Finalement, Soraya réussit à résoudre le problème du miroir.
Selon ses dires, elle était allée chercher du mercure au laboratoire et l’avait étalé directement sur le verre. Puis elle avait peint une couche brillante par-dessus. Elle obtenait ainsi un effet similaire à celui d’un miroir au mercure, en limitant de surcroît les risques d’empoisonnement associés aux émanations.
Comparé à un miroir argenté, celui-ci offrait une bien meilleure réflexion. Par la suite, Roland mit de côté un certain nombre de pièces de cristal afin que chaque sorcière puisse avoir son petit miroir à main. Ce petit cadeau, qui permettait aux sorcières de voir à quoi elles ressemblaient, leur créa une immense joie. Scroll elle-même, qui généralement affichait toujours un air neutre, sourit, ce qui était plutôt rare. Roland eut un soupir de regret : même si les sorcières n’étaient pas fertiles, c’étaient toujours des femmes.
« Malheureusement, pour le moment, je ne peux vendre ces articles, pourtant bien utiles, à bas prix au public. Ils sont faits de cristal, qui est un produit très onéreux. De plus, le laboratoire en utilise énormément pour fabriquer ses récipients transparents. »
Kyle Sichi, contrairement à ce que l’on pourrait penser, savait comment fabriquer du cristal, mais le laboratoire avait bien d’autres tâches à gérer, de sorte que tous étaient en permanence occupés. La plupart des apprentis raffinaient les deux acides pour y tremper le fulmicoton. L’Alchimiste en chef, aidé de deux ou trois disciples, se consacrait totalement à la résolution du problème de la fabrication du fulminate de mercure. Tant qu’ils n’auraient pas poussé les recherches au maximum concernant la méthode de fabrication de l’acide industriel, ils n’entreprendraient rien d’autre.
En plus du miroir réfléchissant, Roland avait également suggéré qu’au lieu de déplacer manuellement le plateau pour contrôler la distance à l’objet, il était également possible de le faire en tournant un petit bouton sur le côté. Il n’eut besoin que de quelques mots pour décrire la différence de fonctionnement et Anna comprit immédiatement ce qu’il voulait dire. Elle invoqua sa flamme noire et construisit immédiatement le nouveau cadre stabilisateur. Puis elle choisit les deux lentilles qui offraient un degré maximal de grossissement et créa ainsi le tout premier microscope optique.
Un après-midi, profitant de ce que la lumière du soleil était idéale, Roland appela tous les membres de l’Association de Coopération des Sorcières dans l’arrière-cour du château et entreprit de leur donner leur tout premier cours de biologie fondamentale.
En arrivant dans l’arrière-cour, Lily vit que les plantes étaient à présent luxuriantes et florissantes.
Les raisins sur le cadre de bois avaient pris une vive teinte rouge et pourpre. Un vague souvenir lui souffla qu’ils devaient être murs depuis moins d’une semaine. De temps en temps, Foudre cueillait en volant, un monceau de raisins à l’intention de tous. Et ce grand oiseau stupide qui avait récemment rejoint Border Town se posait carrément sur le dessus du cadre et levait la tête pour picorer les fruits.
Assis à l’ombre dans l’arrière-cour, Son Altesse Royale et Anna bavardaient joyeusement. On aurait dit un couple très intime, mais Lily savait pertinemment qu’ils n’étaient pas en train de roucouler. Si elle se rapprochait pour pouvoir écouter leur conversation, elle entendrait probablement une foule de mots mystérieux et insondables dans le cadre d’une discussion qu’elle ne pouvait comprendre.
Ces conversations portaient par exemple sur l’apparence des petites boules, comment un chat pouvait à la fois être vivant et mort*, comment il était possible que la matière soit également une onde et ainsi de suite… C’était probablement aussi la raison pour laquelle Rossignol restait toujours éloignée d’eux de cinq mètres. N’importe qui, en les écoutant parler un moment, serait pris d’une sérieuse envie de dormir!
Wendy, quant à elle, était toujours avec Scroll. À chaque fois que Lily la croisait, elle la regardait toujours en souriant avec douceur. Parfois même Lily avait le sentiment que son aînée la voyait encore comme une enfant. La jeune fille soupira, impuissante et regarda la poitrine de Wendy puis la sienne : un monde les séparait.
« Lorsque ma poitrine sera comme la sienne, peut-être ne me considèrera-t-on plus comme une enfant », se dit-elle.
Quand toutes les sorcières furent arrivées, Roland posa sur la table deux instruments de métal gris-noir, affirmant qu’il s’agissait d’objet grâce auxquels elles allaient enfin pouvoir découvrir le monde à l’échelle microscopique.
« Peut-être que l’objet n’aura plus le même aspect après le grossissement, si tout ce qui existe dans le monde est fait de petites boules ? » pensa Lily.
Elle avait toujours eu du mal à le croire : comment un amas de petites boules mobiles pouvait-il former une roche solide ?
