À l’époque où Qiao Liang avait descendu The lonely desert road , il ne pensait pas une seule seconde à faire de la pub pour Tengda. Non, c’était simplement pour se faire plaisir. Pour faire le buzz. Pour se faire un nom.
Bon, au final, tout le monde y avait gagné : lui, en notoriété ; le jeu, en visibilité. Mais à la base, c’était une rubrique de démolition. Et il n’y avait pas été de main morte. Il l’avait taillé en pièces. Comment le créateur du jeu pourrait-il ne pas lui en vouloir ?
Il n’avait plus qu’un espoir : que ce créateur soit du genre indulgent.
Lu Mingliang répondit presque aussitôt :
« Patron Pei est ravi. Il insiste pour que la vidéo soit publiée dans la rubrique Nouveautés recommandées du mois . Le script est non négociable. Et surtout, vous ne devez pas laisser entendre à votre audience qu’il s’agit d’ironie. Il faut jouer le jeu à fond, avec sincérité. »
Qiao Liang resta médusé.
C’est foutu. Ce Patron Pei est bel et bien rancunier. Il veut me faire passer pour un idiot !
La rubrique Nouveautés recommandées du mois était justement celle consacrée aux partenariats sponsorisés. Le public le savait. Mais même dans ce cadre, il fallait un minimum de crédibilité. Là, ce jeu… ce n’était pas possible. Il allait se faire insulter.
Et comme tout cela semblait parfaitement sérieux, le public ne penserait même pas qu’il utilisait de la dérision. Ils n’y verraient aucune subtilité. Juste une grande trahison.
Et avec cette exigence de jouer le rôle avec conviction …
Il pouvait déjà imaginer les commentaires : “Qiao a vendu son âme”, “Fini l’authenticité”, “Encore un vendu…”
Pas de doute. Patron Pei se vengeait. C’était cousu de fil blanc.
Il ne pouvait pas accepter ce contrat. Pas à ce prix. Même pour tout l’or du monde.
Qiao Liang tapa aussitôt :
« Désolé, Patron Lu. Vous en demandez trop. Je ne pourrai pas accepter. Je vous invite à trouver quelqu’un d’autre. »
Lu Mingliang :
« Six mille, professeur Qiao ! »
Qiao Liang :
« … »
Il n’abandonne donc jamais ?
Qu’est-ce qu’il cherche ? À voir jusqu’où je peux tomber ? Jusqu’à quel prix je renierais mes principes ? C’est une épreuve, ou quoi ?
Ce n’est pas une question d’argent.
…Même si, bon… six mille, quand même…
Qiao Liang sentait son cœur saigner.
Avec six mille yuans, il pouvait vivre tranquille pendant deux mois. Deux mois sans faire de vidéos. Deux mois à jouer, à se reposer… Le rêve, non ?
Il se débattait intérieurement. Un combat sans merci entre fierté et tentation.
Il finit par poser ses mains sur le clavier, le front plissé :
« Ce n’est pas une question de rémunération. »
À peine avait-il commencé à taper que le destin s’en mêla. Un nouveau message s’afficha.
« Professeur Qiao, je viens d’en parler à Patron Pei. Il est prêt à monter jusqu’à dix mille yuans. Bien sûr, c’est notre dernière offre. Je sais que vous êtes un créateur de contenu avec une réputation à tenir. Si vous refusez, nous ne vous en tiendrons pas rigueur. »
La main de Qiao Liang trembla.
Il appuya par erreur sur la touche Entrée.
« Ce n’est pas une question de rémunération. »
Le message partit instantanément. En plein dans le contexte de l’offre à dix mille.
Autrement dit, ça sonnait comme un refus.
Lu Mingliang répondit presque aussitôt :
« Très bien. Nous vous souhaitons une belle réussite dans votre carrière. Nous ne vous dérangerons plus. »
Qiao Liang se mit à paniquer.
Merde, ce n’est pas ce que je voulais dire ! Reviens !
Il se rua sur son clavier. La vitesse de frappe d’un trentenaire célibataire soudainement en détresse atteignit des sommets :
« Ce n’est pas une question de rémunération. Patron Pei est un vieil ami. Je lui rends ce service avec plaisir ! »
Message envoyé.
Qiao Liang poussa un long soupir. Par chance, Lu Mingliang n’était pas parti dans une explosion de colère, suivi d’un torrent d’insultes.
Lu Mingliang :
« Vraiment ? Super ! Je vous envoie immédiatement le reste des fichiers vidéo. »
Qiao Liang téléchargea les nouveaux éléments. En quelques minutes, il passa par toute une palette d’émotions : d’abord furieux, puis inquiet, choqué… et enfin, euphorique. Son cœur avait tranché.
Publier la vidéo dans la rubrique Nouveautés recommandées du mois allait-il ruiner sa réputation ? Pfff… c’était un partenariat sponsorisé, rien de honteux là-dedans ! Son public comprendrait. Oui, bien sûr. C’était certain.
