Le Nouvel An se déroulait sans grand événement. Les festivités se résumaient à visiter des proches ou recevoir leurs visites. Ce n’est qu’au troisième jour du Nouvel An lunaire que Pei Qian retrouva enfin un peu de calme. Assis sur son canapé, il fixait la télévision d’un air absent.
— Fiston, tes vidéos courtes sont-elles sorties ? demanda sa mère, lui tendant une pomme soigneusement épluchée.
Pei Qian attrapa la pomme, en croqua un morceau et soupira.
— Aiya, on ne peut pas voir ces vidéos immédiatement après les avoir tournées. Il faut les monter, finaliser tout ça… Tu m’as déjà posé cette question huit fois aujourd’hui.
— Va demander au réalisateur, alors, insista-t-elle, bien déterminée maintenant qu’elle avait nourri toute la famille.
Exaspéré, Pei Qian n’eut d’autre choix que d’envoyer un message à Huang Sibo.
Peu de temps après, la réponse tomba :
— Patron Pei, c’est sorti hier ! Allez sur Potato Web, catégorie « Comédies », et cherchez La vie quotidienne de Patron Pei.
C’était donc vrai.
Quelle efficacité !
Pei Qian prit son ordinateur portable, se connecta à Potato Web et navigua jusqu’à la catégorie « Comédies ».
Et là, en effet, la série figurait dans les recommandations ! Ce n’était pas l’émission la plus mise en avant, mais elle était bien visible.
Zhu Xiaoce avait tenu parole. Il avait effectivement réussi à faire inscrire la série dans les recommandations, probablement en payant un certain montant pour la publicité.
Pei Qian cliqua dessus, et son cœur se serra immédiatement.
Les vidéos avaient été mises en ligne la veille, et elles comptaient déjà deux cent mille vues.
Deux cent mille ! Et sur un compte tout nouveau, en plus !
Il jeta un coup d’œil aux commentaires.
C’était animé, pour dire le moins.
En parcourant rapidement, il constata que les internautes s’en donnaient à cœur joie, les pages de commentaires s’enchaînant à n’en plus finir.
Catastrophe. Ce qu’il redoutait venait de se produire.
Pei Qian prit une grande inspiration pour garder son calme, afin que ses parents ne remarquent rien d’étrange. Puis, avec une apparente indifférence, il leur tendit l’ordinateur.
— Voilà, c’est ça.
Ses parents s’empressèrent de poser l’ordinateur sur la table basse et de se pencher dessus.
— La vie quotidienne de Patron Pei ? — demanda le vieux Pei, lançant un regard soupçonneux à son fils.
— Hehe, c’est le nom de cette série de vidéos courtes. J’y joue le rôle du patron de l’entreprise, — expliqua Pei Qian.
La vidéo démarra.
— Je regardai ma Rolex, non pour connaître l’heure, mais pour que vous sachiez instinctivement que je suis une pointure.
Le fond musical monotone et la narration délibérément apathique rendaient cette vidéo singulièrement mémorable.
Dans la vidéo, Pei Qian, vêtu d’un costume impeccable et arborant une Rolex, était étendu sur un canapé dans une salle de réception d’un bureau. Sur la table basse à ses côtés, un service à thé haut de gamme ajoutait une touche d’élégance naturelle.
Même son visage impassible semblait terriblement authentique.
Le style de La vie quotidienne de Patron Pei rappelait celui de la série Vie monotone de Zhu Yidan.
L’impression initiale était claire : la vie d’une pointure pouvait être ennuyeuse, vide de sens et inconfortable.
Pourtant, plus on regardait, plus on s’habituait à cette ambiance.
Deux points forts ressortaient immédiatement du style de la vidéo :
D’abord, son originalité ; ensuite, sa portée symbolique.
Plus on la visionnait, plus les significations cachées devenaient évidentes. L’angle de tournage, la bande-son immuable, et la narration volontairement plate formaient un tout inoubliable.
En arrière-plan, des métaphores subtiles s’entremêlaient.
Même si certains pouvaient surestimer ces allusions, le réalisateur semblait avoir inséré de nombreux messages implicites. Ce type d’humour noir donnait à la série une aura bien au-dessus des comédies vulgaires ou caricaturales.
Pei Qian, observant son propre reflet à l’écran, esquissa un sourire.
— Pourquoi est-ce que je suis aussi photogénique?
Un sentiment de fierté l’envahit.
Quand la vidéo s’acheva après une minute dense en péripéties et jeux de mots, elle laissait une impression durable… et un désir irrépressible d’en voir plus.
— C’est tout ? Mais je n’ai pas eu le temps d’en profiter ! protesta le vieux Pei.
« Fiston, ta vidéo est un peu trop courte, non ? »
Vieu Pei pensait qu’un court-métrage durerait au moins dix minutes par épisode. Pourtant, celui-ci ne durait qu’une minute !