Son Altesse Royale envoya un garde chercher un seau d’eau. Il en préleva quelques gouttes et les plaça sous le microscope. C’était très différent de ce à quoi Lily s’attendait. L’eau dans le seau n’était ni boueuse ni sale. Elle était au contraire si claire qu’elle pouvait voir le soleil se refléter sur le fond, comme s’il n’y avait rien du tout.
« Est-ce… est-il vraiment possible de voir les boules rouler sous le microscope ? »
– « Quelque chose bouge dans l’eau! » cria une sœur sous l’effet de la surprise mais à peine avait-elle dit ces mots qu’elle s’écria : « Oh! C’est parti! »
« Il n’y en a pas qu’un, on dirait qu’il y en a beaucoup plus! »
« Bonté Divine! Ce sont des insectes ? Il n’y en a pas un seul qui ressemble à l’autre! »
« Celui-ci ressemble à un crabe translucide… »
Le cœur de Lily se souleva : « Des insectes au lieu des petites boules ? Son Altesse Royale a menti! Cependant, il était plutôt curieux que l’on trouve des insectes… c’est aussi très étrange, il suffit de regarder l’eau! Il n’y a rien dedans! »
Lorsque son tour arriva, la jeune fille ne pouvait plus prétendre être indifférente. Elle se dirigea vers le microscope et, impatiente, plissa les yeux pour mieux voir.
Un univers incroyable s’ouvrit à elle!
Dans l’étroite fenêtre éclairée, elle aperçut de nombreuses formes étranges qui se déplaçaient aléatoirement. Certaines ressemblaient à des carrés, d’autres étaient couvertes de poils, d’autres encore avaient l’apparence d’une espèce croisée entre un insecte et un crabe ou évoquaient la base d’un grain de blé. Quelque forme qu’elles puissent avoir, toutes ces créatures avaient en commun une certaine transparence, comme si elles ne possédaient ni peau ni carapace, et l’on distinguait nettement leur structure interne. Leurs ventres semblaient aussi vides que leur environnement.
– « Sont-ce vraiment des insectes, Votre Altesse ? » Demanda Scroll.
– « Les créatures que vous voyez ici sont soit des organismes primitifs soit des algues unicellulaires. On ne peut pas vraiment les qualifier d’insectes, il serait plus approprié de les ranger dans la catégorie des micro-organismes », expliqua le Prince.
– « Des micro-organismes ? »
– « Yep, c’est une forme de vie indépendante, mais en beaucoup plus petit. Vous ne voyez que ces deux types d’organismes, mais il existe également des bactéries et des virus. Pour le moment, le pouvoir grossissant de notre microscope n’est pas suffisant pour que vous puissiez voir ces deux micro-organismes. Ce sont eux qui sont à l’origine de la détérioration des aliments et d’une infinité de maladies. »
Plus le Prince Roland expliquait, plus il devenait passionné :
« Ces minuscules formes de vie sont partout et il en existe une infinité de sortes », reprit-il. « Heureusement, la majorité d’entre elles est vulnérable aux températures élevées, c’est la raison pour laquelle nous faisons bouillir l’eau avant de la boire, cuisons le poisson avant de le manger et ne réutilisons pas l’eau de notre bain. »
Bien qu’il lui fût difficile d’imaginer qu’il existait des créatures plus petites encore, Lily réalisa que lorsqu’elle buvait, elle avalait également une foule d’insectes. À cette pensée, elle eut la chair de poule.
« Son Altesse Royale n’a-t-elle pas dit que ces humbles petites choses étaient à l’origine de la détérioration des aliments ?
Si je peux conserver du pain et du porridge de viande, je devrais pouvoir le faire avec cette eau également! »
Cette pensée lui ayant traversé l’esprit, elle ne put s’empêcher de libérer sa magie sur les gouttelettes d’eau qui se trouvaient sous le microscope.
Des changements inattendus se produisirent.
Elle vit les “insectes” se mettre à trembler tandis que leur aspect se modifiait rapidement. Leur enveloppe extérieure, de transparente, avait pris une teinte pourpre. De longs filaments poussèrent sur leur ײcorpsײ et se mirent à avaler les organismes qui ne s’étaient pas modifiés dans leur environnement. Plus exactement, Lily eut plutôt le sentiment qu’ils fusionnaient à un rythme alarmant. Semblables à autant de petites épées, les tentacules pénétraient la structure d’autres micro-organismes qui prenaient alors leur apparence.
Lily ne savait pas s’il s’agissait ou non d’une illusion, cependant, elle vit que ces organismes en pleine mutation transformaient les créatures transparentes autour d’eux. En peu de temps, une petite tache violette apparut dans l’eau. Le temps de quelques respirations, ces points violets se multiplièrent et se mirent à fusionner en une seule tâche. C’était comme si un tapis couleur de lavande envahissait progressivement tout son champ de vision. Un par un, les insectes tentaculaires se rangèrent en rangs comme une armée bien organisée. Et comme s’ils savaient qu’elle les regardait, tous levèrent un tentacule, comme pour la saluer.
Pour la première fois, Lily découvrit son véritable pouvoir.
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