Chapitre 1030 – Dis

En ce qui concernait Baator, moins de dix diables possédaient autant de connaissances que Leylin. Il connaissait parfaitement l’étendue de l’influence d’Asmodée.

Bien qu’Asmodée fût le diable le plus puissant, son pouvoir se limitait au Neuvième Enfer. Les sept autres Archidiables ne s’intéressaient pas à lui. Lui laisser le pouvoir de nommer un seigneur de Dis ? C’était une vaste plaisanterie !

Malgré cela, nombre des Huit sombres furent séduits par lui ; ils aspiraient au moins à la réputation d’avoir conquis le Second Enfer. Même si ce règne était trompeur, il bénéficierait au moins du soutien d’Asmodée.

« En comparaison, Baalzephon est plus pragmatique ! » Se rappelant le plan qu’il avait révélé, un sourire apparut sur le visage de Leylin.

……

Leylin regarda autour de lui et aperçut rapidement une cité de fer en flammes. Un feu infernal embrasait les murs intérieurs, et une épaisse fumée s’élevait, formant un brouillard noir qui recouvrait Dis tout entière. Les murs étaient rouges, et le moindre contact avec eux provoquait de graves brûlures.

Même les galets métalliques qui formaient la route étaient soumis à des températures extrêmes. Sans protection contre le feu ni chaussures spéciales, les piétons se débattraient bientôt au sol, souffrant avant de brûler.

Les courants d’air au coin des rues portaient souvent des cris de détresse provenant des profondeurs de l’enfer. C’étaient les lamentations des prisonniers de la grande prison souterraine, parmi lesquels des esclaves, des pétitionnaires de la Guerre Sanglante et même des mortels enlevés du plan matériel primordial.

Une fois les âmes mûries par la torture et la souffrance, les meilleurs biens étaient envoyés dans les nobles résidences environnantes pour être appréciés par la noblesse.

De nombreux nobles diables aimaient organiser des banquets. Ils se réunissaient pour discuter de la portion la plus savoureuse d’un prisonnier, puis inventaient des techniques de « cuisson » encore plus raffinées.

Debout dans la rue, Leylin sentait le souffle et les battements des cœurs sous Dis. Contrairement à Avernus, il avait l’impression de pouvoir utiliser toute la puissance de ce plan, comme s’il en était le propriétaire.

La force turbulente de Baator se soumettait à la volonté de Leylin, sans rencontrer la moindre résistance. C’était Belzébuth, toujours vivant et possédant encore ce qui restait de lois et d’autorité.

« Dis ! Si je dévore Belzébuth jusqu’a la dernière cote, je serai comme un dieu dans son royaume divin ! » L’autorité des Archidiables en enfer pouvait assurément être comparée à celle des vrais dieux dans leurs royaumes divins. Bien sûr, cela se limitait au territoire dont ils étaient les maîtres.

Leylin soupira intérieurement. C’était Dis, la deuxième couche de Baator. C’était une immense cité de fer, si vaste qu’elle n’avait aucune limite. La cité constituait un plan entier !

« Pourquoi restes-tu planté là, comme hébété ? Tu ne bouges pas encore ? » Un homme en robe grise, debout à côté de Leylin, le réprimanda.

« Oui, mon seigneur ! » Leylin s’inclina humblement, ricanant intérieurement. Cet individu déguisé était bien sûr Baalzephon. Le damné n’avait visiblement pas suivi le jeu d’Asmodée, qui étendait les territoires d’Avernus. Au lieu de cela, il était arrivé secrètement au Second Enfer.

Cependant, son objectif était on ne peut plus clair. Le démon des enfers, membre des Huit Sombres, comptait s’emparer de cet enfer. Il voulait retrouver Belzébuth disparu et le capturer, lui extorquer sa force et devenir le véritable Seigneur de Dis !

Les ordres d’Asmodée ne lui seraient alors rien ; les seigneurs des Neuf Enfers étaient au même niveau que le Suprême !

De toute évidence, Baalzephon avait déjà trahi Asmodée en secret, mais Leylin n’en fut pas le moins du monde surpris. Après tout, la trahison et les complots n’étaient pas nouveaux pour les diables, surtout lorsqu’il s’agissait de leurs supérieurs.

« Honnêtement, Baalzephon va dans la bonne direction, mais il y a quelque chose qui cloche dans ses plans. Il n’est pas le seul à y songer… Que ce soit Asmodée ou d’autres seigneurs, ils projettent probablement tous de s’en prendre à Belzébuth… » Leylin soupira intérieurement.

« Je me prépare à m’infiltrer dans la Tour de Fer pour enquêter. Avez-vous des projets ? » Baalzephon désigna un point remarquable au centre de la ville, dominant les nuages.

C’était la Tour de Fer, le palais de Belzébuth. Il quittait rarement les lieux, mais cela faisait déjà des décennies qu’on n’avait plus de ses nouvelles. Après des dizaines de tentatives de communication infructueuses et sans aucune réaction, même après leur entrée forcée, la mystérieuse disparition de Belzébuth commença à se répandre.

Cependant, vu la ruse des diables, personne ne savait s’il s’agissait d’un complot de l’Archidiable. Même Baalzephon n’en était pas certain.

Bien sûr, Leylin lui avait donné suffisamment confiance pour qu’il pénètre dans la Tour de Fer et y enquête. Il espérait recueillir des informations sur la disparition de Belzébuth.

