Plusieurs jours passèrent sans que Meng Hao ne mît le pied hors de la grotte. Il ne voulait pas sortir et ne voulait voir personne. Il ne pouvait oublier comment Wang Tengfei avait tourné le monde entier contre lui. Il s’assit les jambes croisées en regardant ses ongles incrustés de sang séché. L’expression engourdie de son visage se transformait peu à peu en colère. Finalement, un jour, la porte de l’entrée de la grotte d’Immortel grinça pour laisser entrer le clair de lune…

Sœur Aînée Xu se tenait là, dans l’embrasure de la porte. Elle était entourée d’une couronne de lune en contre-jour qui obscurcissait ses traits. Meng Hao ne dit rien et elle non plus. Le temps passa, puis finalement elle déclara :

« J’ai terminé ma méditation isolée juste hier. »

Meng Hao se leva et la salua les mains jointes.

« Wang Tengfei a d’importants antécédents » elle continua doucement. « Il ne vient pas de l’Etat de Zhao, et sa Base de Cultivation Spirituelle est au sixième niveau de Condensation du Qi. D’autre part les Anciens de la Secte l’ont déjà choisi pour être promu au sein de la Secte Intérieure. Tu … tu ne dois pas le provoquer. »

« Votre Frère Cadet comprend » déclara Meng Hao avec le sourire. Son expression semblait être redevenue normale, comme s’il avait abandonné toute forme de rancune au sujet de ce qui s’était passé. Mais dans le même temps il y avait au fond de ses yeux quelque chose qui n’avait jamais existé durant ses seize années de vie.

C’était une lumière froide qu’il gardait si profondément enfouie que lui seul pouvait la ressentir. Une subtilité que d’autres ne pouvaient voir.

« Cependant, » dit Sister Xu, « s’il vous cause à nouveau des problèmes, il vous suffit de rompre cet objet, je le sentirai, même si je suis en retraite méditative. »

Puis elle agita la main. Un morceau de jade de couleur violette apparut à côté de lui.

« Des quatre personnes que j’ai amenées de la montagne ce jour-là, vous êtes les premiers à être promus au sein de la secte extérieure. Votre compagnon avec qui vous avez travaillé dans le quartier des serviteurs du Nord est promu aujourd’hui. Demain, à l’aube, il viendra à la Secte Extérieure pour s’inscrire. » Sur ce, elle se retourna pour partir.

« Merci beaucoup, Sœur Aînée. Il y a une question que je souhaitais vous poser… peut-être que Sœur Aînée pourrait m’éclairer. Ma Base Spirituelle est au quatrième niveau de Condensation du Qi. Compte tenu de mon talent latent, combien de temps pensez-vous qu’il me faudra pour atteindre le septième niveau ? »

« Avoir atteint le quatrième niveau de Condensation du Qi en moins d’un an semble indiquer que vous avez eu de la chance. Vous n’avez pas besoin de m’en expliquer les raisons, je ne vais pas vous le demander. Sans cette bonne fortune, comptez au moins dix années d’entraînement dans le meilleur des cas. À un rythme plus lent, cela pourrait prendre la moitié d’un cycle de Soixante Années. Les quatrième, sixième et huitième niveaux sont tous des passages très durs, surtout le sixième. Sans un peu de chance, il est très complexe de passer au septième niveau. »

« C’est la même chose pour tout le monde ? »

« Pour tout le monde oui. » Puis elle partit.

Meng Hao s’assit les jambes croisées, un regard perçant brillait dans ses yeux.

Une heure plus tard, il se leva et quitta la Caverne d’Immortel pour la première fois depuis des jours. Les saisons changeaient encore, et il semblait que l’automne arriverait dans quelques jours. Les feuilles commençaient à changer de couleur et le vent dérivait à travers les montagnes et les vallées.

Sous la lune brillante, Meng Hao fit son parcours le long d’un petit chemin dans les montagnes sauvages. Tout était calme ; la seule chose que l’on pouvait entendre était le doux bruissement des feuilles qui tombaient alors que Meng Hao se dirigeait vers la Montagne Nord.

Il voulait aller à la rencontre de Petit Gros. Dans toute la secte, il était son seul ami. Le quartier des serviteurs du nord était calme, si tard dans la nuit. En approchant, les ronflements emplissaient les allées, le genre de son auquel il s’était habitué pendant ses quatre mois de service.

