminé l’éducation générale, de l’avis de Piper, l’usine serait déjà certainement bondée au point d’éclater.

Mais il avait pensé à un meilleur endroit.

Depuis la Cérémonie d’Honneur et de remise des Prix, Piper ne cessait de se revoir debout au même endroit que son ancienne camarade de classe Nana. Ce jour-là, il avait reçu la gloire en se voyant remettre une récompense de la part de Son Altesse, sur une estrade au centre de la place devant des milliers de personnes.

Selon Son Altesse Royale, s’il voulait être honoré, il lui fallait devenir un contributeur exceptionnel à la ville. S’il décidait de travailler dans l’usine de fabrication de bicyclette, il n’aurait sans doute jamais une telle opportunité. Mais il ne pouvait pas non plus, comme Hache-de-Fer, mener la charge durant une guerre. Il n’avait pas non plus l’incroyable capacité d’une sorcière, aussi le seul exemple qu’il pouvait suivre était celui du Chef Alchimiste Sichi.

Il avait entendu dire plus d’une fois que s’il parvenait à saisir le principe de l’affinage d’un produit alchimique, il apporterait immédiatement une immense richesse et un grand prestige au territoire et aurait du même coup réalisé quelque chose qui lui vaudrait le titre de sage. Pour cela, nul besoin d’être courageux ni d’avoir de solides antécédents. Il lui fallait seulement un peu de chance… et de le faire de la manière la plus appropriée.

A force de réfléchir, Piper avait pris sa décision.

– « Je vais aller m’inscrire et demander un emploi au laboratoire de chimie », dit-il en appuyant chaque mot.