Depuis quelque temps, Roland était plutôt joyeux.
Lorsqu’il était seul, assis à son bureau, il lui arrivait parfois de fredonner une chanson ou deux, plongé dans les souvenirs des moments fabuleux qu’il avait passés dans le ballon à air chaud.
Lorsqu’ Anna fermait les yeux pour l’embrasser, elle était adorable. A chaque fois qu’il y repensait, le Prince ne pouvait s’empêcher de sourire. Le plus important était le sens de ses paroles, et comment elle lui avait ensuite prouvé sa passion et son affection.
La seule chose qu’il pouvait faire était de lui répondre encore plus passionnément.
Alors qu’ils atterrissaient, Roland avait ressenti comme une douleur sourde sur ses lèvres.
« Je l’ai peut-être embrassée trop longuement, de sorte qu’à bout de souffle, elle m’a mordu dans la panique…
Quoi qu’il en soit, il y a longtemps que je n’avais pas ressenti de telles émotions. »
Il avait presque déjà vécu un quart de sa vie et les compétences qu’il a apprises des drames télévisés et des manhua* étaient enfin à portée de main. Surtout que l’objet de son affection était la belle et émouvante Miss Anna. Roland se dit qu’il avait enfin franchi la première étape pour devenir un gagnant dans la vie.
Il ouvrit le tiroir et tâtonna à la recherche d’une collation pour calmer sa joie, mais ne trouva rien. « Je suis pourtant certain d’y avoir rangé du bœuf séché hier! »
Roland se retourna et regarda Rossignol qui se tenait près de la fenêtre. Il s’aperçut qu’elle sifflotait, feignant de regarder le paysage en toute dilettante. Il avait délibérément remplacé les poissons séchés par du bœuf, dans l’espoir que la sorcière s’abstiendrait de le lui dérober mais qui aurait pu penser qu’elle prendrait également le bœuf séché ?
C’est alors que des bruits de pas résonnèrent dans le couloir.
– « Votre Altesse, Lord Barov demande à vous voir. »
– « Faites-le entrer. »
Cette fois, Rossignol ne disparut pas comme elle avait coutume de le faire. Elle se contenta de relever sa capuche et de prendre place sur le divan, côté mur.
Lorsque le ministre adjoint ouvrit la porte et s’aperçut qu’il y avait déjà quelqu’un dans le bureau, il plissa légèrement le front mais reprit aussitôt son apparence normale.
– « Votre Altesse, les statistique démographiques du mois sont prêtes. »
Sur ces paroles, il remit un parchemin à Roland.
– « Déjà ? »
– « Grâce au fichier d’inscription des citoyens, il est beaucoup plus facile de les dénombrer », répondit le ministre adjoint en riant. « Vous avez pris une sage décision en l’instaurant. »
– « Oh, voilà maintenant que vous me léchez les bottes! »
Roland déroula le parchemin. D’un coup d’œil, il put se rendre compte du nombre de personnes à Border Town qui avaient été embauchées et dans quelles professions. Comme elles étaient rangées par catégories, il lui suffisait d’un regard pour capter les informations pertinentes. Comparé à ces précédents rapports, qui n’étaient même pas séparés en paragraphes, celui-ci prouvait que les compétences de Barov avaient énormément progressé.
La première ligne recensait la catégorie à forte population : les serfs.
Ils totalisaient un nombre de 3628 personnes (y compris les membres de leur famille). La ligne suivante précisait : “Remarque : 1500 serfs sont aujourd’hui engagés dans l’agriculture.”
– « Votre Altesse Royale, ne pensez-vous pas que nous avons trop peu d’agriculteurs ? » Barov désigna la première ligne et ajouta « D’après Sirius Daly du Ministère de l’Agriculture, si nous voulons qu’un jour Border Town ne soit plus contrainte d’importer de la nourriture, nous devrions encore doubler la surface des terres agricoles et la main-d’œuvre que nous avons récemment augmentées. Ce n’est que de cette façon que nous serons en mesure de satisfaire à la quantité de grain dont Border Town a besoin. »
À l’évocation de ce nom, Roland se souvint de l’impression que lui avait faite Sirius. C’était un ancien chevalier qui appartenait à la Famille Wolf.
Les 1500 hommes engagés dans l’agriculture étaient les premiers serfs envoyés à Border Town. Roland avait expédié tous les groupes subséquents à la mine ou rejoindre l’équipe de construction de Karl. Cependant, tous avaient reçu l’assurance que s’ils travaillaient suffisamment dur, ils obtiendraient leur liberté.
– « Je n’avais pas l’intention de produire des céréales au point de devenir autosuffisants cette année. Nous avons stocké tellement de blé dans les entrepôts du château qu’il suffira à nous approvisionner pour deux ou trois mois au moins. Et cette année, nous avons de nouvelles espèces de blé. La récolte sera très différente. »
– « Différente ? », demanda Barov, surpris par cette révélation inattendue.
– « Le moment venu, vous comprendrez », répondit Roland avec un sourire.
Comme ils avaient semé des ײDorésײ, le rendement de chaque plant serait au moins trois fois supérieur à celui du blé classique. Le moment de la récolte serait certainement l’occasion d’un choc, c’est pourquoi le Prince ne voulait pas impliquer trop de monde dans le domaine de l’agriculture.
