La cérémonie d’honneur et de remise des prix dura jusqu’à midi, Roland devant assumer à la fois le rôle de commentateur et d’hôte. Heureusement, la cérémonie se déroula parfaitement et le salut d’Echo retenti en même que la cloche de midi. Baigné de sueur, Roland rentra au château, monta au troisième étage, et fut surpris de trouver Anna adossée à la porte de son bureau.

– « Qu’est-il arrivé ? »

– « Entrons dans votre bureau et je vous dirai tout », dit-elle avec un clin d’oeil.

« Je doute que ce soit un piège », pensa Roland, confus. Il ouvrit la porte et resta figé de surprise. Les douze sorcières étaient alignées sur deux rangs devant lui, Wendy et Scroll en tête. Lorsqu’elles aperçurent le Prince, toutes lui firent la révérence.

« Heu…, que faites-vous ? »

Scroll parla la première :

– « Votre Altesse, vu ce que vous avez accompli aujourd’hui, vous nous avez prouvé votre sincérité. Nous vous en sommes profondément reconnaissantes et n’avons pas de mots pour vous exprimer notre gratitude. En retour, nous tenons à vous assurer de notre fidélité »

– « C’était donc ça », dit Roland, soulagé. « J’ai cru que vous vouliez toutes me quitter. »

Wendy ne put s’empêcher de rire :

– « Mais, Votre Altesse, c’est impossible! Nous avons trouvé ici la Montagne Sacrée dont nous rêvions. Si vous ne nous chassez pas, nous resterons toujours auprès de vous. »

– « C’est également mon souhait. Je n’ai pas agi ainsi simplement par altruisme, moi aussi j’avais besoin de vous. Vous ne me devez rien. Ne soyez pas aussi formelles, je préfère vous voir détendues. »

– « Je savais bien qu’il n’était pas nécessaire d’être aussi cérémonieuses » dit Lily. « Comme vous pouvez le constater, vous l’avez inquiété avec votre sérieux. »

– « Comment pouvez-vous dire cela, traîtresse ? Vous étiez d’accord pour venir », murmura Lune Mystérieuse.

– « Bon, Son Altesse a besoin de se changer. Allons à la salle à manger », ordonna Scroll. « J’ai appris par Anna que vous vous couchiez tard depuis quelques temps. Prenez bien soin de vous, il ne faudrait pas que vous vous effondriez avant d’avoir atteint vos objectifs. »

– « Rassurez-vous », sourit Roland. « Je vais bien. »

L’une après l’autre, les sorcières sortirent de la pièce, sauf Anna.

– « êtes-vous restée vous aussi pour m’exprimer votre gratitude ? » Demanda Roland pour la taquiner.

– « Je suis tout à fait d’accord avec elles », répondit Anna, « je n’aurais jamais assez de mots pour vous exprimer ma reconnaissance. »

– « Pensez-vous rester toujours à Border Town ? »

— « Non, je ne pense pas. »

Surpris, Roland sursauta.

– « Pour quelle raison ? »

– « Parce que je ne pense pas que vous resterez toujours ici » répondit Anna en inclinant la tête. « Je vous suivrai où que vous alliez. »

Cela lui fit chaud au cœur. Depuis qu’il connaissait Anna, elle lui était toujours restée fidèle et resta à ses côtés même lorsqu’il avait combattu les bêtes démoniaques, malgré les sollicitations de l’Association de Coopération des Sorcières.

Anna s’approcha et l’embrassa doucement.

– « Un instant, je suis en sueur », dit Roland, gêné.

Pour toute réponse, la jeune femme posa sa tête sur sa poitrine et prit une profonde inspiration, comme si elle voulait se souvenir de son odeur. Il ne la repoussa pas mais la serra longuement dans ses bras.

Lorsqu’il eut déjeuné, Roland se rendit à la salle de bain, prit une douche fraiche et se remit ensuite au travail.

Il avait convoqué Karl van Bate. Il étala une carte détaillée de Border Town sur la table, puis indiqua un point au bord de la rivière Redwater :

– « Je voudrais que vous construisiez un pont à cet endroit. »

– « Vous ne préféreriez pas un ponton ? »

Karl réfléchit un moment et dit, « Votre Altesse, excusez ma franchise, mais à l’endroit que vous m’indiquez, la rivière fait plus de 100m de large. Il sera impossible d’y construire un pont de pierre. Nous ne pourrions jamais édifier un pont qui atteigne plus du tiers de la largeur de la rivière. De plus, le débit de la rivière est si intense que le pont ne subsisterait pas très longtemps, même s’il reposait sur des piliers de la taille d’un homme. Nous ne pourrions construire que des pontons de bois. Il est impossible de réaliser un pont reliant les deux berges du fleuve. »

