Roland ouvrit la lettre et remit à Maggie un morceau de bœuf séché.

– « Googoo ». Celle-ci ouvrit son bec, saisit la viande, et en trois bouchée, l’avala, tout en rentrant sa tête dans ses plumes.

« Mon bien cher frère, ou devrais-je dire Votre Altesse Royale, j’espère que cette lettre vous trouvera en bonne santé.

J’ai bien reçu votre lettre. J’approuve de tout cœur votre point de vue. Même si je ne comprends pas pourquoi votre caractère a soudain changé, vous n’êtes plus le dandy que vous étiez jadis. Vous êtes même allé jusqu’à aider les sorcières : A présent, nous avons un ennemi commun : l’Église.

Peut-être savez-vous que je suis également sorcière, ce qui fait de moi une personne crédible. Cependant, je ne parviens pas à comprendre que vous, en tant que Prince et donc membre de la noblesse, soyez parvenu à gagner la confiance d’autant de sorcières. Depuis que j’ai reçu votre message, je me demande comment vous avez réussi cet exploit! Si vous étiez semblable aux autres nobles, qui considéraient les sorcières comme des outils et rien de plus, vous n’auriez jamais pu convaincre Cendres, et elle n’aurait jamais permis à Maggie de rester à Border Town.

Maggie a également mentionné une machine à vapeur, ainsi qu’une théorie selon laquelle le savoir pouvait permettre à une sorcière de faire évoluer sa magie. Ce serait fascinant. J’aimerai beaucoup avoir l’occasion d’en discuter avec vous.

J’ai bien réfléchi à votre invitation et ne vois aucune raison de la refuser. Une véritable alliance nécessite une confiance mutuelle. Si jamais nous nous montrions lâches et indécis, nous ne ferions qu’aider l’Église. C’est pourquoi je joins à cette lettre une liste récapitulative des principales capacités des sorcières vivant sur l’île Dormante. Vous pourrez ainsi choisir celles qui vous sont les plus utiles, et me le ferez savoir par l’intermédiaire de Maggie. Sauf imprévu, elles seront chez vous d’ici un mois.  Mais pour des raisons de sécurité, je ne vous en enverrai que cinq pour commencer.

Je vous demanderai par contre de garantir leur sécurité durant le voyage et de bien vouloir m’envoyer des gens pour y veiller. Si une sorcière venait à disparaître, que ce soit à Border Town ou sur l’île Dormante, ce serait une grande perte pour nous et cela jetterait une ombre sur notre coopération. J’espère que vous aurez pour elles la même attention que pour vos propres sorcières. Et si vous le voulez bien, je vous prie de leur permettre de participer aux cours du soir. Je serais ravie qu’une de mes sorcières puisse évoluer.

Comme vous l’avez dit, l’Église a dévoilé ses plans, qui étaient de nous soutenir pour annexer les Quatre Royaumes. J’espère que lorsque ce jour viendra, vous serez prêt à y faire face. Sachez que si jamais ce n’était pas le cas, vous trouverez toujours refuge sur l’île Dormante. Soyez assuré que je vous aiderai de mon mieux dans votre combat pour repousser l’invasion de l’Église.

Mettons enfin fin à l’oppression de l’Église et construisons un nouvel ordre : Un royaume dans lequel ni les sorcières, ni nulle autre personne souffriront sans raison.

« Votre sœur, Tilly Wimbledon. »

Il reposa la lettre avec un plaisir indicible. Après l’avoir rangée, il prit un autre morceau de bœuf séché et l’offrit à Maggie.

Celle-ci sortit aussitôt la tête pour le dévorer. “Goo!”

Il caressa doucement les plumes lisses de son cou. Elle plissa les yeux de satisfaction.

– « Cela a dû être dur pour vous, mais Foudre a accompagné la flotte jusqu’à la Cité du Roi, et elle ne reviendra que dans quelques jours », dit Roland avec un sourire. « En attendant, vous pouvez jouer avec Nana ou Leaves, utiliser la salle de bain ou simplement vous allonger pour vous reposer. »

Maggie étendit ses ailes, s’envola par la fenêtre et disparut bientôt.

Sans doute voulait-elle dire : “Je ne suis pas fatiguée, je vais aller les rejoindre pour jouer avec elles”, interpréta Roland, qui finissait par comprendre son langage, même lorsqu’elle parlait sous sa forme de pigeon.