Grâce aux cultures modifiées par la magie de Leaves, un petit nombre d’agriculteurs suffirait bientôt à nourrir la population de Border Town. Dans cette optique, et pour ménager de précieuses ressources humaines, Roland avait affecté de nombreux serfs dans les domaines de l’industrie et de l’urbanisme.
Le Prince poursuivit sa lecture.
Le second paragraphe concernait le département de la construction. Les données qui suivaient avaient été divisées en plusieurs catégories : il y avait les maçons, les briqueteurs, les artisans de la terre, les charpentiers, les bricoleurs et ainsi de suite. Ce secteur regroupait plus de 1100 personnes, la grande majorité étant constituée de serfs qui travaillaient comme hommes à tout faire.
C’est précisément grâce à ces personnes venues récemment rejoindre les équipes qu’il avait pu construire aussi vite un lot de quartiers résidentiels et d’usines. Le fait de créer des bâtiments construits sur le même modèle, de faire appel à la production en série et à la routine étaient indispensables pour accélérer le processus de construction. Pour Roland, ces améliorations étaient loin d’être suffisantes mais aux yeux des habitants, c’était un tout autre monde.
Le troisième paragraphe portait sur le personnel minier.
À l’instar de l’industrie de construction précédemment décrite, la quantité d’habitants locaux de Border Town engagés dans ce secteur avait été réduite et se limitait à présent à 25 personnes. Ceux-ci étaient principalement chargés de l’exploitation de la machine à vapeur, de l’enregistrement du minerai ou encore de la supervision du travail. Les 1600 autres employés étaient des étrangers. Il s’agissait de mercenaires capturés durant la bataille contre la Forteresse de Longsong et tous les serfs envoyés à leur suite.
– « Ces derniers temps, nous avons eu à déplorer quelques bagarres au sein de la mine », déclara Barov, « principalement entre les mercenaires et les serfs. C’est une source potentielle d’ennuis, Votre Altesse Royale. Ils sont beaucoup trop nombreux et s’ils venaient à poser problème, les vingt-cinq responsables ne pourraient jamais les contrôler. Je suggère que nous chargions la Première Armée de les surveiller. »
– « Eh bien… »
Roland réfléchit un instant, « D’accord, faites comme bon vous semble. Pour le moment, nous n’avons pas suffisamment de main-d’œuvre pour mettre en place une force de police. J’en discuterai au plus vite avec Hache-de-fer. Je pense que cinquante soldats de l’équipe de tir devraient suffire. »
– « Qu’est-ce qu’une police…? »
– « C’est une sorte de patrouille, mais leur circonscription est beaucoup plus étendue. Ils sont principalement chargés de l’ensemble de la sécurité intérieure. »
À cette époque, il n’y avait pas de séparation entre les forces intérieure et extérieure. Aussi était-ce l’armée qui gérait l’ordre public. En outre, il était peu probable que cela tourne mal. Le Prince n’avait aucunement l’intention de détourner son personnel déjà en place pour former une force secondaire, dans la mesure où son principal ennemi était l’Église qu’il ne fallait pas perdre de vue.
Le quatrième paragraphe recensait les informations concernant la Première Armée de Border Town.
Après la guerre contre la forteresse de Longsong, les succès de la Première Armée avaient fait le tour des Territoires de l’Ouest, ce qui les avait rendus célèbres. Trois cents personnes, avaient, sans grand dommage, eu raison des armées du Duc fortes de 1500 hommes. Ils avaient ainsi anéanti tout espoir de résistance parmi la noblesse de la Forteresse de Longsong.
Après avoir évalué leurs mérites et remis leurs récompenses, Roland avait renforcé la Première Armée de 600 personnes, doublant ainsi ses effectifs. L’ordre de recrutement était à peine publié que déjà, la place de la ville regorgeait de personnes enthousiastes qui souhaitaient s’inscrire. Fidèle à ses critères de sélection, Roland avait retenu trois cent locaux parmi ceux qui étaient en pleine condition physique et n’avaient pas d’antécédents criminels.
Le reste était un résumé de toutes sortes de personnels techniques.
L’industrie de la fonte et du feu avait considérablement augmenté au cours du dernier mois. De 20 personnes, elle avait atteint le nombre approximatif de 400 employés. Grâce aux fourneaux accordés par Lesya, l’ײExpert en matière de foursײ, la Compagnie des Fours du versant Nord pouvait non seulement produire de la brique rouge, mais également du ciment et du verre. Ils avaient également érigé trois fours à cuve. Les ouvriers fondaient le minerai déjà broyé dans la cour et les lingots ainsi produits étaient ensuite transportés vers les secteurs requis.
Concernant l’éducation, la chimie, l’industrie et l’élevage, le nombre des employés n’excédait pas 50. D’un point de vue démographique, Border Town avait encore bien du chemin à parcourir. Mais le fait que le Prince soir parvenu à ce résultat à partir d’une population composée essentiellement de chasseurs et de mineurs était un véritable tremblement de terre.
Pour l’heure, les chasseurs de métier avaient quasiment disparu. D’une nécessité de survie, la chasse était devenue un loisir. Hormis les hommes qui s’étaient engagés dans la Première Armée et ceux qui avaient rejoint l’industrie de la fonte, Border Town comptait encore près de mille individus sans emploi. En attendant que les phases d’alphabétisation et d’éducation universelle soient terminées, Roland décida d’embaucher toutes ces personnes au sein de l’usine comme prélude à l’ère industrielle.