Deux jours après le Départ de Cendres, Maggie, contre toute attente, était de retour à Border Town.
Lorsque tous eurent compris, ils firent un chaleureux accueil à ce nouveau membre de l’Association de Coopération des Sorcières.
La jeune femme fut très touchée que l’on donnât un banquet en son honneur dans le jardin situé derrière le château. On avait garni une longue table de fer de toutes sortes de viandes : chacun pouvait se servir librement et la passer au barbecue.
Il y avait également une vaste gamme d’assortiments : du sel, de l’huile, des piments, des poivrons, ainsi qu’une sauce barbecue créée spécialement par Roland. Pour la réaliser, il avait fait cuire un poulet dans un ragoût composé de toutes sortes de champignons provenant de la Forêt aux Secrets. Le Prince y avait ensuite ajouté un mélange de sel, de sucre et de farine de blé, destiné à remplacer le Glutamate monosodique (GMS) alors inexistant. Maggie dévora à s’en faire éclater le ventre.
L’après-midi même, Roland décida de tester sa capacité.
Rossignol l’avait évalué comme étant de niveau moyen, par comparaison avec celle des autres sorcières. En outre, elle ne pouvait se transformer en un oiseau quel qu’il soit que si elle l’avait déjà vu. Elle pouvait changer quatre à cinq fois d’apparence au cours d’une même journée, sachant que le fait de se transformer lui demandait une grande quantité de magie tandis que si elle gardait la même apparence, la sorcière n’en consommait que très peu. Cette capacité, qui appartenait au type ײinvocationײ était elle-aussi réprimée par la Pierre du Châtiment Divin. Elle aimait par-dessus tout se transformer en pigeon, mais Roland avait remarqué que, quel que soit l’oiseau duquel elle prenait forme, celui-ci serait toujours plus grand que l’animal original. Lorsqu’elle devenait moineau, le Prince estimait que sa taille était plutôt celle d’un pigeon commun et si elle se transformait en pigeon, elle était presque aussi grande qu’un aigle des mers.
Roland était cependant très triste que Maggie ne puisse se transformer en l’une des créatures fantastiques qu’il avait peintes pour elle comme le Phoenix, le Griffon ou encore le Kunpeng*.
De plus, et en raison des intentions de départ de Cendres, quelque chose avait retenu son attention : il lui faudrait se renseigner sur le genre de capacités que possédaient les sorcières que Tilly avait rassemblées. S’il s’avérait que beaucoup de sorcières auxiliaires pouvaient augmenter considérablement l’efficacité de l’agriculture, le Prince n’hésiterait pas à se les approprier en échange de moyens technologiques.
C’est pourquoi Roland décida d’écrire une longue lettre à Tilly. Il commença par lui démontrer qu’il s’agissait d’une alliance naturelle, l’avertit ensuite de l’intention de l’Église d’unifier le continent et joignit enfin une branche d’olivier, exprimant ainsi son désir de pouvoir s’entraider et ce faisant, de progresser ensemble. Il ne lui restait plus qu’à attendre que Maggie se rende dans les Fjords le mois suivant : il n’aurait qu’à lui remettre la lettre.
Le lendemain, le prince reçut une autre bonne nouvelle.
L’usine de production des machines à vapeur était enfin terminée. Elle se trouvait de l’autre côté de la rivière Redwater, à l’ouest, près du champ expérimental de Leaves. Le site était entouré d’une clôture en bois. Une route bien plane et toute simple menait au ponton. Roland avait le projet de faire de ce secteur un parc industriel.
Compte tenu de son souhait d’étendre autant que possible l’espace de construction, l’usine, bâtit dans un matériau de bois relativement facile à utiliser, couvrait une superficie d’environ 1000 mètres carrés. Les machines construites par Anna y avaient déjà été expédiées, soit deux foreuses à vapeur, deux fraiseuses manuelles, une meuleuse et un tour, manuels eux aussi.
Bien que ces machines soient plutôt simples, du moins en théorie, leur fabrication était néanmoins d’excellente qualité. A l’exception des pédales et autres pièces similaires fabriquées en bois, tout le reste était soit en fer forgé ou découpé dans de l’acier. De toute évidence, ces machines étaient réalisées à partir des meilleurs matériaux existant à l’époque et ce avec la plus grande précision.
Roland craignait de n’avoir dans l’immédiat que dix ouvriers pouvant travailler à l’usine. C’étaient tous des forgerons qui travaillaient à la ville, ainsi que leurs apprentis. Ils avaient assisté à la présentation que le Prince avait faite dans la cour du château et ce dernier les avait embauchés pour un salaire mensuel fixe de cinquante Royals d’argent afin qu’ils apprennent à utiliser ces machines de pointe. Les forgerons, munis de tous leurs outils, emménageraient dans le bâtiment de brique situé non loin de l’usine. Cependant, à l’exception de certaines pièces de moindre importance, les machines à vapeur seraient bientôt entièrement fabriquées industriellement.
Pour célébrer l’ouverture de l’usine et du même coup renforcer le moral de son peuple, Roland avait décidé de réunir tous les fonctionnaires de l’Hôtel de Ville et d’organiser une cérémonie d’inauguration accompagné d’un bref discours devant le bâtiment. Sur un salut à coup de révolver simulé par Echo, La Compagnie Industrielle de Graycastle annonça publiquement son existence.
