Le soleil descendait lentement derrière les montagnes et la nuit commençait à tomber sur les terres de l’Ouest.
Non loin de la route, le groupe de missionnaires avait découvert une clairière où ils décidèrent d’installer leurs tentes.
Quelques temps plus tard, un feu brûlait au centre du camp. Les soldats purent enfin retirer leur armure et étirer leurs corps fatigués. Ils s’assirent tranquillement autour du feu et attendirent que le porridge commence à bouillir.
Alicia pénétra dans une tente, chargée d’un pot d’eau chaude :
– « Prêtresse, je vous ai apporté de l’eau chaude pour vous laver le visage. »
– « Merci », répondit Mira en souriant avec un signe de tête reconnaissant.
Elle plongea sa serviette dans l’eau. « Demain, nous atteindrons enfin Border Town, mettant un terme à ce périple épuisant. »
– « Ce voyage n’était rien comparé aux luttes que nous avons menées contre les bêtes démoniaques », répondit Alicia. « Contre toute attente, j’ai encore plus de respect pour vous depuis que j’ai été témoin de votre talent de cavalière. Je n’aurais jamais imaginé qu’une prêtresse ait à ce point l’habitude de voyager. »
– « Haha, rien de plus normal. Après tout, je ne suis pas née prêtresse. Avant de vivre au sein de l’Église, j’étais colporteuse. J’ai l’habitude de galoper », répondit Mira en essuyant son visage couvert de poussière et de sueur.
Lorsqu’elle eut terminé, la prêtresse tendit le récipient à la guerrière : « Vous devriez vous aussi vous laver le visage. Peut-être vous sentirez-vous mieux ensuite. »
– « Pardon ? » fit Alicia, surprise par cette allusion inattendue.
– « Vous êtes encore préoccupée au sujet de l’Armée du Châtiment Divin », répondit la prêtresse qui secoua la tête en souriant, « votre humeur, encore sous l’effet des paroles d’Abrams, se lit sur votre visage. »
Alicia accepta le pot mais ne répondit rien.
– « Nous… tout au long de votre vie, vous rencontrerez de nombreuses difficultés et défis. Si vous ne parvenez pas à passer ces caps, L’Eglise mais également le monde entier en pâtiront. Parfois aussi, des sacrifices sont nécessaires afin de contenir ces affreux ennemis », enseigna Mira, « C’est une décision difficile, mais n’oubliez jamais la devise de l’église. »
– « Entre deux maux, mieux vaut choisir le moindre », murmura Alicia.
Surtout que la démarche de rejoindre l’Armée du Châtiment Divin était entièrement volontaire. Lorsque le frère d’Abrams avait fait ce choix, il savait parfaitement ce que cela signifiait pour lui. Se sacrifier pour l’Église était l’un des idéaux les plus nobles, et en retour, son nom serait gravé pour la postérité sur le Monument de la Gloire, à jamais lié à la renommée de l’Église.
– « Merci pour vos conseils », dit Alicia en posant la main droite sur son cœur, « Je me sens beaucoup mieux à présent. »
La prêtresse avait dit vrai : afin de répandre sa gloire, ils consacraient toute leur énergie à Dieu. Indépendamment du résultat, les membres de l’Armée du Châtiment Divin avaient au moins suivi leurs propres convictions. Devant cette conclusion, Alicia eut l’impression qu’on lui enlevait le poids qu’elle portait sur le cœur.
– « Nous devrions aller chercher quelque chose à manger, ils ont eu suffisamment de temps pour préparer le repas », dit Mira en riant, « Nous avons mangé tant de porridge que nous ne sommes même plus capables d’en apprécier la saveur. »
– « Heureusement, c’est le dernier jour. »
Alicia ne put s’empêcher de rire à son tour : « Dès demain, nous devrions pouvoir profiter de l’hospitalité du Seigneur et bénéficier d’un somptueux repas. »
Après ce dîner insipide, le Juge Présidant fut désigné pour monter la garde de nuit tandis que les guerriers qui avaient eu la chance d’y échapper rentraient aussitôt sous leurs tentes dans l’espoir de pouvoir dormir de bonne heure. Alicia ne fit pas exception. Accompagnée de la Prêtresse, elle retourna à sa tente, éteignit la lampe et remonta ses couvertures.
Elle ne savait pas combien de temps elle avait dormi lorsqu’encore engourdie, la jeune femme entendit un bruit légèrement étouffé, comme si un gros objet avait été jeté sur le sol. Peu de temps après, le son retentit à nouveau.
Cette fois, quelque chose avait heurté une armure. Bien que le bruit ne fût pas évident, ce n’était en aucun cas une illusion.
Alicia ouvrit brusquement les yeux.
Elle se leva et saisit son épée à deux mains qui reposait à côté d’elle et se dirigea lentement vers l’entrée de la tente. La jeune femme s’apprêtait à s’asseoir dans un coin pour attendre de voir ce qui se passerait mais à ce moment précis, le Juge Président hurla :
– « Nous sommes attaqués! »
Ce rugissement ayant brisé le silence de la nuit, le camp entra immédiatement en ébullition.
C’est alors qu’un bruit intense de choc retentit à nouveau!
La voix puissante du Juge Président se tut brusquement.
Sans hésiter, Alicia bondit hors de la tente et vit l’épée du soldat se briser en deux.
Le sang du Juge jaillit vers le ciel. A la lumière du feu de camp, Alicia vit son corps privé de forces tomber à genoux et se séparer en deux avant de s’écrouler aux pieds d’une femme.
