Chapitre 1016 — Vallée

« Les seules choses qui inquiètent réellement le continent sont le problème du désert du Nord et celui de l’Ouest. Le reste… n’est que détails. »
Xena s’interrompit, ses beaux yeux se posant sur Leylin.
« Mais bien sûr, si des nouvelles vous concernant venaient à filtrer, mon Seigneur… cela déclencherait une nouvelle tempête. »

Ces deux choses me concernent vraiment , pensa Leylin en se frottant le nez. Mais il n’avait aucune intention de tout avouer.

Xena baissa alors la voix, penchée à son oreille :
« La naissance d’un nouveau demi-dieu… et la conquête de plus d’un million d’indigènes avec seulement cinq mille pirates… L’un ou l’autre de ces événements suffirait à stupéfier le continent, et pourrait même affecter les plans extérieurs. »

« Je préfère éviter cela pour l’instant. Je ne veux pas attirer l’attention de l’Église de Helm. »
Leylin l’interrompit d’un ton sec. Mais au lieu de se vexer, Xena esquissa un sourire narquois.

« Ne vous inquiétez pas, Seigneur. Notre Église a déjà travaillé avec des personnes… comme vous. Et, disons… les deux parties en sont sorties satisfaites. »

« Hm ? » Les yeux de Leylin se plissèrent. « Nous devrions en discuter plus en détail ce soir. »
L’allusion de Xena, laissant entendre qu’elle pourrait l’aider à régler le problème avec le Dieu de la Protection, éveilla son intérêt. Même s’il doutait de sa sincérité, il n’était jamais mauvais d’en savoir plus.

Ils atteignirent bientôt le petit village dont Xena avait parlé.
À peine entré, Leylin remarqua quelque chose d’étrange.

« Il n’y a pas de roturiers ici… Ce sont tous des Professionnels. »
Le rayonnement de l’âme d’un Professionnel était très différent de celui d’un humain ordinaire : si le premier était comme un grain de sable brillant, le second n’était qu’une faible luciole. Aux yeux de Leylin, les deux restaient insignifiants, mais la différence était nette.

« Dès la découverte de cette vallée, notre Église a acheté les terres environnantes et y a placé nos chevaliers en patrouille permanente. »
Xena applaudit ; quatre silhouettes sombres surgirent aussitôt du village. Leur démarche fluide et leur prestance montraient qu’il s’agissait de chevaliers de haut rang.

« Prêtresse ! Seigneur ! »
Les quatre s’inclinèrent profondément, prenant même soin de mener les chevaux de Leylin et Xena comme s’ils étaient leurs écuyers.

Leylin en resta silencieux quelques instants, puis soupira :
« Comme on peut s’y attendre de l’Église de la Richesse… toujours aussi autoritaire. »

Xena ne répondit pas, mais la fierté brillait dans ses yeux.

« Qui défend la vallée, en ce moment ? » demanda-t-elle au chevalier en armure noire qui se tenait devant elle.

« Le Croisé de la Lance, Seigneur Jeffries ! » répondit l’homme avec un éclat d’adoration dans le regard.
« Nous avons repoussé plusieurs vagues de chacals-garous, et un groupe d’aventuriers du royaume est aussi passé par ici… mais aucun n’avait une force remarquable. »

Les Églises du Monde des Dieux étaient les organisations les plus puissantes du Plan Matériel Primordial. Leurs prêtres maniaient des sorts divins, leurs coffres débordaient de richesses, et leurs fidèles zélés pouvaient compter sur le soutien direct de dieux véritables et éternels. Même les royaumes humains leur cédaient du terrain, leur accordant le droit d’être adorés librement.

La moitié des êtres puissants du monde leur étaient affiliés. Les paladins, eux, bénéficiaient d’armes supérieures, de conseils avisés et d’une vie plus aisée. Sans ces avantages, beaucoup songeraient à changer de dieu.

« Nous passerons la nuit ici, et demain nous irons dans les montagnes pour rencontrer Lord Jeffries. Qu’en pensez-vous ? »
Xena parlait comme si elle était la maîtresse des lieux.