Le jeune homme au visage de cheval qui présidait le quartier des serviteurs Nord était assis en tailleur sur son gros rocher. Il ouvrit brusquement les yeux et regarda Meng Hao, surpris pendant un moment. Puis il se leva et le salua les mains jointes.

« Salutations, frère Meng. » Les rumeurs au sujet de Meng Hao avaient abondé récemment, et bien sûr le jeune homme au visage de cheval les avait entendues.

« Laissez donc les formalités, frère aîné », déclara Meng Hao.

« Je suis ici pour voir un vieil ami. » En jetant un œil rapide à la Base de Cultivation Spirituelle du jeune homme, Meng Hao pu voir qu’il était au troisième niveau de Condensation du Qi. Il semblait qu’il y était resté bloqué durant plusieurs années.

Le Frère à la tête de cheval hocha la tête. Après que Meng Hao eût pénétré le quartier des serviteurs, il s’assit les jambes croisées avec une expression étrange sur le visage. Avec un soupir silencieux, il referma les yeux.

Meng Hao entra dans la cour pour y trouver la Septième Maison à l’Est. S’approchant, l’air était chargé des ronflements de Petit Gros. Dès qu’il entra, un sentiment étrange envahit son visage puis l’angoisse qui avait empli son cœur commença à se dissiper.

Petit Gros était étendu sur le dos, ronflant. L’autre lit dans la pièce avait été repoussé du mur, créant un petit espace.

Là, dans ce creux il y avait, profondément endormi, l’homme que l’on appelait Grand-Père Tigre. Malgré son sommeil, son visage semblait se tordre de peur, comme si quelque chose de terrifiant se passait dans ses rêves.

Son lit de bois était recouvert d’une multitude de marques de morsures. A certains endroits, le bois avait été mâché tout du long, au point que le lit semblait vouloir s’effondrer.

La table, elle, avait disparu ; Meng Hao pensa qu’elle devait avoir été complètement dévorée. Même les murs avaient des traces de morsures. En revanche, le lit de Petit Gros était resté intact.

L’homme plus âgé dans le coin se mit à frissonner, il laissa soudain échapper un cri misérable. Il était visiblement en plein cauchemar. Son apparence émaciée et les cernes sous ses yeux donnaient à penser qu’il ne dormait pas bien ces derniers temps. Meng Hao ne pouvait qu’imaginer les circonstances misérables qui avaient pu le mettre dans cet état.

Il sembla que son cri avait réveillé Petit Gros car celui-ci se redressa d’un air agacé, puis il vit Meng Hao. Il se redressa soudainement tout excité.

« Du poulet sauvage ! En as-tu apporté ? »

Meng Hao le regarda, incapable de retenir son sourire.

Il était plus rond que jamais, il n’avait visiblement perdu aucun poids, bien au contraire, il semblait plutôt en avoir pris. La taille de ses dents avait également augmenté de plus de moitié et on les voyait briller lorsqu’il parlait.

« J’ai entendu que tu avais atteint le premier niveau de Condensation du Qi, » dit-il avec un sourire, « alors donc je suis venu te voir. J’étais si pressé que je n’ai pas eu le temps d’attraper un poulet. Il s’assit sur le lit à côté de Petit Gros puis examina ses dents.

Petit Gros, fier de sa Base de Cultivation Spirituelle, ne s’arrêta plus de parler. Meng Hao ne dit pas grand-chose, il écouta le long bavardage de son ami. Bientôt, la lune commença à disparaître et le soleil émergea. Dans le même temps, les blessures dans le cœur de Meng Hao se dissipèrent lentement pour bientôt ne laisser que des cicatrices, et les ongles de ses mains restés dans la Grotte d’Immortel. Tout cela fusionnait dans son regard, et du haut de ses 16 à 17 ans, cette lueur froide imperceptible par d’autres lui donnait un air plus mature.

A l’aube, Meng Hao partit avec Petit Gros. Grand-père Tigre les regarda s’éloigner alors que des larmes coulaient sur son visage. Avant qu’ils ne puissent quitter la cour, Petit Gros, prit par l’émotion, courut en arrière pour le serrer dans ses bras et lui parler brièvement. Quoi qu’il ait pu lui dire, le visage du grand homme devint pâle et son corps se mit à trembler.

