Hu Yue sentit qu’à ce stade de l’entretien, il était temps d’élever le niveau, d’aiguiser sa réflexion, de déployer son imagination.
Pour un concepteur de talent tel que Patron Pei, la route n’avait sûrement pas toujours été pavée de roses.
Sans quelques tempêtes, comment aurait-il pu décrire avec une telle précision le désarroi d’un créateur de contenu dans Game Designer , et toucher aussi profondément le cœur de tant de joueurs ?
Pourtant, Ma Yiqun se gratta la tête, l’air songeur.
« Je ne pense pas. »
« Hein ? » s’étonna Hu Yue, prise de court.
« D’après ce que je sais, Patron Pei n’a pas vraiment connu d’échecs. Tout s’est toujours plutôt bien passé pour lui… »
Il énuméra calmement :
« The Lonely Desert Road, Ghost General, Ocean Stronghold, et Game Designer… Patron Pei n’a réalisé que ces quatre jeux, et tous ont été des succès retentissants. »
« Alors, si vous me demandez si Patron Pei a conçu ce jeu parce qu’il avait traversé personnellement de telles épreuves, je ne saurais pas vraiment le dire. Ce dont je suis certain, en revanche, c’est que beaucoup d’autres concepteurs et développeurs, eux, ont connu ces difficultés… »
Il marqua une pause.
« Mais pas Patron Pei. »
Hu Yue resta interdite.
Était-ce donc cela, un génie ?
Comme ces grands réformateurs de l’Histoire : bien que perchés aux plus hauts échelons, protégés par un destin clément, ils portaient en eux la capacité rare de ressentir la douleur et l’angoisse des couches les plus modestes.
Une qualité d’une puissance inouïe.
« Une dernière question… »
« La série de courts métrages La vie quotidienne de Patron Pei, qui a gagné en popularité sur Internet… Il semble qu’elle ait utilisé certaines ressources de Tengda Games. Puis-je vous demander si Tengda a collaboré avec cette série ? »
Ma Yiqun acquiesça.
« En, en fait, il suffirait de creuser un peu pour le découvrir. La vie quotidienne de Patron Pei est produite par Fei Huang Workspace, et Fei Huang Workspace est une filiale de Tengda. »
Les yeux de Hu Yue s’illuminèrent.
« Je comprends mieux ! Cela signifie donc qu’une des raisons du succès de cette série est qu’elle s’inspire de certaines expériences personnelles de Patron Pei, n’est-ce pas ? »
Ma Yiqun hésita.
« Je suis désolé, je ne peux pas me prononcer là-dessus. Je risquerais de révéler des informations confidentielles sur Patron Pei. »
Il ajouta :
« Patron Pei est quelqu’un de très discret. Il souhaite que les joueurs portent leur attention sur les jeux qu’il crée, et non qu’ils se mettent à le suivre comme des fans suivent une idole. Il ne veut pas qu’ils perdent leur objectivité vis-à-vis de ses œuvres. »
Bien qu’elle n’ait pas obtenu la réponse qu’elle espérait, Hu Yue ne s’en formalisa pas. Au contraire, un sourire se dessina sur ses lèvres. Elle n’avait peut-être pas récolté de données précises, mais tout compte fait, cet entretien avait été tout à fait exceptionnel.
En effet… avec de tels employés, et un patron aussi singulier, comment auraient-ils pu créer autre chose qu’un jeu tout aussi unique ?
Amusement Times, antenne de Jingzhou …
Bien que Amusement Times fût une entreprise de presse spécialisée dans le jeu vidéo connue dans tout le pays, sa division de Jingzhou n’était qu’un bureau modeste.
L’organisation y était des plus simples : trois journalistes, deux rédacteurs, et un rédacteur en chef y travaillaient.
Même leurs bureaux se trouvaient dans un espace de coworking.
L’un des éditeurs, après avoir parcouru le brouillon que Hu Yue venait d’envoyer, resta bouche bée.
« Petite Hu, tu es pourtant une journaliste chevronnée… Pourquoi m’as-tu remis un article comme celui-ci… ?
Il n’y a pas de source, pas de photos ni de vidéos, aucune preuve complémentaire. Tu ne peux même pas révéler un minimum d’informations sur la personne interviewée ? On n’est pas un petit média de trottoir, tout de même ! Un article comme ça… même si je donnais mon accord, le rédacteur en chef… »
L’éditeur commençait à se masser les tempes, visiblement pris de migraine.
Hu Yue s’apprêtait à se justifier lorsque le rédacteur en chef, Frère Zhao, déboula à toute vitesse.
« Petite Hu, ton article est prêt ? »
L’éditeur se dépêcha de lui tendre le texte.
« Frère Zhao, ce brouillon… »
Elle n’eut même pas le temps de finir sa phrase que le rédacteur en chef se frappa la cuisse avec enthousiasme.
« Parfait ! Excellent travail, Petite Hu ! »
L’éditeur : « … »
Frère Zhao parcourut rapidement l’article.
« Petite Hu, tu as vraiment le sens du timing et de l’opportunité, je dois te féliciter ! En ce moment, tous les joueurs du pays sont intrigués par Tengda. Certes, cet article manque un peu de matière, mais j’ai confiance en ton intégrité professionnelle : sa fiabilité est plutôt élevée !
Allez, on ne traîne pas. On publie ça pour lancer un nouveau sujet brûlant. Qui sait ? Peut-être qu’après ça, on pourra se présenter la tête haute au siège !
On le diffuse tel quel ! »
Deux jours plus tard, un article fit son apparition sur le site officiel d’ Amusement Times .
Très vite, il fut repris par tous les grands médias spécialisés dans le jeu vidéo.
