Chapitre 102 – Le bouc émissaire
Le temps de souffler dans le sifflet de cuivre, Klein avait déjà activé sa Vision Spirituelle.
Il vit des os blancs illusoires monter lentement du sol et former une figure gigantesque. Si les scènes précédentes ressemblaient à une fontaine dans un décor fantastique, celle-ci évoquait davantage l’écoulement d’un robinet inversé ordinaire.
Les coins de la bouche de Klein bougèrent imperceptiblement et il fit comme s’il n’avait rien remarqué d’anormal.
Quelques secondes plus tard, le messager squelettique prit enfin forme. Une nouvelle fois, son corps de près de quatre mètres de haut déchira le plafond tandis que dans ses orbites, des flammes noires brûlaient silencieusement.
Klein plia la lettre qu’il venait d’écrire et la jeta en l’air.
Il y décrivait en détail le magnat Jimmy Necker. Il mentionnait les liens entre les chroniques de La Mort trouvées dans le mausolée de l’Empire Balam sur le Continent Sud, ainsi que les liens entre l’objet et les vice-amiraux Qilangos et Tracy. Il évoquait également la manière dont il avait réussi à s’infiltrer et bien que son assassinat eût échoué, le fait qu’il avait laissé sur place un objet pouvant être utilisé pour localiser la Peste Noire.
Cela dit, il n’expliquait pas en détail comment il s’était introduit à bord. Il se contentait de décrire grossièrement les techniques de combat et le style de la vice-amirale Maladie.
Après que le messager eut attrapé la lettre d’un coup qui aurait pu faire voler un adulte, Klein toussa et se racla la gorge.
– « J’ai déjà un messager. »
Les flammes noires dans les orbites du squelette scintillèrent clairement, puis son corps s’effondra en cascade et disparut dans le bois du plancher.
Vous n’avez plus à craindre de devenir mon messager, pas vrai ? Suis-je si détestable pour ceux de votre espèce ? Oui… Sans doute ces messagers des Enfers ne supportent-ils pas de quitter M. Azik. Après tout, c’est un descendant direct de La Mort. Il n’y a peut-être même pas de saut de génération. Vous voulez vous rapprocher de quelqu’un de puissant. J’ai compris !
Klein s’apprêtait à faire ses valises et à partir lorsque soudain, son nez se mit à le démanger et il éternua.
Son nez coulait et il toussait. Son front commençait – lentement mais sûrement – à brûler.
Oh, non ! Le mal de la vice-amirale est toujours présent dans mon corps. Et j’ai affronté un vent froid de 10°C pour retourner à Bayam.
Le jeune homme se moucha dans un papier toilette de qualité inférieure, se demandant s’il devait s’invoquer lui-même et passer à l’état de Corps Spirituel, afin que son corps physique puisse guérir de lui-même.
Après mûre réflexion, il estima que c’était impossible. Tout d’abord, son état physique affecterait clairement l’état de son Corps Spirituel, tous deux étant étroitement et étrangement liés. Ensuite, s’il n’y prêtait pas attention, sa condition physique s’aggraverait certainement.
Je suis un peu étourdi par la fièvre… constata-il en se touchant le front, après quoi il se prépara à retourner l’hôtel du Souffle d’Azur pour retrouver Danitz. Il verrait ensuite s’il devait se rendre à l’hôpital ou à la clinique pour acheter des médicaments.
…
Cité d’Argent, dans la maison des Berg…
Derrick avait enfin obtenu de Mme l’Hermite le fruit de l’arbre du Pacte Spirituel Rayonnant et avait pu concocter la potion du Grand Prêtre Solaire.
De couleur dorée, elle était brûlante. Lorsque Derrick la but, il éprouva une sensation de brûlure au niveau de la gorge.
Soudain, ses yeux s’illuminèrent : on aurait dit qu’ils contenaient deux soleils miniatures.
De son corps émanait des ondulations concentriques de lumière pure et sur les parties exposées de sa peau se formaient des motifs noirs visibles à l’œil nu.
Dans le même temps, ses poils s’allongeaient, comme s’ils se transformaient en plumes où tourbillonnaient des flammes dorées.
Derrick, qui s’attendait à ce que de tels changements se produisent en prenant une potion de Séquence 7, ne paniqua pas ni ne s’affola. Il serra les dents et se remémora la douleur qu’il avait ressentie lorsqu’il avait dû, en personne, tuer ses parents, ainsi que l’espoir qui avait surgi du plus profond de son cœur après sa rencontre avec Le Fou. Bien que sur le point de perdre le contrôle, il avait réussi à persévérer.
