Après le dîner, Anna emporta une grande quantité de champignons Bird Beak dans la cuisine.
À sa demande, Maggie avait ramassé ces champignons blancs immaculés dans la forêt Secrète. Ils étaient différents des champignons communs, les Bec d’oiseaux qui poussaient généralement sur les plus grands arbres. Ceux-ci survivaient en absorbant les nutriments des arbres et constituaient la nourriture préférée de certaines races d’oiseaux. Leur goût était délicieux et leur chair charnue, mais on ne pouvait pas les trouver facilement depuis le sol et rares étaient les gens disposés à grimper aux arbres pour les cueillir.
Sa mère avait coutume d’en ramasser chaque année pour son anniversaire, suffisamment pour en faire deux plats. Comparés au pain et à la bouillie fade, son goût était difficile à oublier. Même si désormais elle n’avait plus à se soucier de manquer de nourriture, elle voulait tout de même faire goûter à Roland cette spécialité des régions de l’Ouest. Il était toujours si occupé.
Les fours étaient éteints mais, pour Anna, ce n’était pas un problème. Elle prit du bois de chauffage, le jeta dans le four et invoqua sa flamme noire. Quelques instants plus tard un feu dense brûlait dans la chambre.
À cet instant précis, Rossignol sortit du mur :
– « Hey, que faites-vous ? »
Je prépare quelque chose à manger pour Son Altesse. Ces temps-ci, il travaille tard. Et Vous ? »
Rossignol, honteuse, se mit à rire :
– « Je suis juste venue chercher un en-cas… J’ai un peu faim ». Elle marqua une pause et demanda, curieuse : « qu’alliez-vous préparer ? »
Anna ouvrit le paquet, et montra ses Becs d’Oiseaux :
– « Les champignons rôtis au miel et la soupe sont une spécialité régionale de Border Town, voulez-vous essayer ? »
Rossignol hocha la tête et demanda :
– « Pourriez-vous m’apprendre à les cuisiner ? »
– « Bien sûr, répondit Anna, c’est assez facile. »
Elle coupa les champignons et les partagea avec Rossignol.
– « D’abord il faut enduire les champignons de beurre et les faire rôtir de tous côtés. Ne les faites pas cuire trop longtemps sinon ils seront brulés. »
– « Entendu », dit Rossignol. Elle prit des champignons et les enduisit comme le lui avait montré Anna.
– « Est-il exact que Son Altesse, depuis quelques temps, travaille vraiment très tard la nuit ? »
– « Oui. Il cherche de la place pour les réfugiés et dessine des plans pour de nouvelles machines. Il se couche rarement avant minuit. Il m’est arrivé à plusieurs reprises de passer à côté de son bureau. Je voyais encore la lumière des bougies sous la porte. Anna fit un signe de tête et demanda : « Vous êtes partie pendant deux semaines… Son Altesse a dû vous manquer ? ».
Rossignol ne s’attendait pas à cette question. Sa main se mit à trembler et elle laissa tomber dans l’huile le champignon qu’elle tenait :
– « Euh… ce n’était pas si terrible… »
– « Je ne parlais pas que de vous. Son Altesse a également dû manquer à Foudre, Lily, Echo et Wendy. Elles voulaient revenir plus tôt car il n’y avait nulle part où se baigner. »
Anna sentit soudain que son interlocutrice avait une expression étrange : » Hey, que s’est-il passé ? »
– « Rien », répondit Rossignol. Nerveuse, elle prit un autre champignon et répondit avec un sourire gêné : « En réalité, j’avais l’impression que… J’avais hâte de rentrer. »
– « C’est vrai ? »
Anna prit les champignons enduits d’huile et les jeta sur le feu ; « Personnellement, je ne pourrais pas quitter Son Altesse durant deux semaines. Au bout d’à peine quelques jours, j’aurais hâte de le revoir. »
Elle n’oublierait jamais le jour où elle avait rencontré Roland Wimbledon dans le donjon. À chaque fois qu’elle y pensait, son cœur était rempli de chaleur et de gratitude. Sans Son Altesse, si elle avait survécu, ç’aurait été pour vivre l’ignorance et la confusion, comme ces citadins apathiques.
