Pour commencer, fuyons. Je ne compte absolument pas l’affronter en combat à la loyale. Il n’y a qu’un idiot qui ferait ça s’il peut l’éviter. Autant courir et l’attaquer depuis l’ombre. De toute façon, j’ai potentiellement plusieurs jours devant moi grâce à l’aide d’Anisse et des autres mages.
« NOMAD ! REVIENS ICI TOUT DE SUITE ! »
« Essaye de m’attraper avant que j’aie fini de vandaliser ton camp, pour voir ! »
Non. Je ne vais pas obéir à son ordre puisque ça lui ferait trop plaisir de me faire manger son marteau. Ma stupidité a des limites et l’affronter en combat était déjà une idée nulle il y a trois semaines quand je suis arrivé. J’ai passé mon temps à peser le pour et le contre, mais dans mon état je vais avoir du mal à gagner. Pas d’invisibilité, impossibilité de faire des fusions librement et je ne suis pas encore certain de comment je peux activer le mode « champion des Dresseurs », que j’aime appeler « Unité ». J’ai fait quelques tests sans réussir, mais ma meilleure piste reste d’être en danger de mort, comme dans le sous-sol de la guilde d’Arcana, ou alors d’arrêter de réfléchir comme pour la fusion… Il existe peut-être des potions capables de me rendre temporairement stupide, mais pour l’instant je n’ai qu’une bouteille d’alcool pur dans mon inventaire qui devrait avoir ce genre d’effet. Je ne compte absolument pas me reposer dessus à moins de ne pas avoir le choix. Les antidotes ne retirent pas les effets de l’alcool, donc même si je déclenche le mode champion, je serai ivre pendant un moment. Les potions de sang de dragon retirent les effets temporairement, mais ne font pas disparaître l’alcool dans mes veines. Qui aurait cru que l’ivresse nécessite une potion spécialement prévue pour s’en soigner…
En tout cas, les animaux ont fait du beau travail. Les allées entre les tentes sont dans un chaos impressionnant et personne n’a envie de se battre maintenant. J’ai vraiment pris une bonne décision en attachant du matériel à une centaine de rats avant de les faire entrer dans le camp. Ne parlons pas du stock que j’avais en réserve que j’ai distribué après avoir laissé le chariot. Je dois quand même remercier Héphaïstos pour m’avoir donné autant d’explosifs. Enfin, remercier Mellow d’avoir forcé Héphaïstos. Les privilèges d’une mission suicide en solitaire… Bien entendu, il y avait aussi une sacrée réserve dans le château à cause de la guerre, au point que ce que j’ai pris diminue à peine le stock d’explosifs.
Je me concentre rapidement sur ce qui m’entoure en chassant mes pensées. Il reste quelques soldats encore debout par endroit qui ne sont pas capables d’offrir une réelle résistance et j’en profite en sachant qu’Emy est incapable de me retrouver aussi facilement qu’elle le souhaite. D’après les corbeaux, elle a déjà repris les airs et hurle mon nom en me cherchant. Elle s’attendait sans doute à un combat grandiose à la loyale, mais je me souviens encore des quelques fois où je l’ai vue être sérieuse. L’affronter risque d’être une expérience traumatisante. Pour l’instant, je vais continuer à diminuer les forces en présence en attirant l’attention et en laissant les rats et les souris continuer avec les embuscades. Depuis les explosions groupées sur mes assaillants, une grande partie des soldats se sont dirigés vers les bruits en laissant pratiquement vides certaines parties du camp. Je n’ai qu’à faire semblant d’être un soldat un peu perdu et les groupes passent autour de moi sans être suspicieux. Un soldat tout seul qui s’est arrêté à côté de moi essaye d’apercevoir Emy dans le ciel en se demandant ce qu’il se passe. Il décide même de me parler sans se rendre compte que je suis la raison derrière tous les problèmes du camp.
— Dis. Tu as une idée de qui c’est ce Nomad ?
— Dur à dire…
— C’est peut-être son petit ami et elle veut se venger parce qu’il est sorti avec une grimpeuse plus jolie ! Ahaha !