– « Le pont que je vous demande de construire ne sera pas de pierre mais d’acier », répondit Roland. Vous n’aurez qu’à déterminer sa hauteur pour qu’un voilier puisse passer. »

« Le pont devra se trouver à 6/7 mètres du niveau du sol », dit Roland. Il traça un rapide schéma d’un pont de fer à trois travées. « Afin de donner au plus vite accès à la rive sud et de pouvoir construire des quais, il nous faut absolument un pont, mais celui-ci ne doit pas empêcher les bateaux de passer. Un ponton, même s’il est facile à construire, bloquerait le trafic fluvial, ce qui serait défavorable pour le développement de notre ville. »

Depuis que Roland avait envoyé la Première Armée à la Cité du Roi, il avait appris beaucoup de choses. De toute évidence, la rivière reliait les plus grandes villes. S’il voulait lancer  d’autres opérations militaires à l’intérieur du royaume, il lui faudrait utiliser l’artillerie lourde. Il pourrait ainsi asseoir sa supériorité militaire.

Le calibre de l’artillerie de combat était bien supérieur à celui des canons de campagne. S’il souhaitait construire davantage de navires, il lui faudrait également un quai, c’est pourquoi il avait eu l’idée d’édifier un pont.

– « Mais je ne suis pas expérimenté! » s’exclama Karl.

– « Moi non plus » répondit Roland. « Comme c’est la première fois, il faut avancer prudemment. Vous n’avez qu’à construire le pont sur la rive, vous pourrez ensuite l’installer sur la rivière.» Roland lui fit découvrir le concept du préfabriqué, que l’on avait plus qu’à transporter sur le site de construction. « C’est comme lorsque nous avons construit des châteaux d’eau. Colibri en a réduit le poids et Anna, votre élève, a contribué à souder les pièces. Si nous procédons de la même manière, nous devrions pouvoir le réaliser très facilement. »

– « Votre Altesse, je suis à vos ordres », acquiesça-t-il.

– « J’ai également un projet extrêmement important à vous confier », dit le Prince en indiquant du doigt le château, « j’ai l’intention d’agrandir la cour arrière. Je veux qu’elle englobe toutes les terres environnantes, et vous devrez m’y bâtir un immeuble de trois étages. »

En principe, les sorcières envoyées par Tilly étaient supposées arriver à Border Town le mois suivant, mais il n’y avait plus assez de place au château.

Même si temporairement il pouvait s’organiser de manière à ce que les chambres puissent héberger trois personnes, avec le temps, le nombre de sorcières n’allait pas tarder à augmenter et les choses ne pourraient rester en l’état. Afin de les convaincre de rester, le Prince faisait tout pour leur offrir un cadre de vie agréable. Même les gens du moyen âge y seraient sensibles.

– « Une maison de briques de trois étages ? »

– « Cette maison n’est pas faite que de briques », répondit Roland en souriant. « Il serait plus exact de dire que sa structure est un amalgame de briques et de béton. Tous les piliers et  poutres de la maison sont faits de béton armé. C’est un peu comme un squelette humain. Avec ce type de construction, vous pourriez édifier un immeuble de 4 ou 5 étages. »

– « Du béton armé ? » s’exclama Karl, confus.

– « Il s’agit d’un mélange de sable et de pierre que l’on renforce avec des barres d’acier », expliqua Roland. « Il va de soi que nous devrons calculer strictement la quantité nécessaire pour chaque ingrédient, mais si nous réussissons, ces murs seront bien plus résistant que le calcaire. »

Mais tout cela n’était que théorie. La qualité du ciment était différente selon qu’on la fabriquait dans les zones rurales ou dans des usines spécialisées. Et il en allait de même pour la qualité des barres d’armature en acier … Les gens qui vivaient dans les zones rurales, lorsqu’ils construisaient eux-mêmes leurs maisons, n’utilisaient ni pierres ni bambous ni des barres d’armature en acier. Roland s’étant rendu à la campagne, il avait pu juger les méthodes de construction utilisées  plusieurs de cette région.

À présent, il allait s’en occuper personnellement. Il s’agissait seulement de construire une maison de trois étages.

De plus, il espérait que le projet de construction pour les sorcières permettrait à Karl d’en saisir le concept et d’en changer la forme, afin de le transformer en un parfait élément de construction pour en faire un bon matériau comme la pierre manufacturée. Cependant, Roland n’était pas compétent en architecture, il n’en avait qu’une connaissance superficielle. Il pensait donc qu’élargir les horizons du maçon et l’amener à les développer lui-même était la bonne approche.

– « Laissez-moi, je vous prie, m’en faire une idée par moi-même ? », demanda Karl.

– « Non » sourit Roland, « Je préfère vous l’enseigner. »