Son Altesse lui avait appris à quel point le monde était beau. Qu’il s’agisse des steaks au poivre recouverts de pâte de soja, ou des “fondements théoriques des sciences naturelles”, en entrant dans sa vie, il lui avait fait découvrir toutes sortes de nouvelles choses et lui avait donné le sentiment qu’elle n’était pas comme les autres mais était une sorcière toute à fait unique.
Elle était persuadée que les autres sœurs ressentaient la même chose : il suffisait qu’elles soient en contact avec Son Altesse durant quelque temps pour succomber à son charme unique.
– « Oh mon Dieu, je l’ai cuit trop longtemps, non ? » dit Rossignol en levant sa fourchette et montra à Anna qu’un côté du champignon était brûlé.
– « Un peu… », répondit Anna qui ne put se retenir de rire. « Les becs d’oiseau sont très tendres, il n’est donc pas nécessaire de les faire rôtir longtemps, essayez encore et vous comprendrez. Pendant ce temps, je vais préparer ce qu’il faut pour le ragoût. »
Rossignol saupoudra le champignon légèrement brûlé de miel et de sel et le jeta dans sa bouche ;
– « Eh bien, c’était quand même délicieux. »
Voyant Anna mélanger avec habileté toutes sortes d’herbes et autres ingrédients, elle demanda curieuse : « Vous l’avez fait souvent ? »
– « Mettre des aliments à mariner, broyer de la farine… » je faisais souvent ces petits emplois. J’allais voir les nobles pour leur demander un travail saisonnier, j’aider à laver et à raser les moutons du voisin », J’ai cessé lorsque je suis allée au collège de Maître Karl. » Elle marqua une pause et poursuivit : « Lorsque ma mère est morte, mon père ne m’a plus permis d’aller à l’école. Je n’avais même plus le droit de quitter la maison. »
– « Je suis désolée… »
– « Tout cela n’a plus d’importance, c’est du passé maintenant », répondit Anna dont les yeux brillaient comme un lac sous un clair de lune. « J’ai beaucoup de chance, comparée aux autres sorcières. »
Sur la flamme, les champignons émincés émirent un grésillement. Elle saupoudra quelques grains de sel et les fit griller des deux côtés. Une odeur fraîche et parfumée leur parvint rapidement aux narines. La saveur lactée du beurre chauffé et celle, unique, des champignons Becs d’Oiseaux les fit saliver. Pour finir, elle les enroba de miel. Les champignons étaient prêts.
Les deux femmes terminèrent également l’assaisonnement et la cuisson de leur ragout de champignons.
– « ça a l’air bon », dit Rossignol en dévorant un autre morceau. « Il s’avère que j’ai également un don pour la cuisine… Pff! À : mon avis, ce morceau était un peu salé. »
– « C’est l’heure », dit Anna en voyant par la fenêtre qu’il faisait nuit. « À mon avis, nous devrions les apporter maintenant à Son Altesse. »
– « Pouvez-vous lui apporter également le mien ? » demanda Rossignol en joignant les mains. – « S’il vous plaît. »
– « Vous ne m’accompagnez pas ? »
– « Je ne peux pas », répondit-elle en riant. « Je ne sais plus quelle attitude adopter face à lui. »
Anna fut surprise par cette réponse inattendue, mais avant même qu’elle n’ait pu lui demander des explications, Rossignol s’était volatilisée.
« Quelle importance de montrer telle ou telle expression, que je sourie ou que j’ai l’air triste, c’est normal. Son Altesse ne m’a jamais jugée lorsque je suis sortie de prison et que tous mes espoirs s’étaient réduits en poussière. Pourquoi cherche-t-elle à l’éviter ? »
Elle réfléchit un moment mais, ne parvenant pas à comprendre, elle secoua la tête, prit le plateau contenant la soupe et les champignons et se rendit au bureau.