Etais-ce par habitude ?

De plus il n’aurait jamais imaginé que Tilly accepterait son invitation, et y joindrait même une liste concernant les capacités des sorcières. C’était un véritable trésor! La lettre ne précisait pas combien de temps elles resteraient, cependant si elles voulaient suivre le programme complet d’enseignement primaire, elles devraient passer au moins six mois à Border Town. S’il parvenait à prolonger les cours durant une année complète, quel changement les sorcières apporteraient-elles à la ville ?

De plus, si elles parvenaient à évoluer, il en tirerait de plus grands bénéfices. Elles l’aideraient à améliorer Border Town, et si un jour elles retournaient à l’île Dormante, elles resteraient pour lui un symbole vivant de propagande. Grâce au bouche à oreille, de plus en plus de sorcières viendraient à Border Town, et Tilly ne pourrait rien faire pour empêcher ce développement. Roland était persuadé que sur le long terme, il valait mieux faire preuve de sincérité que de jouer sur des promesses ou de l’intimidation.

D’une manière générale, il fut agréablement surpris par cette réponse. Son attitude ouverte et positive lui donné l’impression qu’elle était une coéquipière parfaite envoyée par le destin. De cette façon, il ne serait plus seul pour combattre l’Église. Il avait pensé depuis longtemps à établir une route sûre pour éviter le port de Clearwater et la région du Vent de la mer. Il pensait traverser directement les terres inhabitées au sud de Border Town. Arrivé aux pieds de la montagne, il pensait traverser en montgolfière pour accéder directement à l’arrière-pays. De cette façon, il n’aurait à se soucier ni des forces de l’Église, ni de Timothée, ni de Garcia.

Plus Roland y réfléchissait, plus il était excité. Désireux de parer au plus pressé, Il se concentra sur les questions qui devaient absolument être résolues. Il avait un mois pour choisir quelles sorcières devaient être envoyées à Border Town, le plus urgent étant de construire de nouveaux logements.

Depuis que la Première Armée était arrivée à La Cité du Roi, Les réfugiés ne cessaient d’affluer à Border Town. Afin d’éviter que la maladie ne se propage, Roland avait aménagé une zone à l’ouest du mur à leur intention. Il avait fait construire de longues rangées de hangars en bois afin de fournir un refuge temporaire aux réfugiés. Avec les serfs qui vivent de l’autre côté de la rivière, ils étaient déjà plus de 8000. Si cela continuait ainsi, ils seraient bientôt 10000.

Pourvoir à leur nourriture n’était pas un problème. Depuis la fin des mois des Démons, Border Town n’avait cessé d’importer de la nourriture, mais la question du logement était un gros problème. Durant l’été, ce n’était pas un problème de vivre dans un abri de bois, non seulement il les protégeait du soleil et de la pluie, mais il y avait également une excellente ventilation, même si les moustiques étaient très nombreux. Une fois l’hiver arrivé, il ferait aussi froid à l’intérieur qu’à l’extérieur. Si Roland ne parvenait pas à leur construire des maisons en briques, probablement ces gens ne survivraient-ils pas. En d’autres termes, Border Town devrait construire des maisons et des dortoirs pour 10’000 personnes au cours des six prochains mois.

Roland prit une nouvelle feuille de papier et saisi sa plume.

Il avait l’intention d’utiliser une partie des ouvriers en chantier sur l’avenue du Royaume pour construire les maisons. Ce ne serait pas un gros problème si la construction de la route était retardée d’une dizaine de jours par mois, mais ces réalisations n’auraient plus aucun sens si les gens mouraient sur ses terres. Même s’il venait d’arriver, qu’il n’avait pas d’argent et qu’aucun noble ne voulait l’aider, il était prêt à tout pour que personne ne meure de faim ou de froid durant les Mois des Démons. À présent, avec l’association des sorcières, la machine à vapeur, les revenus substantiels et la main-d’œuvre, il ne pouvait pas laisser une telle situation se produise.

Soudain Carter entra dans le bureau.

 – « Votre Altesse Royale, je suis porteur de mauvaises nouvelles », dit-il d’un air grave, « Le laboratoire de chimie vient d’exploser. »