C’était une troupe de cinquante hommes, tous revêtus d’armures qui rutilaient sous le soleil. Ils se tenaient par lignes de 8, portant des drapeaux de chaque côté. Trois d’entre eux arboraient les insignes de la famille royale : la tour grise avec les deux piques, et le quatrième représentait une tour surmontée d’une tête de cheval.
Petrov fouilla dans ses souvenirs. Il s’agissait probablement des armoiries de la famille Hawes, de la frontière nord.
L’un des cavaliers sortit des rangs et cria :
– « Je suis Lehman Hawes, messager du roi Timothy, porteur d’une décision du Roi. Descendez le pont-levis! »
– « Votre recommandation ? » demanda Petrov d’une voix forte en se penchant.
Le cavalier s’empara d’un arc qu’il portait sur le dos, tira une flèche de son carquois, y attacha un document et visa la muraille.
Un garde accourut aussitôt pour récupérer la flèche et l’apporter à Petrov.
Ce dernier déplia le parchemin et aperçut de léger fils d’or entrecroisés au bas du document ainsi que, dans le coin inférieur droit, le sceau de la famille royale. Le cavalier n’avait pas menti.
Voyant cela, Petrov respira profondément et cria :
– « Abaissez le pont et ouvrez la porte. »
Il devinait à peu de choses près le contenu de cette fameuse décision. Elle était sans doute liée à Roland Wimbledon. Cet envoyé n’étant pas un imposteur, il n’avait aucune raison de ne pas le recevoir. Dans le cas contraire, cela reviendrait à se faire l’ennemi du nouveau Roi de Graycastle.
Si la nouvelle se répandait, les autres familles n’hésiteraient pas un instant à viser les terres de la famille Chèvrefeuille et le courant sous-jacent, pour le moment réprimé, ressurgirait instantanément.
Cependant, Timothy n’ayant envoyé que cinquante de ses hommes pour s’enquérir de la situation, cela confirmait l’une des hypothèses du Prince : pour le moment, le nouveau Roi n’était pas en capacité de gouverner le Territoire de l’Ouest.
« Son Altesse Royale le Prince ayant réussi à repousser la coalition du Duc qui comprenait plus de 1000 soldats, ces cinquante hommes devront sans doute rentrer bredouilles.
Je dois cependant en informer Son Altesse au plus vite »
Joignant le geste à la pensée, il rappela le chevalier qui l’avait informé de l’arrivée des messagers et ordonna :
– « Westeros, prenez trois chevaux à queue courte que vous changerez en cours de route afin d’atteindre au plus vite Border Town. En arrivant, faites savoir à Son Altesse que des hommes de Timothy sont arrivés à la Forteresse. »
– « A vos ordres », répondit Westeros avec un signe de tête.
Le chevalier se détourna et sortit. Petrov soupira.
– « Allons rencontrer l’envoyé du nouveau Roi. »
Lorsque Petrov atteignit la porte de la ville il constata qu’à l’exception des dix hommes qui constituaient la première ligne et qui semblaient vifs et alertes, les autres cavaliers avaient l’air comme léthargiques, courbés sur leurs chevaux comme s’ils allaient tomber.
– « Je vous souhaite la bienvenue, Sir Lehman, », dit Petrov en inclinant la tête. « Mon nom est Petrov Hull, de la famille Chèvrefeuille. C’est moi qui suis chargé de gérer la Forteresse. »
Gérer la forteresse… ces mots laissaient à Petrov un arrière-goût désagréable dans la bouche. S’il avait été Duc, pleinement responsable de la frontière occidentale, il n’aurait jamais eu à saluer un messager. Encore moins à descendre à la porte pour le recevoir. Petrov serait resté au château, attendant qu’on lui amène le visiteur.
– « J’ai entendu parler de vous lorsque je me trouvais dans les montagnes du Vent Glacé, Monsieur le ײDuc par interimײ » dit Lehman qui mit pied à terre et s’avança avec un sourire. « La frontière occidentale est un territoire plutôt étrange. Malgré son immense armée, le duc Ryan n’est même pas parvenu à conquérir une toute petite ville. Il y a même perdu la vie. Ces circonstances sont plutôt rares au Royaume de Graycastle. Mais pour la famille Chèvrefeuille, cela a dû être une bonne nouvelle. »
Petrov préféra ignorer l’ironie contenue dans ces dernières paroles.