Cette femme, qui tenait une étrange épée entre ses mains, était de toute évidence l’agresseur. Elle portait une robe noire et une capuche dissimulait son visage. Dans l’ombre, Alicia ne put distinguer que ses yeux, étincelants et dorés.
Deux autres juges se précipitèrent dans l’espoir d’arrêter cette femme, mais devant son arme terrifiante, il était vain d’espérer résister. Non seulement l’ennemi avait décapité un guerrier avec facilité, mais également coupé son épée en deux.
Alicia entendit d’abord deux épées qui s’entrechoquent, puis des étincelles jaillirent et des débris volèrent en éclats. Le bruit sourd d’une épée tranchant la chair et écrasant les os se fit entendre. Devant cette cacophonie digne d’un cauchemar, son sang se figea.
– « Sorcière! » cria une voix.
L’ennemie était seule… Et elle avait osé attaquer le camp de l’armée des Juges! À moins de posséder la puissance d’une personne déchue, personne n’aurait pu réussir cet exploit!
Alicia entendit soudain derrière elle une voix familière :
– « Emmenez la prêtresse et fuyez! »
Elle se retourna et reconnut Abrams.
– « Vous tenez vraiment à ce que je fuie en abandonnant mes compagnons ? » s’exclama la jeune femme qui n’en croyait pas ses oreilles.
– « Si vous ne le faites pas, les autres seront morts pour rien. De toute évidence, vous ne comprenez pas! » Gronda Abrams. « Cette sorcière n’est en rien affectée par la Pierre du Châtiment Divin. C’est forcément une extraordinaire. Je vais donc tenter de l’arrêter, quant à vous, vous avez le devoir de conduire la Prêtresse vers la Forteresse de Longsong! N’oubliez pas, restez bien sur la route. De cette façon, si jamais vous rencontrez une caravane, vous pourrez immédiatement demander de l’aide! »
Saisissant son épée, il se précipita vers l’ennemi.
« Une extraordinaire! » Alicia prit une grande bouffée d’air froid : « D’après les légendes, seuls les membres de l’Armée du Châtiment Divin sont assez forts pour les combattre. C’est pourquoi toute personne qui se retrouverait face à une sorcière extraordinaire est tenue de demander immédiatement de l’aide à l’église locale. »
Alicia comprit qu’Abram avait raison : si elle restait là, leurs sacrifices seraient vains.
Voyant qu’ils avaient déjà perdu cinq de leurs membres, les Juges changèrent de stratégie. Ils se mirent à utiliser les tentes et le terrain dans une sorte de jeu de capture, s’efforçant de gagner le plus de temps possible. Mais Alicia savait que la puissance comme la rapidité de la sorcière étaient bien supérieures à celles de ses compagnons. Ils seraient bientôt tous morts, ce n’était qu’une question de temps.
– « Que s’est-il passé ? » Demanda Mira, confuse.
– « Le camp a été attaqué par une extraordinaire! Je dois vous emmener! » cria-t-elle pour toute réponse : « Je vous en prie, faites vite! »
Prenant le taureau par les cornes, elle se précipita sous la tente, saisit la Prêtresse qui s’efforçait toujours de mettre ses chaussures et la tira en direction des chevaux.
Mais de nuit et sans visibilité, la tâche s’avéra très difficile. Si elles allaient trop vite, les chevaux risquaient de heurter une bosse sur le bord du chemin et de se blesser, et si elles étaient trop lentes, la sorcière les rattraperait sans peine.
Alicia décida de laisser les chevaux descendre la route, tandis que toutes deux entraient dans les bois qui bordaient le chemin. L’ennemi aurait du mal de les retrouver sans l’aide du feu.
Laissant le bruit des armes derrière elle, elle tira la Prêtresse par la main, s’en remettant à la lumière blafarde du clair de lune pour identifier l’environnement. Elles s’enfoncèrent dans les bois, s’éloignant toujours plus de la route. Toutes deux augmentaient leurs chances de rencontrer des animaux sauvages, comme par exemple des vipères, mais cela valait mieux que d’avoir à affronter cette sorcière face à face.
Lorsqu’enfin elles atteignirent le pied de la Chaîne des Montagnes Infranchissables, Alicia se sentit un peu soulagée. Apparemment, la sorcière avait renoncé à les poursuivre. À l’exception de quelques cris d’oiseaux, l’environnement était parfaitement silencieux.
« Qu’allons-nous faire à présent ? » Demanda Mira.
La Prêtresse n’ignorait pas ce qui risquait de se produire, mais visiblement, elle n’était pas particulièrement effrayée. En la voyant si calme, Alicia fut remplie d’admiration :
– « Prêtresse, le mieux est de nous mettre à la recherche d’un endroit où nous reposer et passer la nuit. Dès l’aube, nous reprendrons la route en direction de la Forteresse de Longsong et demanderons de l’aide. »
– « Ne devrions-nous pas plutôt nous rendre à Border Town ? De là où nous sommes, il nous faudrait plus d’une journée et une nuit pour atteindre la forteresse. »
– « Non », répondit Alicia en secouant la tête. « Rencontrer une extraordinaire ici est une coïncidence trop étrange. Je soupçonne le Seigneur de s’être ligué avec les sorcières, aussi est-il trop dangereux pour nous de nous rendre dans cette ville. »
– « Vos propos sont sensés. »
Mais soudain, la Prêtresse regarda derrière Alicia et écarquilla les yeux.
Devant sa réaction, le cœur d’Alicia défaillit.
Elle se retourna et aperçut la sorcière vêtue de sa robe noire qui émergeait lentement de l’obscurité. Ses yeux étincelaient comme des étoiles et un hibou voltigeait au-dessus de ses épaules.