« Le Professeur Qiao a accepté ? »
« Oui, c’est confirmé. »
Dans son bureau, Patron Pei écoutait le rapport de Lu Mingliang. Il hocha la tête, satisfait.
Qui t’a dit de t’en prendre à moi, à l’époque, hein ?
Sans toi, je n’aurais jamais perdu ces cinquante mille yuans. Toute ma vie aurait été différente !
Pei Qian tenait à ce que Qiao Liang soit le premier à publier cette vidéo. Il voulait voir comment il allait s’en sortir. Bon, d’accord, ce n’était pas que pour se venger. Il craignait aussi que le même désastre que The lonely desert road se reproduise.
Si cette nouvelle vidéo était postée dans Le procès des jeux pourris , comme Qiao Liang le proposait, et que le jeu cartonnait grâce à ça… autant se jeter par la fenêtre.
Non, il fallait absolument que cette vidéo paraisse dans Nouveautés recommandées du mois : moins de visibilité, moins d’audience. Et surtout, que ça sente le sponsor à plein nez — là, il serait tranquille !
Rien que d’y penser, Pei Qian ne put s’empêcher de sourire.
Il venait de claquer dix mille yuans du budget du Système, sans difficulté.
Mais devant Lu Mingliang, il devait rester de marbre. Il ne fallait pas griller son image.
« Et les autres créateurs ? » demanda Pei Qian.
Lu Mingliang répondit franchement :
« Certains ont refusé, même après qu’on ait augmenté le prix. Mais un bon nombre a accepté. Je dirais plus de la moitié.
Au début, ils étaient tous réticents en lisant le script. Mais je leur ai expliqué que tous les autres diraient exactement la même chose, qu’ils ne seraient ni les premiers ni les seuls. Je leur ai aussi proposé de supprimer la vidéo au bout d’un mois, et on a monté l’offre. Là, ils ont accepté. »
Pei Qian fut ravi. Bien sûr ! Il suffisait d’ajouter quelques billets, et même les scripts les plus embarrassants devenaient acceptables. Et puis bon, pour la plupart des créateurs, ce n’était pas si grave. Au pire, ça ferait un mauvais souvenir.
Une fois que plusieurs UP Masters auraient publié exactement la même vidéo, chacun se contenterait d’ajouter sa propre voix. Rien de bien dramatique.
Mais le tout premier… ah, lui, il allait morfler.
L’audience, sans le contexte, allait l’étriller. Tout le monde allait lui tomber dessus. Un vrai bouc émissaire.
Et Pei Qian avait décidé que ce premier, ce serait le Professeur Qiao.
Pourquoi ?
Hehe. Parce que Patron Pei était un homme rancunier.
Dans son appartement…
Qiao Liang termina enfin de visionner la vidéo qu’il venait de monter. Il avait l’impression de s’être infligé une torture mentale.
« Qu’est-ce que j’ai fait… ? »
Son cœur était un vrai champ de bataille.
D’un côté, il venait de gagner dix mille yuans. L’argent avait rongé ses convictions.
De l’autre… il avait mal à la tête. Manger sa fierté, c’était bien plus difficile que prévu.
Techniquement, le boulot n’était pas compliqué : lire un script, monter quelques plans fournis par Tengda, emballer le tout. En un ou deux jours, c’était plié.
Mais Qiao Liang avait mis cinq jours entiers à s’en sortir. Il avait procrastiné jusqu’à la dernière minute, incapable de se convaincre du moindre mot.
Il avait dû répéter les bruits de dégustation du script sept ou huit fois, seul, dans son salon, pour qu’ils ne sonnent pas trop faux.
Il avait passé tout son temps là-dessus.
Le lendemain, c’était le 1er avril. Le jour du poisson.
C’était la date de sortie prévue pour le nouveau jeu de Tengda. Qiao Liang devait publier sa vidéo ce même jour.
Une partie de lui était touchée. Peut-être que Patron Pei avait encore un peu de cœur ?
Sortir une vidéo pareille un 1er avril, c’était presque un bouclier : le public allait peut-être croire à une blague. Peut-être…
Cependant…
Puisque c’était le 1er avril, il y avait fort à parier que sa vidéo attirerait encore plus de curieux que d’habitude.
« Tant pis. J’abandonne. J’ai été payé pour ça, non ? »
Au pire du pire, il publierait la vidéo… puis disparaîtrait de la surface d’Internet. Pas de commentaires, pas de réactions. La politique de l’autruche.
« Je ferai le lâche. Voilà tout. »
Et une fois les dix mille yuans encaissés, il pourrait jouer aux jeux vidéo à longueur de journée, en mode ermite numérique, jusqu’à ce que la tempête passe.
Le silence, l’isolement, et des heures de gameplay. Le plan parfait.