Au cours des jours qui suivirent, Roland, en sa qualité de directeur de la société, vint fréquemment visiter l’usine, afin de montrer personnellement à ses employés comment utiliser les machines et leur exposer le processus global de fabrication.
Le Prince avait imaginé la meilleure manière qui soit de permettre au forgeron analphabète de comprendre le procédé de traitement et d’assemblage d’une machine à vapeur : en cartographiant l’ensemble du processus. Après avoir créé un manuel très simple où chaque pièce portait en annotation un nom, un nombre et une taille, il avait réalisé un diagramme indiquant le schéma ainsi que l’ordre d’assemblage. Soraya l’avait énormément aidé dans cette tâche afin que tout soit prêt à temps.
Les premiers jours, la fabrication se passa exactement comme il s’y attendait. Quasiment aucune pièce ne répondait aux exigences. Il n’était pas question pour le moment de tenter de monter une machine à vapeur.
Cependant, Roland ne se souciait pas du taux de rebuts : entre les mains d’Anna, ces pièces défectueuses retrouvaient en un clin d’œil la forme d’une plaque neuve. Le Prince était persuadé qu’à force de pratique, ces forgerons finiraient par maîtriser ces méthodes de production d’avenir. Ce n’était qu’une question de temps.
Par ailleurs, Roland avait également transformé l’arrière-cour de la mine du Versant Nord en une usine militaire qu’il utilisait principalement pour fabriquer des fusils et de balles de revolver. L’ײexpert en matière de foursײ recommandé par Karl étant arrivé à Border Town, on avait installé un nouveau lot de soufflets qui augmentaient considérablement la température des fours, permettant même de calciner le ciment en poudre. De ce fait, l’ancienne chambre de calcination devenait obsolète.
Mais le Prince étant limité par les compétences artisanales de l’époque, les révolvers tout comme la fabrication des balles restaient pour le moment le domaine d’Anna. Pour l’heure, Roland était encore occupé à concevoir une feuille de métal destinée à fabriquer les balles au moyen d’une machine de découpe. Même si la coupe n’était pas aussi parfaite que celle d’Anna, cela réduirait tout de même un peu sa charge.
Et afin de remercier Anna pour ses deux semaines de travail précipité, il avait décidé de lui faire un cadeau.
– « Un cadeau ? »
La jeune sorcière posa la pièce qu’elle venait de découper, repoussa une mèche de cheveux derrière son oreille, qui avait glissé sur son front et eut une sourire radieux : « Eh bien! »
– « Ne voulez-vous pas savoir de quel cadeau il s’agit ? » la taquina Roland.
– « Euh… » elle réfléchit sérieusement et au bout d’un moment, répondit : « J’ai aimé tous les cadeaux que vous m’avez fait. »
Après six mois de bons soins, la jeune femme avait retrouvé la santé et ne gardait plus trace de son séjour dans le donjon. De maigre et faible, elle était devenue svelte et ses yeux bleus débordaient d’intelligence. Vêtue d’une robe blanche, elle respirait la fraîcheur et tout son corps regorgeait de vitalité.
Elle avait enfin l’air d’une jeune fille de 18 ans.
En la regardant, Roland eut un sourire en coin. Chaque fois qu’il voyait Anna, son moral était au beau fixe.
Le fameux ײcadeauײ, recouvert d’un tissu de lin, avait été installé dans la cour du château afin de ménager la surprise d’Anna. L’idée avait germé dans l’esprit de Roland en voyant l’épée de Cendres ainsi recouverte. Comme il était Prince, le cadeau était forcément quelque chose de spécial. Offrir des bijoux ou autres produits finis semblables n’aurait guère été révélateur de sa sincérité, aussi avait-il dû réfléchir un bon moment avant de trouver l’idée qu’il cherchait.
Roland retira le tissus et dévoila un panier de rotin tressé duquel partaient des cordes reliées de chaque côté à une immense toile.
– « Qu’est-ce que c’est ? » demanda Anna qui s’approcha et entreprit d’en faire le tour, pleine de curiosité.
– « Un ballon à air chaud », répondit Roland avec un sourire, « Il peut vous emmener en plein ciel d’où vous pourrez voir la terre comme un oiseau. »
– « Au ciel ? » Elle se retourna, les yeux brillants d’excitation : « C’est vrai ? »
S’élancer dans les cieux avait toujours été le rêve de l’humanité depuis l’Antiquité, du deltaplane au ballon à air chaud, du dirigeable à l’avion, les hommes avaient payé un lourd tribut pour relever ce défi mais n’avaient jamais renoncé. Bien que de tous temps il y ait toujours eu des sorcières, voler était réservé à une minorité. Le paysage vu de haut devait laisser une impression profonde.
– « Bien sûr, il suffit de remplir la poche à air maintenue par les cordes avec de l’air chaud ».
Roland s’était arrangé avec Rossignol, Foudre et Maggie pour assurer le service d’urgence. En cas d’accident, Foudre, aidée de Maggie sous la forme d’un aigle des mers, pourraient les faire atterrir en toute sécurité. Quant aux autres sorcières, il avait décidé de ne pas les mettre au courant dans l’immédiat, en particulier Wendy et Scroll qui se seraient certainement opposées à toutes ses aventures. Pour elles, le Prince ne devait pas prendre le moindre risque.
NDT : Pour savoir ce qu’est un Kunpeng