– « Taches –de- Rousseur ! » s’écria un soldat : « Il est blessé! »
– « Ne le déplacez surtout pas! » hurla Brian, « Je vais regarder sa blessure, continuez à tirer! »
Il remit son arme à la recrue responsable du rechargement qui se tenait près de lui et se baissa pour examiner le soldat blessé. Ce dernier, toujours conscient, demanda d’une voix tremblante :
– « Capitaine, je… je vais mourir ? »
La courte lance lui avait transpercé le creux de l’estomac. Brian n’était pas certain qu’elle l’ait traversé mais dans la mesure où il respirait apparemment sans difficulté, les poumons semblaient intacts.
Durant son cours de culture générale, Son Altesse Royale avait décrit brièvement les divers organes du corps humain et indiqué les mesures à prendre en cas de blessure. La meilleure solution dans l’immédiat, selon Brian, était d’attendre la fin du combat et d’envoyer quérir Mlle Nana qui viendrait le soigner.
– « Ça fait mal ? » Demanda Brian.
Taches- de- Rousseur acquiesça avec difficulté.
– « Si vous ressentez la douleur, cela signifie que vous ne mourrez pas », le rassura le Chevalier. Il posa sa main sur le front du soldat : « Vous avez entendu parler de la capacité de Mlle Nana, non ? »
Taches-de-Rousseur esquissa un sourire douloureux :
– « En temps de paix, tout le monde… voulait la rencontrer… Tout bien considéré… je vais… Je vais enfin faire sa connaissance… »
– « Exactement! Alors tenez bon! »
Lorsque Brian revint à la fenêtre de tir, la recrue se tourna vers lui et demanda avec inquiétude :
– « Pourquoi n’avez-vous pas extrait la lance ? »
– « Tout simplement parce que cela aurait pu entraîner une importante hémorragie. Par la suite, lorsque vous assisterez aux cours, vous apprendrez vous-aussi et tout sera clair pour vous. » Il marqua une pause : « Le mieux que nous puissions faire pour lui et de venir à bout de cet ennemi au plus vite. »
Debout sur son estrade surélevée, Roland aperçut l’ennemi qui se précipitait tel une marée vers la ville.
La première rangée de bunkers ralentit considérablement leur vitesse et lorsqu’ils atteignirent la troisième rangée, leurs flancs étaient totalement exposés aux tirs croisés des armes à feu.
La mission d’Echo était plutôt évidente : même si l’armée ennemie, engagée sur la route étroite, était à présent répartie sur une longue distance, les miliciens continuaient à suivre son ordre, ײcharge massiveײ, qu’elle réitérait sans relâche.
À chaque instant, de nombreux soldats tombaient sans qu’ils n’y puissent rien faire. Face à des remparts que ni leurs lances, ni leurs épées ne pouvaient détruire, la milice de Timothy n’eut d’autre choix que de continuer à avancer malgré les pertes subies.
Après la troisième rangée de bunkers, ils franchiraient la ligne des 300 mètres, ce qui, pour les artilleurs, constituait le signal pour charger les canons. Les tireurs savaient pertinemment que franchir cette limite revenait à pénétrer dans une zone mortelle.
Dans le ciel, Foudre agitait à présent un drapeau rouge vif.
Les vingt canons tiraient à angle plat, leur front crachant des flammes accompagnées d’une épaisse fumée. Roland avait fait un rapide calcul : l’équipe la plus habile serait capable de lancer un obus toutes les vingt secondes, alors que la plus lente mettrait environ 30 secondes. À première vue, ils se rapprochaient de la cadence de tir des meilleures troupes d’artillerie durant la Guerre de Sécession Américaine, à la différence près que ces derniers effectuaient leurs trois tirs par minute au moyen d’obus solides et devaient nettoyer fréquemment leur canon avant de viser à nouveau leur cible.
Comme ses soldats n’étaient pas contraints de viser ni même de nettoyer le canon, il était normal qu’ils aient une telle cadence de tir.
Pour l’ennemi, cette fréquence de tir fut terriblement destructrice.
Le fait que les obus aient un tel taux de frappe sans même viser était particulièrement étonnant, chaque boulet de fer atteignant en moyenne deux à trois personnes. Même si les pilules permettaient aux miliciens d’être très résistants à la douleur, elles ne supprimaient pas la peur.
En voyant leurs compagnons se faire massacrer les uns après les autres, même ces soldats rendus fous furieux et assoiffés de sang ne purent réprimer leur peur instinctive.
Sans leurs pilules, ces hommes n’était que des gens du peuple non entraînés et manquant d’expérience pratique au combat. En voyant la moitié de leur armée au sol sur la route, ils battirent en retraite.
Comme la peste, la peur se répandit rapidement dans leurs rangs. Un homme se détourna pour s’enfuir, suivi d’un second puis d’un troisième. L’assaut cessa et tous s’enfuirent. Cependant, le régiment d’artillerie changea de munitions pour des boulets solides et visa l’ennemi en fuite, accompagné des bunkers qui n’avaient pas cessé de tirer.
