Le principe sur lequel reposait un générateur à courant continu, comme sa structure, étaient très simples. Enfant, Roland avait déjà démonté plus d’une douzaine de moteurs à quatre roues motrices. Des moteurs ordinaires aux légendaires « panthères dorées », en passant par les kits « construisez vous-même » concernant des rotors fabriqués à la main avec du fil de cuivre. Ces dispositifs étaient tous des moteurs standards à courant continu.
Il n’y avait aucune différence dans la structure d’un générateur et moteur DC. A la base, ils étaient semblables, seule leur fonction différait. Avec un dispositif capable d’aider le rotor du moteur à tourner et en amenant le fil à traverser continuellement la ligne d’induction magnétique, il pouvait générer et induire un courant électrique illimité.
Avec l’aide d’Anna et de Lune Mystérieuse, il ne fallut qu’une demi-journée à Roland pour finir d’assembler un simple moteur à courant continu. Toutes les parties du stator, réalisées en bois, étaient ensuite remises à Lune Mystérieuse pour qu’elle les magnétise. Le rotor était constitué d’une bûche surmontée de commutateurs intégrés aux deux extrémités. Il serait relié par un manche à la machine à vapeur à travers un trou percé en son centre. Cette structure était non seulement très facile à fabriquer, mais de surcroît, elle permettait aux commutateurs d’être isolés l’un de l’autre.
Concernant la nouvelle machine à vapeur, Roland et Lune Mystérieuse restèrent sur le côté, regardant Anna effectuer ses incroyables techniques de traitement. Lorsqu’il fallait réaliser de grandes pièces, elle étendait son feu noir, l’enveloppait comme une couverture autour d’un tas de lingots et les laissait fondre. La sorcière n’avait alors plus qu’à mouler le fer dans les tailles requises et à les découper ensuite pour leur donner la forme désirée.
Le lendemain, alors que Roland s’apprêtait à se rendre dans la salle de calcination située dans son jardin pour tester l’efficacité du générateur, ses gardes lui apportèrent de très bonnes nouvelles. L’Instructeur en chef de l’Atelier d’Alchimie de Silver City était arrivé à Border Town, accompagné d’autres personnes.
Kyle Sichi avait pris une décision catégorique. L’après-midi même, il avait emmené sa famille et plus d’une douzaine de disciples avec lui et s’était embarqué sur le premier navire marchand en partance pour Border Town. Malheureusement, Chavez, après un long moment d’hésitation, avait finalement décidé de rejeter l’invitation de son instructeur.
Kyle n’avait divulgué le contenu de la lettre à aucun des autres alchimistes, si trop de gens venaient à le savoir, il lui faudrait retarder d’autant son départ. L’Alchimiste redoutait qu’en moins de temps qu’il ne faut pour le dire, la nouvelle de son succès dans la reproduction du Verre de Cristal ne parvienne aux oreilles du Duc. Pour peu qu’à ce moment précis Kyle soit sur le départ, étant donné qu’il serait alors réputé pour sa capacité pour créer des produits de luxe à haut rendement, le Duc ferait certainement tout pour le garder fermement sous son contrôle.
Il avait consigné la formule du verre de cristal et sa méthode de fonte sur un papier, puis stocké celui-ci dans le placard aux formules de la salle de raffinage. Le Duc pourrait ainsi investir lourdement dans la production de cristal et, ce faisant, soutenir indirectement l’Atelier d’Alchimie. Mais la formule, comme l’Atelier en général, était bien peu de choses comparées à l’opportunité qui était donnée à Kyle de découvrir la vérité au sujet de l’alchimie.
Cinq jours plus tard, il rencontrait enfin l’auteur de la lettre, Roland Wimbledon.
Pour l’heure, ils se trouvaient dans la salle de réception du château et Kyle venait tout juste de rendre ses hommages. L’alchimiste n’avait même pas posé son postérieur sur son siège que déjà, il ne pouvait plus cesser de parler.
– « Votre Altesse, j’aimerais avoir une conversation amicale avec votre alchimiste. »
– « Mon alchimiste ? » Le Prince eut un sourire : « Avant que vous n’arriviez à Border Town, nous n’avions pas d’alchimiste. A partir de maintenant, vous êtes mon alchimiste. »
– « Vous voulez dire… que vous avez-vous-même écrit ces formules alchimiques ? »
Kyle entrevit soudain une autre possibilité. « Mon interlocuteur est un Prince qui tient tout son savoir des enseignants privés et autres mentors. S’il a eu connaissance de ces formules, est-ce à dire que l’Atelier d’Alchimie de la Cité du Roi connaissait depuis longtemps l’essence de l’alchimie ? Et nous qui nous imaginions les avoir surpassés! A présent, cela me semble totalement ridicule. »
– « Pas exactement », répondit Roland. « Ces formules proviennent d’un livre ancien qui a été écrit il y a plus de quatre cents ans et que j’ai récemment découvert. Il y a des centaines d’années, l’alchimie était apparemment appelée ײchimie ײ ».
– « Que… »
En apprenant que les formules ne venaient pas de l’Atelier de la Cité du Roi, Kyle se sentit soudain beaucoup mieux. Mais la réponse du prince l’avait quand même surpris. Un livre d’alchimie datant de plus de 400 ans ?