Au bout d’un moment, tout revint à la normale. Cependant, à l’air qu’il respirait se mêlait la chaleur du soleil.
Il eut le sentiment qu’une nouvelle fois, son corps s’était renforcé, qu’il avait acquis une résistance considérable contre les maladies et les environnements dangereux.
Mais ce n’était pas là l’essentiel. Derrick appréciait les diverses connaissances théurgiques qui se formaient dans son esprit comme, entre autres, celles concernant le Feu de Lumière, l’Immunité à l’Horreur, le Serment Sacré, la Clivée de Purification, le Halo Solaire, l’Invocation de la Lumière Sacrée, la Création d’Eau Sacrée…
L’adolescent fit les cent pas, ravi de constater que les sorts théurgiques qu’il possédait étaient tout à fait adaptés à la lutte contre les monstres maléfiques cachés dans l’obscurité.
Il se précipita aussitôt vers les tours jumelles pour consigner les informations relatives à ses progrès.
Une fois passé l’examen préliminaire, il aurait les qualifications requises pour diriger une petite équipe de patrouilleurs en tant que capitaine et aurait accès à davantage d’informations sur la Cité d’Argent.
Cela inclut la méthode que recherche M. Le Monde pour éliminer la corruption mentale d’une caractéristique Transcendante… Pensa-t-il, tout en répondant aux diverses questions du préposé chargé de consigner les informations, ne pouvant s’empêcher de se rappeler la promesse qu’il avait faite depuis longtemps sans avoir pu la tenir.
Le fait d’être redevable de quelque chose l’ayant souvent mis mal à l’aise, il entrevoyait à présent la lumière qui lui permettrait de retrouver son calme.
…
Au bar de la Feuille d’Amyris, Mithor King, alias Langue-de-serpent, un verre de vin rouge à la main, s’assit face à Ozil, croisa la jambe droite et demanda tranquillement :
– « Avez-vous trouvé quelque chose de spécifique ? »
Son capitaine, la vice-amirale Tracy, l’avait chargé de retourner à Bayam et d’enquêter sur la fausse Hélène. Pour ce faire, il était allé retrouver Ozil qui était à l’origine de la mission. Il ne pouvait pas s’adresser directement à la Résistance, car il y avait une petite chance qu’elle soit de mèche avec la fausse Hélène. Les interroger en personne reviendrait à livrer directement sa tête au bureau du gouverneur général en échange de la prime.
Ozil tira une chaise et s’assit.
– « Ils n’ont rien dissimulé, mais je ne suis pas certain qu’ils disaient la vérité. Comme vous le savez, je préfère utiliser mes poings plutôt que mon cerveau.
« Ils ont dit qu’Hélène avait été amenée par Danitz Le Flamboyant. Il représentait la vice-amirale Iceberg et espérait établir une relation de coopération avec la Résistance. Ils voulaient apporter une certaine aide et Hélène était un moyen d’exprimer leur bonne volonté. »
– « Danitz Le Flamboyant ? La vice-amirale Iceberg… »
Tandis qu’il ruminait ces noms, Mithor prit un air grave.
Il s’adossa à sa chaise et progressivement, fronça les sourcils.
Ancien capitaine du vice-amiral Ouragan, il était désormais le troisième lieutenant du vaisseau de la vice-amirale Maladie. Les autres amiraux pirates ne lui étant pas inconnus, il savait que la vice-amirale Iceberg était puissante et possédait une riche collection. Avec un seul navire et quelques subordonnés, elle avait pu résister à ses adversaires pirates. Elle était légèrement plus forte que deux de ses supérieurs. De manière plus pertinente, il était rare que la vice-amirale Iceberg s’implique dans les conflits entre pirates. Elle recherchait des informations et explorait l’inconnu à la recherche de trésors. Elle était plus une aventurière qu’une pirate.
Pourquoi voudrait-elle brusquement assassiner mon Capitaine ? Ce n’est pas dans son tempérament… Elle a déjà subi un revers à cause des rumeurs de l’Amiral de Sang. Elle devrait se concentrer sur sa vengeance…
Mithor but une gorgée de vin tout en se frottant le front.
Cessant temporairement de penser à la vice-amirale Iceberg, il reporta son attention sur Danitz.
Alors qu’il se remémorait attentivement les faits, ses pupilles se contractèrent brusquement. Ce quatrième maître d’équipage du Rêve d’Or, qu’il connaissait bien, avait eu des problèmes récemment.