Une pile de cadavres s’entassa bientôt au sommet de la route.
Au fur et à mesure que le cœur de Levin se refroidissait, la peur se mit à l’envahir.
La vingtaine d’hommes qu’il avait envoyés en reconnaissance au début des hostilités avait fini par découvrir, cachée dans la forêt et quasiment intégrée au paysage environnant, une sorcière vêtue étrangement. C’était elle qui avait généré ce chaos et si elle n’avait pas suivi la milice pour inciter les hommes à s’entasser au milieu de la route, il leur aurait été presque impossible de la repérer.
Bien que découverte, elle restait une source de problèmes pour Levin.
Celui-ci s’aperçut que la sorcière n’avait pas besoin de ses organes vocaux pour imiter les voix, celles-ci semblaient venir de partout, tantôt de la gauche, tantôt de la droite et même parfois de derrière lui. Elle pouvait aussi bien imiter son accent et donner des ordres à sa place que créer l’illusion d’un appel de détresse en provenance d’un compagnon milicien.
Alors qu’ils s’approchaient pour la saisir, la femme vêtue de blanc réapparut.
En la voyant, Levin se rappela la scène choquante du meurtre de Lehman Hawes.
Elle tenait à la main une sorte d’ײarbalète légèreײ d’un blanc argenté et sitôt qu’elle envoyait une étincelle accompagnée d’une forte déflagration, quelqu’un s’écroulait.
Les hommes qui encerclaient Echos se dispersèrent, semblables à des oiseaux craintifs.
« Mon armure n’offre aucune protection et mon bouclier est totalement inutile » de dit Levin en voyant se briser en deux le bouclier de fer qu’il tenait attaché à son bras. Le trou dans le métal montrait à quel point cette arme était puissante.
« La seule arme qui puisse rivaliser de puissance est l’arbalète lourde »
S’il n’avait pas instinctivement baissé la tête, Levin ne serait déjà plus qu’un cadavre.
« Mais une arbalète lourde ne peut tirer en continu! »
Face à la capacité de la sorcière de se rendre invisible et à son arme contre laquelle rien ne pouvait rivaliser, le Chevalier réalisa qu’ils n’avaient aucune chance. Ce constat lui fit l’effet d’une douche glacée et sa rage brulante disparut aussitôt.
– « Prenez vos pilules et tuez-la dès qu’elle réapparaîtra! », ordonna-t-il en reculant, bien décidé à s’enfuir dans les bois pendant que la sorcière serait occupée avec les miliciens.
« Il est préférable que je me faufile dans le groupe le plus important. Elle n’osera pas m’attaquer si je me trouve parmi la foule! », se dit-il.
« Par ailleurs, cette forêt est très étrange tout à coup. Les herbes s’épaississent et atteignent presque mes genoux, recouvrant les plantes grimpantes cachées en dessous comme si elles cherchaient à me faire un croche-pied. »
Lorsqu’après avoir parcouru les bois en trébuchant il en sortit enfin, Levin regarda en direction du front qu’il souhaitait rejoindre pour s’y dissimuler et ce qu’il vit le laissa stupéfait.
« Les effets de la drogue n’ont pas pu prendre fin aussi rapidement. Pourquoi battent-ils en retraite ? Ou plutôt, ils fuient littéralement! »
Ceux qui étaient trop lents ou ne suivaient pas étaient impitoyablement jetés au sol et piétinés. Lorsqu’ils avaient attaqué, ils couraient aussi vite que des chevaux et à présent, il en allait de même de leur fuite. Déchaînés, ils soulevaient la poussière. Devant ce spectacle, Levin n’osa pas s’approcher ni tenter de les arrêter.
« Mais enfin, que s’est-il passé ? » se demanda le chevalier, incapable de gérer la situation, « Comment, en si peu de temps, ont-ils pu venir à bout de 1500 hommes ? À plus forte raison s’ils avaient tous pris des pilules! Les hommes du prince sont-ils réellement des monstres ? »
Au même moment, un bruit de pas fit crisser l’herbe derrière lui. Levin serra les dents, tira son épée de son fourreau et en donna un coup derrière lui. En cet instant critique où sa vie était sérieusement menacée, sa technique était plus rapide que jamais, semblable à un éclair. Néanmoins, il fut accueilli par une flamme éblouissante. Quelque chosa frappa sa lame, générant des étincelles et traversa sa main. Instantanément, il perdit toute sensation sans ses doigts.
Le Chevalier regarda son bras et vit que la moitié manquait. Ses muscles et ses os étaient à nu, alternant le rouge et le blanc comme une fleur qui s’épanouit. La femme en blanc le regarda, une expression indéchiffrable sur le visage. Incapable de l’affronter, Levin recula de quelques pas et se prit les pieds dans les mauvaises herbes. Il trébucha.
La sorcière posa le pied sur son épaule et pressa son arme au contact glacé contre son front. Allongé sur le sol, Levin put enfin voir son visage dissimulé par la capuche.
– « Qu’elle est belle! »
Ce fut sa dernière pensée.
Immédiatement après, le coup de feu retentit.