– « Vos hommes vont bien? Ils ont l’air un peu… souffrants. »
– « Ne vous inquiétez pas pour eux », répondit Lehman en jetant un coup d’œil en arrière, « ils ne se sont probablement pas acclimatés. Ils ont galopé durant tout le voyage, ils iront mieux après avoir pris un peu de repos. Pour être honnête, il fait vraiment trop chaud dans cette région. »
– « Vous dites cela uniquement parce que le Nord est très froid. »
Son interlocuteur n’ayant pas l’air de s’en soucier outre mesure, Petrov n’y accorda pas plus d’importance. « Je me demande, Monsieur l’émissaire, pourquoi vous arrivez des Montagnes du Vent Glacé et non de la Cité du Roi. »
– « Sa Majesté Timothy Wimbledon se trouve actuellement sur le Territoire du Nord », répondit franchement Lehman. « Le Duc Essie pensait qu’il pouvait profiter de l’état d’affaiblissement des gardes de la Frontière Nord pour provoquer une rébellion. Comme on le soupçonnait de vouloir lancer une révolution, le Roi n’a eu d’autre choix que s’y rendre pour réprimer la révolte. »
« Une rébellion? » Petrov fronça les sourcils : « Cela n’a pas de sens. Les gardes-frontières comprennent des chevaliers et des mercenaires en provenance des quatre coins du royaume, mais la plupart sont des hommes du Duc. Alors comment pourrait-il avoir subi des pertes substantielles au cours de cette rébellion ? »
Se souvenant de la lettre que le Duc Ryan avait écrite au sujet de ses projets d’annexion du Nord, Petrov eut un mauvais pressentiment… « Se pourrait-il que Timothy Wimbledon ait eu la même d’idée ? »
– « Ceci étant dit, quelle décision a pris le Roi ? »
– « Il a émis un ordre de rappel », répondit Lehman. « Sa Majesté m’a envoyé voir si le territoire de l’Ouest avait également sombré dans un état de chaos suite à la guerre. Si je me souviens bien, avant les Mois des Démons, le Roi avait envoyé un ordre de rappel à Roland Wimbledon. A ce jour, il n’est toujours pas rentré à la Cité du Roi. »
– « Le message a dû être envoyés à la forteresse il y a cinq mois, mais contrairement aux années précédentes, Lord Roland a choisi de ne pas venir se réfugier à la forteresse durant les Mois des Démons. » Petrov marqua une pause. « Il a décidé de rester à Border Town et d’encourager son peuple à combattre les bêtes démoniaques. C’est pourquoi il n’a pas pu rentrer immédiatement, conformément aux ordres du Roi. »
– « Voilà presque trois mois que les Mois des Démons sont terminés », répondit Lehman, ferme dans son devoir. « Sa Majesté m’a envoyé pour escorter le prince jusqu’à la Cité du Roi »
– « Quand avez-vous l’intention de vous rendre à Border Town ? »
– « Nous partirons demain matin. »
« En voyageant à un rythme régulier, ils devraient arriver à Border Town dans trois jours. Mon chevalier, qui voyagera jour et nuit, devrait pouvoir transmettre mon message d’ici vingt-quatre heures. Son Altesse Royale devrait avoir suffisamment de temps pour se préparer à leur arrivée. Moi, Petrov, je ne peux guère mieux faire. »
Petrov s’arrêta devant la caserne.
– « C’est là que logeaient les Chevaliers du Duc. Vous pouvez rester ici et vous y reposer. Je vous ferai envoyer à dîner un peu plus tard. Quant à vous, Sir Lehman… » dit-il en le regardant, « je vais donner un copieux dîner à votre intention et vous prie d’y assister. »
– « Merci pour votre générosité, Sir Petrov », répondit ce dernier en riant.
Après le dîner, Lehman retourna au camp et entra dans la tente centrale. Aussitôt, tous l’entourèrent.
– « Quelle est la situation ? » Demanda-t-il.
– « Nous sommes entourés de tous côtés par des gens qui nous surveillent de près. Ils ont également posté une centaine de soldats aux portes, mais la plupart d’entre eux ne portent pas d’armure intégrale. Ce sont certainement des membres de leur patrouille civile », répondit l’un de ses hommes. « Visiblement, le Seigneur ne nous fait pas confiance. »
– « Il semblait que nous ayons vu juste. Les informations que j’ai pu recueillir durant le banquet ont également confirmé ce point », dit Lehman à voix basse. « Après la défaite du Duc, la plupart des Chevaliers ont été arrêtés et conduits à Border Town, il n’en reste plus beaucoup ici pour le combat. »
Avant de venir, il avait pris des informations détaillées au sujet de la situation de la Forteresse de Longsong. La mission que lui avait donnée Sa Majesté était très simple : découvrir les raisons pour lesquelles le Duc avait échoué, puis prendre les mesures nécessaires pour contrôler au plus vite le Territoire de l’Ouest.
– « Qu’en est-il de ceux qui ont pris le remède ? »
– « Ils auront bientôt atteint leur limite », répondit son interlocuteur, « Du moment que nous leurs donnons ces pilules, ils sont prêts à tout. »
Le groupe de messagers n’était en réalité qu’un prétexte.
Sur cinquante, la troupe ne comptait que treize vrais chevaliers, les autres étant des mercenaires déguisés. Sous l’influence des pilules données par l’Eglise, ils étaient plus obéissants que les plus loyaux des chiens et dans le même temps plus féroces que les bêtes démoniaques. Lehman misait sur eux pour prendre possession de la porte. Conformément à son plan, une milice forte de 1 500 hommes faisait lentement route vers la Forteresse. Il leur suffirait d’ouvrir les portes et la ville tomberait entre leurs mains.
– « Distribuez les pilules, puis demandez à dix hommes de rester en arrière pour s’occuper de la patrouille. Vous enverrez les autres à la porte Est », ordonna Lehman.