Pei Qian expliqua avec un sourire : « De nos jours, les vidéos ultra-courtes sont plus tendances ! »
Sa mère, quant à elle, regardait la vidéo en boucle, un sourire fier illuminant son visage. « Je trouve que mon fils a un vrai talent pour jouer la comédie ! Regarde comme il joue bien le rôle du patron. C’est si naturel. On dirait presque qu’il dirige vraiment cette entreprise ! »
Vieux Pei hocha légèrement la tête en signe d’approbation. « C’est vrai que ce n’est pas mal. Mais il est si jeune. Ce n’est pas très crédible qu’il joue le rôle d’un patron à cet âge-là, tu ne trouves pas ? Pourquoi le réalisateur ne lui a-t-il pas mis une fausse moustache ou quelque chose ? Et cette voix… »
Pei Qian l’interrompit rapidement : « Ce n’est pas ma voix. »
Vieil Pei hocha à nouveau la tête. « Je sais, mais ça ne sonne pas comme la voix des vrais grands patrons. »
Sa mère lança au vieux Pei un regard réprobateur. « Tu parles comme si tu avais rencontré beaucoup de grands patrons dans ta vie. »
Un silence embarrassé s’installa. Le Vieu Pei réfléchit quelques secondes avant de répondre : « Eh bien… toi non plus, non ? »
« Peut-être pas, mais j’ai vu plus de films que toi ! Et c’est comme ça que tous les grands patrons agissent dans les films. Je dis simplement que notre fils joue particulièrement bien ; où est le mal ? » insista-t-elle, devenant légèrement obstinée.
« D’accord, d’accord… Quoi qu’il en soit, ce gamin gagne de l’argent avec ses vidéos maintenant. Il grandit, il devient compétent. C’est une bonne chose, » conclut le père de notre héro avec une pointe de fierté.
Saisissant l’occasion, Pei Qian tenta d’expliquer davantage : « Papa, ces vidéos servent à se moquer de l’industrie du jeu vidéo ! »
« Regarde, dans l’histoire, le patron alloue deux cent mille yuans pour le développement d’un jeu, mais à chaque niveau de gestion, une partie de l’argent est détournée. Au final, la personne chargée du projet ne reçoit que cinquante mille yuans. C’est une critique du chaos interne qui règne dans la gestion de nombreuses entreprises de jeux vidéo ! »
« Et avec ces cinquante mille yuans, ils créent un jeu inutile. Et pourtant, les joueurs continuent à l’acheter. C’est une satire du désordre dans le marché des jeux ! »
« Ce type d’humour noir est conçu pour être à la fois une critique et une révélation. C’était l’idée du réalisateur dès le départ. »
Le vieux Pei passa d’un air sceptique à une curiosité palpable, puis à une compréhension nouvelle. « Oh… je vois. »
Encouragé, Pei Qian continua : « Ce qui est encore plus intéressant, c’est que le réalisateur a voulu montrer un côté bienveillant du patron d’une entreprise de jeux. Cela permet de différencier cette entreprise des sociétés de jeux traditionnelles ! »
« Ah ? Et comment a-t-il fait ça ? » demanda Vieil Pei, intrigué.
Pei Qian expliqua patiemment : « Par exemple, dans l’histoire, un étudiant a été tragiquement tué en essayant de stopper un voleur de voiture. Le concepteur du jeu décide de créer une statue en son honneur dans le jeu, pour que les joueurs se souviennent de son acte héroïque. »
« De plus, ce patron est totalement différent des autres. Il crée ses jeux avec une intention pure, sans pousser les joueurs à dépenser de l’argent ou à nourrir des rivalités. Son seul objectif est d’offrir une expérience de jeu joyeuse et authentique. »
« Et devine quoi ? Ses jeux deviennent incroyablement populaires ! »
Le père semblait absorbé, découvrant un monde qui lui était totalement inconnu. « Et c’est le rôle que tu joues ? »
Pei Qian acquiesça fièrement. « Exactement. »
Vieil Pei hocha la tête, visiblement impressionné. « Ce n’est pas mal, vraiment. »
Saisissant sa chance, Pei Qian continua : « En réalité, l’industrie du jeu vidéo est dans un état de chaos. Mais le jeu vidéo, c’est avant tout une forme de divertissement. Tout dépend de l’intention du créateur. »
« Un créateur obsédé par l’argent incitera forcément les jeunes à voler de l’argent à leurs parents pour acheter des crédits de jeu. Mais si son objectif est d’apporter de la joie pure ? »
« Les travailleurs stressés pourraient jouer après une journée éprouvante, tout comme ils iraient au cinéma ou liraient un livre. Ce serait un moyen de se détendre et de se relaxer. Ne serait-ce pas merveilleux ? »
Le vieux Pei réfléchit longuement, hochant doucement la tête à mesure que son regard sur le sujet changeait. Il se tourna enfin vers Pei Qian, visiblement convaincu : « Ce réalisateur, Zhu Xiaoce, semble avoir une vraie vision. Il est prometteur. »
Pei Qian sourit intérieurement, satisfait d’avoir gagné un nouvel allié.