« Il faut savoir que l’Atelier Alchimique de la Cité du Roi a moins de 200 ans. Cela signifie-t-il que les générations futures s’intéresseront également à nos inventions ? »
– « Oui, dans ce livre, les savants ont formulé une hypothèse qu’ils ont appelée : ײ Théorie de la conservation de la matière ײ. Elle affirme que la matière, à l’origine de tout ce qui existe dans le monde, ne peut ni disparaître, ni augmenter. Elle ne fait que passer d’une forme à une autre. Finalement, tout n’est qu’un morceau du même gâteau. »
Roland désigna un gâteau posé sur une table à proximité : « Lorsque vous le mangez, il entre dans votre estomac. De là, vous absorbez certains de ses composants qui deviennent partie intégrante de votre corps, tandis que le reste sera excrété. Par conséquent, si vous compariez maintenant les parties intégrées et les parties rejetées avec le gâteau initial, la qualité de matière serait toujours la même. »
– « Un instant… Votre Altesse Royale. »
Kyle exprima le fond de sa pensée : « Si je prends un morceau de bois, que je le coupe et le réduise en cendres : quel que soit son poids initial, les cendres recueillies après passage au feu seront toujours plus légères que le bois dont elles sont issues. Si la matière n’a pas disparu, dans ce cas où est-elle ? »
– « Toutes ces questions sont également expliqués dans le livre », répondit Roland en riant. « La matière manquante a été transformée en gaz et eau, et l’eau a atteint une telle température qu’elle s’est transformée elle aussi en gaz et s’est évaporée. Finalement, tout ce qui reste et que vous pouvez voir, ce sont les résidus. »
– « En gaz ? » s’exclama Kyle, en proie à une sensation indéfinissable : « Voulez-vous dire que l’air a également un poids ? »
– « Bien sûr que l’air à une masse », répondit le Prince avec un signe de tête affirmatif. « Ceci est du reste très facile à vérifier. Il suffit d’introduire de la sciure dans une bouteille, de la fermer et de la placer sur une balance. Ensuite, vous mettez le tout à chauffer et effectuez une nouvelle pesée. Vous vous apercevrez que le poids de la bouteille n’a pas changé. C’est parce que le gaz, qui n’avait aucun moyen de s’échapper, est resté dans le flacon. »
– « Ceci… est également consigné dans votre vieux livre ? Auriez-vous la bonté de me le montrer ? » Demanda Kyle, impatient.
– « Vous le verrez, si vous acceptez d’abord certaines de mes conditions. »
Roland lui tendit une feuille de papier.
– « Dites-moi simplement lesquelles. »
– « Tout d’abord, si vous acceptez de travailler pour moi, votre salaire sera calculé en fonction des revenus habituels de l’Atelier d’Alchimie de Silver City. Ensuite, une fois que vous aurez accepté ce travail, vous devrez respecter les règles de confidentialité. Cela signifie que tout ce que vous apprendrez doit rester secret pour les autres alchimistes. Troisièmement, si vous en acceptez les termes, vous devrez signer ce contrat. »
« Celui-ci est conclu pour cinq ans. A l’issue de cette période, vous serez libre de choisir votre destin. Vos découvertes alchimiques ne seront alors plus soumises aux restrictions de confidentialité. Vous pourrez en faire part à vos collègues de l’Atelier. Si vous acceptez ces trois conditions, et conformément au contrat, Border Town vous fournira un logement gratuit et un laboratoire de chimie. Et enfin, je vais vous prêter le titre intitulé « Chimie élémentaire » afin que vous puissiez l’étudier et s’il y a quelque chose que vous ne comprenez pas, n’hésitez pas à venir me trouver. »
« Ces conditions ne me paraissent pas draconiennes », pensa Kyle, « même si les mots tels que ‘règlements confidentiels,’ ‘laboratoire chimique’ et autres de ce genre soient vraiment difficiles à prononcer, je pense que j’ai compris l’essentiel. De plus, un contrat de cinq ans n’est pas si long. »
L’alchimiste s’était imaginé que le Prince exigerait qu’il reste à Border Town pour le reste de ses jours.
Et… quand bien même ses conditions auraient été plus sévères, Kyle aurait persisté dans son désir de voir de ses propres yeux le livre sur lequel était consignée l’essence même de l’alchimie.
Après avoir réfléchi, Kyle se leva de son siège et s’inclina :
– « Je suis à votre service, Votre Altesse Royale. »
– « Excellent, à présent nous avons un marché », répondit le prince sans se soucier de l’étiquette. « Votre lieu de travail est situé juste à côté de la rivière Redwater. Lorsque nous aurons signé le contrat, je vous conduirai au laboratoire afin que vous puissiez vous familiariser avec votre nouvel environnement. Je vous expliquerai comment utiliser la verrerie et vous informerai sur les règles relatives à votre lieu de travail. »
A ces mots, Kyle se dit que quelque chose clochait dans cette situation. Comment le Prince pouvait-il être si doué pour l’alchimie, au point qu’il avait le sentiment que ce dernier avait plus d’un tour dans son sac ? N’était-il pas supposé être un noble comme tous les autres, qui avait simplement eu la chance de trouver un livre ancien lui permettant de travailler un peu l’alchimie ?
Cependant, ce n’étaient que des détails mineurs. Il fit abstraction de ses doutes et demanda : – « Votre Altesse souhaite-t-elle que je raffine quelque chose ? »
– « En effet, j’ai besoin d’un acide hautement concentré. Plus la concentration sera élevée, mieux cela vaudra », répondit le Prince.