“À la découverte de l’énigmatique Tengda Games : l’utopie de l’industrie vidéoludique nationale !”
L’article de Hu Yue ne mentionnait pas une seule fois le nom de Ma Yiqun ; elle n’y précisait même pas avoir rencontré un employé de Tengda.
Elle l’ouvrait en évoquant le très populaire Game Designer et la série La vie quotidienne du Patron Pei , avant de dérouler l’intégralité des informations que Ma Yiqun lui avait confiées.
« Depuis la sortie du jeu The Lonely Desert Road , le nom de Tengda s’est peu à peu imposé au sein de la communauté vidéoludique nationale.
En moins d’un an, Tengda Games a publié coup sur coup quatre titres : un jeu indépendant, un jeu de cartes, un FPS et un méta jeu solo.
Grâce à une imagination débordante et à un esprit créatif audacieux, Tengda a su conquérir l’estime des plateformes officielles, au point d’être aujourd’hui considéré comme le nouveau porte-étendard du jeu vidéo national.
Aujourd’hui, Amusement Times vous invite à lever un coin du voile sur le mystérieux Tengda Games, et à jeter un œil à cette société en pleine ascension. »
« Quoi qu’il en soit, Tengda Games se montre exigeant lors du recrutement de ses nouveaux talents, mais n’hésite pas à leur faire confiance dès leur arrivée. C’est une entreprise qui ose innover, qui met l’accent sur la transmission des savoir-faire et des connaissances.
C’était typiquement un « article sans fondement concret ».
Pourtant, tous les médias se mirent à le relayer frénétiquement.
Très vite, les internautes commencèrent eux aussi à commenter et à débattre du sujet.
Le nœud du problème, c’était que les articles parlant de Tengda étaient d’une rareté extrême !
Depuis Ghost General et Ocean Stronghold , Tengda était déjà considéré comme un développeur de jeux bien connu.
Mais un voile de mystère recouvrait toujours l’entreprise : elle ne s’était jamais véritablement montrée au grand jour devant les joueurs.
Même aux yeux de nombreux acteurs de l’industrie, Tengda restait une énigme.
À tel point que beaucoup de studios de jeux basés à Jingzhou ignoraient tout de cette société.
Bien que cet article ne comporte ni photo ni illustration et se résume à du texte, sa publication dans Amusement Times , un média vidéoludique reconnu au niveau national, lui conférait une certaine crédibilité.
Et c’est ainsi que le papier fit littéralement exploser la sphère médiatique.
« C’est un panégyrique de Tengda du début à la fin ! On dirait que ce patron mystérieux est devenu l’espoir de toute l’industrie vidéoludique nationale. Vous croyez qu’ Amusement Times se serait mis à faire du publi-reportage ? »
« Impossible. Si c’était un article sponsorisé, ils auraient au moins mis des photos ou quelque chose… Avec cette écriture volontairement évasive, ça ne ressemble pas à une commande, non ? »
« Pourquoi vous focaliser là-dessus ? On devrait plutôt discuter de la fiabilité de l’article, non ? Y a-t-il un grand ponte de l’industrie qui puisse confirmer combien de tout ça est vrai ? »
À la tête de la création et du design, l’incontournable Patron Pei, celui-là même que l’on retrouve dans La vie quotidienne du Patron Pei , non seulement passionné par la conception vidéoludique, excelle également dans l’art de promouvoir ses jeux.
Doté d’un charisme unique, il attire à lui quantité de talents désireux de collaborer avec lui.
Pourtant, il reste un prodige solitaire : sa vision dépasse son temps et se heurte souvent à l’incompréhension du grand public.
Généreux envers ses employés, il mène pour lui-même une vie d’une grande frugalité.
Cet endroit… c’est là où les rêves prennent leur envol. Voici Tengda Games : l’utopie du jeu vidéo national ! »
À peine publié, l’article fut relayé par tous les médias vidéoludiques reconnus du pays.
Un procédé qui, à dire vrai, manquait un peu de professionnalisme : après tout, ce texte ne reposait sur aucune source clairement identifiée, ne comportait ni photo ni illustration, pas la moindre preuve à l’appui.
« Je trouve que la phrase “sa compréhension dépasse notre génération” est un peu exagérée ; quant à “il traite ses employés avec générosité tout en menant lui-même une vie frugale” , j’ai du mal à y croire ! »
« En revanche, dire que Game Designer dépasse notre génération, ça, on ne peut pas dire que ce soit faux, non ? »
« Je suis un employé interne de Tengda ; je peux confirmer que tout cela est vrai ! »
« Je suis le patron d’une boutique de raviolis en face de Tengda. Les employés de Tengda viennent souvent manger chez moi. Je peux confirmer que c’est vrai ! »
« Je suis le gardien de l’immeuble de bureaux juste à côté de celui de Tengda ; je peux également confirmer ! »
« Je vous lâche une info : vous avez vu La Vie quotidienne du Patron Pei ? Eh bien, la personne qui joue Patron Pei, c’est en réalité… le vrai patron de Tengda ! »
« Vous vous demandez pourquoi le jeu d’acteur dans La Vie quotidienne du Patron Pei est si bon ? C’est parce que… c’est le patron lui-même qui joue ! »
« Là, ça devient un peu absurde… Vous, les internautes, vous laissez vraiment aller votre imagination ! Je refuse de croire que le patron de Tengda soit aussi jeune. »
« Exactement. Ce serait insulter mon intelligence ! »
« Mais la plupart des choses dites dans l’article doivent être vraies… Je vais aller revoir La Vie quotidienne du Patron Pei ! »
« Je file sur la page vidéo de La Vie quotidienne du Patron Pei pour faire la promo de Game Designer . Tout le monde, suivez-moi et n’oubliez pas d’appuyer sur J’aime ! »