Leylin l’incitait à servir ses propres intérêts. Après tout, trouver Belzébuth et le dévorer avant les autres Archidiables était son principal objectif en venant à Baator.

« Seigneur Baalzephon, il y a des foires et des marchés autour de Dis. Nous pourrions trouver un moyen de nous y faufiler… » Leylin fit une suggestion sérieuse.

La Tour de Fer de Belzébuth, véritable forteresse personnelle, recelait de nombreux pièges et ruses. Des golems et des créatures sous contrat la gardaient, et à l’intérieur même de la Tour de Fer, Belzébuth était quasiment invincible. C’est pourquoi il quittait rarement les lieux et n’y laissait entrer aucun démon.

Du point de vue de Leylin, s’il n’était jamais parti, c’était par prudence et par lâcheté. C’était aussi parce qu’il utilisait la Plaque Manderhawke pour se connecter au plan matériel primordial, propageant la foi et contaminant les âmes.

De toute évidence, il avait également tenté d’entrer en contact avec de nombreux autres lieux, réussissant finalement à s’échapper de la sphère de cristal. S’il avait été au bon moment, il aurait même pu surpasser Asmodée en force, utilisant une réserve inépuisable d’âmes pour devenir un véritable Suprême des Neuf Enfers. Malheureusement, il avait rencontré la tragédie en la personne de Leylin.

« D’après ce que je sens, il n’y a aucune trace de Belzébuth dans le Second Enfer… » pensa Leylin en suivant Baalzephon. « Avec lui qui me protège, il n’y aura pas beaucoup de soupçons. Les autres Archidiables devraient s’acharner à retrouver des traces de Belzébuth, afin que je puisse utiliser temporairement leurs pouvoirs… »

« La Plaque de Manderhawke est également une cible importante à l’intérieur de la Tour de Fer… » La Plaque de Manderhawke était un objet mystérieux capable d’affaiblir la sphère de cristal. Une simple imitation des motifs présents dans ses souvenirs aida Leylin à pénétrer dans le Monde des Dieux ; à ses yeux, les usages de cette plaque surpassaient même la plupart des armes divines.

« Marché ? Tu essaies de me ridiculiser ? » Une lueur menaçante passa dans les yeux de Baalzephon, et les flammes vertes du contrat apparurent sur ses mains.

« Tu fais partie de la garde de l’Archidiable, sous les ordres d’Azlok, l’un des laquais de Belzébuth. Ce démon des abîmes veille à la sécurité de la Tour de Fer. Tu n’as aucun moyen d’y entrer ? Hein ? »

Les flammes sur les mains de Baalzephon vacillèrent, laissant apparaître une expression de douleur sur le visage de Leylin. Bien sûr, c’était faux.

« Veuillez patienter, mon Seigneur ! Je suis censé être absent en ce moment, il m’est donc impossible d’obtenir l’approbation d’Azlok… » Leylin semblait se sentir lésé.

« C’est ton problème. Je dois entrer dans la Tour de Fer dans les trois heures infernales. Si tu n’y arrives pas, tu deviendras un xerfilstyx stupide et laid ! » menaça Baalzephon, révélant le tempérament naturel des diables.

Les diables aiment traiter leurs subordonnés durement, allant même jusqu’à leur confier des tâches impossibles avant de les punir. Ils le faisaient généralement à leurs subordonnés les plus proches, afin de s’assurer que personne ne puisse les menacer.

Ces démons subordonnés ne pouvaient accomplir chaque tâche que dans la peur et saisir chaque occasion de s’élever. Ils utiliseraient toute leur puissance pour gravir les échelons sociaux, trahissant leur supérieur au moment opportun et fomentant la rébellion. Ils voudraient atteindre le sommet du pouvoir à Baator pour se libérer de cette souffrance.

Aux yeux de Baalzephon, cependant, le diable cornu appelé Leycien avait encore son utilité. Cette tactique était utilisée à son insu.

« D’accord, je vais trouver une solution ! » Voyant Leylin s’enfuir comme un feu, Baalzephon sourit de satisfaction. Seul un fouet et une raclée féroce permettaient à ces diables d’obéir. Il fallait aussi les enchaîner pour les empêcher d’attaquer leurs maîtres.

Baalzephon se conformait en réalité à toutes les maximes d’un certain diable.

……

Deux heures d’enfer plus tard, Leylin était de retour.

« Mon Seigneur… » Le diable cornu avait maintenant un regard flatteur et un sourire modeste sur son visage.

« J’ai fait de mon mieux pour convaincre Azlok que j’avais trouvé des indices sur la localisation de l’Archidiable, raison pour laquelle je suis retourné à Dis. J’ai également contacté certains de mes hommes et les ai soudoyés. J’ai réussi à entrer dans la Tour de Fer pour mille jingles… »

On pouvait évidemment corrompre les diables, mais le prix à payer fit froncer les sourcils à Baalzephon. « Quel cupide ! Es-tu sûr que sa promesse est vraie et qu’il ne te trahira pas ? »

« Je peux te le promettre. Jack a même signé un contrat et prêté serment. » Leylin semblait résolu.

« Bien. Prends ça ! » Baalzephon y jeta une gemme pleine d’énergie spirituelle, puis vit l’air hésitant du diable cornu.

« Il n’y en a qu’une centaine ici, mais il en veut mille… »