« Que lui as-tu dit ? » Meng Hao ne put se retenir de lui demander alors qu’ils étaient sur le point d’atteindre la Secte Extérieure.

« C’est une bonne personne. Lorsque tu as quitté le quartier des serviteurs, il est devenu mon ami. Il était tellement contrarié que je parte, je ne pouvais tout simplement pas le supporter. » La peine envahissait son visage.

« Je lui ai dit que je reviendrais sans doute souvent lui rendre visite. » reprit Petit Gros avec émotion.

« Malgré son apparence féroce il est en fait un peu craintif. Il a toujours des cauchemars quand il dort. Le pauvre homme. »

Meng Hao ne dit rien et n’en demanda pas plus à propos de cet homme. Lorsque les deux traversèrent la Secte Extérieure, les gens observaient Meng Hao avec des airs étranges, comme pour l’évaluer.

« Hein ? Meng Hao, on dirait que tu as fait quelques bêtises dans la Secte Extérieure, » déclara Petit Gros avec enthousiasme. « Tout le monde te regarde. »

Intérieurement il se disait que dès lors qu’il aurait Meng Hao à ses côtés, peu de gens seraient prêts à l’intimider.

Meng Hao sourit mais ne donna pas d’explication. Lorsqu’ils arrivèrent presque au pavillon du trésor, Meng Hao s’arrêta pour regarder Petit Gros s’avancer vers le bâtiment.

Le temps nécessaire à la moitié d’un bâton d’encens pour se consumer, le garçon revint plein d’enthousiasme. Il tenait à la main une épée courte, recouverte d’une couche d’écailles de poisson. Elle avait un aspect rugueux et ne semblait pas bien tranchante.

« Regarde ce trésor, Meng Hao ? C’est un véritable joyau. » Il agita l’épée dans les airs, alors que Meng Hao était sur le point de demander à quoi elle pourrait bien lui servir, lorsque Petit Gros ouvrit grand la bouche et commença à se limer les dents. Un bruit de frottement raisonna, laissant Meng Hao sans voix, ne sachant pas s’il fallait rire ou pleurer.

« C’est génial ! » Dit Petit Gros, de plus en plus excité. « Mes dents ne cessent de s’allonger et je suis constamment en train de chercher à les limer. Mais ce que je trouve se casse toujours après quelques jours à peine. Dorénavant, je vais pouvoir utiliser sans crainte ce précieux trésor ! “

Meng Hao fit faire le tour de la Secte Extérieure à son ami. Il lui offrit même de rester avec lui dans la Caverne d’Immortel, mais Petit Gros refusa. Il vivait avec un colocataire depuis trop longtemps, et avait hâte d’avoir sa propre place dans la Secte Extérieure. Peu importait ce que Meng Hao lui disait, il refusait systématiquement. Quand ils arrivèrent enfin chez lui, il semblait épanoui.

Meng Hao n’insista pas. Lorsque la nuit fut profonde, il retourna à la caverne d’Immortel et s’assit en tailleur.

Le temps passa, et bientôt trois mois s’étaient écoulés. Deux mois plus tôt, Meng Hao avait ré-ouvert son stand dans la zone publique de bas niveau. Sans-doute en raison de ce qui s’était passé avec Wang Tengfei, personne ne lui causa de problèmes, et bientôt, son affaire reprit.

Il ajouta des objets magiques à son offre, et les affaires s’accélérèrent. Mais il n’était plus le seul vendeur de son commerce. À ses côtés se trouvait un gros adolescent qui faisait constamment ses dents avec une épée volante. Il avait du sens pour les affaires et vendait en permanence dans la zone publique toutes sortes de marchandises. Il devint bientôt le pilier principal du petit commerce. Avec la coopération de Meng Hao, qui ne pouvait plus entrer dans la zone, ils firent de bons profits. Un jour, alors que l’hiver était tombé et que des flocons de neige remplissaient le ciel, Petit Gros laissa échapper un cri en attrapant une personne. Il l’entraîna vers Meng Hao qui était assis en tailleur sur le bord de la place, méditant :

« Meng Hao, Meng Hao, regarde qui est là ! »