Il a tendu un piège et tué Steel Maveti, Hendry dit Ronces de Sang et Squall le Calme. Sa prime est passée à 4 200 Livres, mais peu de temps après, il a été mêlé à une affaire, ce qui l’a portée à 5 500 Livres. C’est déjà supérieur à la mienne, se dit Mithor en voyant se dessiner devant lui la silhouette de Danitz. Il le trouvait mystérieux et terrifiant.
Aurait-il progressé ? À moins que quelque chose ne lui ait procuré d’importants bénéfices ?
Mithor se pencha, posa sa tasse et murmura d’un ton sérieux :
– « J’ai d’abord considéré l’augmentation de sa prime comme une plaisanterie. Mais la réalité m’a fait comprendre que Danitz Le Flamboyant était un grand pirate qui valait bien ses 5 500 Livres ! »
Levant les yeux, il ajouta à l’intention d’Ozil Le Costaud : « Aidez-moi à trouver des informations sur Le Flamboyant. Les plus récentes ! »
…
Dans la luxueuse suite de l’hôtel du Souffle d’Azur…
Lorsque Danitz ouvrit la porte et vit Gehrman Sparrow, il jeta un coup d’œil méfiant autour de lui avant de s’écarter.
– « Comment cela s’est-il passé ? La chasse a-t-elle réussi ? » demanda-t-il, curieux et enthousiaste, après avoir refermé la porte.
La vice-amirale Maladie est une beauté célèbre. Quand je l’ai vue, elle était encore plus charmante que je ne l’imaginais. Quel dommage qu’elle meure comme ça. Elle devrait être enfermée à vie sans possibilité de libération conditionnelle… Pff ! Comment pourrait-elle être plus belle que mon Capitaine ? Des filles comme elle, il y en a beaucoup au Théâtre Rouge ! pensait le pirate, en proie à des pensées contradictoires.
Klein serra le poing, le porta à sa bouche et se mit à tousser violemment.
Une fois calmé, il répondit froidement :
– « Presque. »
– « Quel dommage… » soupira Danitz tout en se disant au fond de lui : ce fou de Gehrman Sparrow est vraiment fort ! Il a infiltré la Peste Noire pour assassiner la vice-amirale Maladie et a bien failli réussir. Il a peut-être échoué, mais il n’a quasiment pas été blessé.
Il faut savoir que si chacun des amiraux pirates était célèbre sur les Cinq Mers – juste après les Quatre Rois – ce n’était pas seulement parce qu’ils étaient forts, mais aussi parce qu’ils représentaient un équipage, une force avec laquelle il fallait compter. Ils avaient sous leurs ordres de nombreux Transcendants. Le fait d’avoir pu s’échapper de la Peste Noire après un assassinat manqué laissait à penser que Gehrman Sparrow n’était en rien plus faible que n’importe quel amiral pirate !
La Faim Rampante est-elle vraiment si puissante ? Non, car à sa place et même avec cet objet, je n’aurais pu faire ce qu’il a fait… se dit le pirate, de plus en plus convaincu qu’il avait fait le bon choix en ne tentant pas de résister lors de sa première rencontre avec Sparrow.
Klein qui, après une nouvelle quinte de toux, s’apprêtait à demander à Danitz d’aller lui acheter des médicaments à l’hôpital, se souvint que la cause de sa maladie était complexe. S’il prenait des remèdes sans avoir été attentivement examiné par un médecin, cela risquait d’être inefficace, y compris les nombreux médicaments que l’Empereur Roselle avait inventés.
Si je n’avais pas été dans l’impossibilité d’utiliser le brouillard gris pour créer un système de traitement à distance, j’aurais vraiment aimé pouvoir consulter Emlyn White afin qu’il me prépare un remède… pensa Klein en se rendant dans la salle de bain pour se laver, se changer et brûler les vêtements qu’il avait récupérés chez le pêcheur.
Le voyant sortir, Danitz s’approcha avec un sac en papier et lui dit d’un air flagorneur :
– « Voici les 700 Livres qu’ils m’ont remises. »
C’est alors que tous deux entendirent frapper à la porte. C’était le Capitaine Elland.
Entrant en trombe dans la pièce, il lança un regard profond à Gehrman Sparrow et dit en réprimant sa voix.
– « J’avais prévu de retourner au Port de Pritz lorsqu’une information m’est parvenue. Il semblerait que quelque chose d’énorme se soit produit au Port de Bansy. »