« D’accord. » Leylin acquiesça, bien qu’une lueur sombre ait traversé son regard.

La nuit tomba vite. Leylin observa un instant le ciel constellé d’étoiles, puis reporta son attention sur Xena et les chevaliers.
Ils ne savent presque rien… et tous sont remplaçables. Les dieux sont sans cœur.

Le lendemain, Xena les guida :
« C’est ici que les événements étranges ont été signalés. Lord Jeffries nous attend plus loin. »

« Ah, Seigneur Jeffries ! » Xena s’inclina respectueusement devant le légendaire que Leylin avait déjà rencontré.
« Pardonnez-nous de vous avoir fait venir jusqu’ici… »

« Seigneur Leylin ! » Jeffries ignora Xena et fixa Leylin avec un mélange de reconnaissance et… d’envie meurtrière.
« Quelques années à peine, et vous avez déjà accompli tant de choses ! »

Tout légendaire rêvait de devenir un dieu. Mais Jeffries, enchaîné à l’Église de Waukeen, savait qu’il ne pourrait jamais se libérer. Voir Leylin franchir ce pas le rongeait.

Peu importe ta puissance, tu ne pourras pas échapper au destin… pensa Jeffries, affichant pourtant un sourire courtois.

« Vous m’aviez fait une excellente impression à la cérémonie, Seigneur Jeffries. » répondit Leylin avec aisance.

Ils pénétrèrent dans la vallée noyée de brume.

« L’aura élémentaire est étrange… et cette brume renferme un pouvoir de scellement puissant. » prévint Jeffries, ouvrant la marche.
Les vignes noires se multipliaient, le sol devenait sablonneux, et la brume grise, plus dense encore.

« Même une grande formation magique ne pourrait durer si longtemps… Il s’agit sûrement du rayonnement d’une arme divine. Le Sceptre de Savras, dit-on, possède de telles capacités de scellement. »

Un hurlement fendit l’air ; un chacal-garou surgit, exhalant une odeur fétide.

« Quelle plaisanterie ! »
La lance de Jeffries s’abattit en un éclair blanc laiteux, tranchant la créature en deux. Des entrailles et des os noirs en tombèrent.

« Ces êtres corrodés sont incroyablement résistants… Les tuer prend une éternité. » expliqua Jeffries.

Leylin, lui, s’accroupit, observant la chair déformée.
« C’est la contamination des régions lointaines… Bien pire à l’intérieur. » continua Jeffries. « S’il n’y avait pas d’arme divine ici, j’aurais déjà contacté l’Association druidique pour signaler cette pollution. »

« Oh, pardon. C’est la première fois que je vois de telles créatures. » dit Leylin en se relevant.

« Même les légendaires de haut rang ne peuvent traverser la moitié de cette vallée… » murmura Jeffries, avant de s’arrêter brusquement.
Son regard alla de Xena, déjà à bout de forces, à Leylin, qui semblait parfaitement indemne.

« Combats-moi. » dit-il soudain.

« Seigneur Jeffries ! Seigneur Leylin est notre invité ! » protesta Xena.

Leylin haussa un sourcil.
« Tu m’attaques maintenant ? Pourquoi ne pas m’avoir conduit plus loin pour m’encercler ? »

Jeffries sourit froidement.
« Ce n’est pas amusant, avec d’autres. Un fier légendaire mérite mieux. Et… tu avais compris, pas vrai ? »

« Oui. Je voulais juste confirmer mes soupçons… et voir jusqu’où va ta corruption. »

Des rayons dorés jaillirent du corps de Leylin, et son domaine de massacre rouge sombre s’étendit, oppressant Jeffries.

« Plus besoin de te cacher. Sors d’ici ! » gronda ce dernier.

Le brouillard se condensa, formant une cage autour d’eux. Une silhouette familière apparut :

« Alors c’est toi… Benedict. » dit Leylin, surpris. « Tu as fini tes affaires du Nord ? »

« Leylin ! Tu as failli anéantir les plans de notre maître ! » répliqua l’évêque de Tyr, entouré de paladins, prêtres et mages au service de Mystra.