— Quoi qu’il ait fait, il ne tient probablement pas à la vie. Emy n’est pas le genre de personne qu’on aime avoir à ses trousses.
— Bien dit, aha ! Dans cette purée de pois, je ne pense pas qu’elle réussisse à le trouver. Bon, j’y retourne, tu ferais bien de bouger toi aussi. On boira ensemble quand ce sera fini !
Je secoue la tête en me demandant ce qu’il vient de se passer. Le soldat s’éloigne et disparaît dans la brume en direction de là d’où je viens. En étant pris d’un élan de compassion, je dis à Micha de faire en sorte qu’il retourne au pied de la tour quand ce sera son tour de finir dans un piège. Garder un œil sur lui n’est pas un problème pour la toute puissante Micha, pas vrai ?
{Héhé ! Mon pouvoir est super grand !}
Ne perds pas la tête non plus Micha, j’ai besoin de toi.
Bon, je me sens mal à l’idée de séparer Emy des personnes qui sont ses amis les plus proches, mais c’est au tour de Solstice et Équinoxe. Ces deux-là sont en train d’observer le camp depuis une tour de guet au centre du camp. Enfin, y monter était absolument inutile à cause de la fumée et de la brume. À vrai dire, ils sont tous les deux assis contre les barreaux de la rambarde en bois et observent vaguement le camp noyé sous une purée de pois. Ils sont très détendus vu le niveau des discussions. Le plus grand sujet reste moi-même. Entendre Emy hurler mon nom semble les intriguer, mais ils n’ont pas décidé d’agir activement en préférant obéir à son ordre de rester sur la tour… mais en oubliant d’aider. Je trouve ça légèrement stupide de leur part, mais les connaissant, ça ne m’étonne pas vraiment. Vu le chaos dans le camp, je ne sais pas si je pourrais faire mieux à leur place.
Je passe à côté du noyau que certains soldats essayent de briser à la masse. Je fais un petit signe que tout va bien aux gardes qui font passer le message à Anisse, mais vu son regard dans ma direction elle ne semble pas satisfaite. Maintenant que j’y pense, c’est sans doute à cause d’Emy. Franchement, elle pourrait arrêter de hurler mon nom et de me compliquer la vie. Bien sûr, j’avais prévu la possibilité. Anisse ne peut pas communiquer avec les autres à l’extérieur pour parler de ma relation suspicieuse avec Emy. Le pire qu’elle pourrait faire serait de désactiver la bulle, mais qu’Emy connaisse mon prénom n’est pas suffisant pour penser à une trahison. Surtout que je continue de détruire le camp et de semer le désordre comme prévu. Bien sûr, elle pourrait aussi croire que les explosions et le reste ne sont qu’une mise en scène, mais ça ferait d’elle une paranoïaque vu le niveau de destruction.
De toute façon, elle ne comptait pas réellement sur moi pour faire une différence. Le plan ne repose absolument pas sur ma réussite. Tant mieux si je réussis, tant pis si j’échoue. Autrement dit, je suis libre de faire ce que je veux, même si ça ne plaît pas à Anisse. Je dois juste m’assurer qu’elle désactivera bien la bulle quand j’en aurai fini pour éviter de perdre du temps.
Pour être honnête… les troupes dans le camp ne sont pas réellement une menace. Ils ont appris à se battre pendant la guerre, mais ce n’est rien de très dangereux contre un ennemi qu’ils ne voient même pas. Tuer les généraux et me débarrasser du Stratège supprime une bonne partie du potentiel offensif qu’ils peuvent avoir. Il ne reste qu’Emy pour vraiment donner des ordres.
Ce qui nous amène à Solstice et à son talent pour tirer. Je ne l’ai pas vue en action, mais elle doit certainement être assez douée. Équinoxe… ce n’est qu’un Chevalier encore plus centré sur la défense avec sa classe de Gardien et son bouclier qui fait la taille d’une porte.
Après quelques minutes de marche, je suis au pied de la tour de guet. Il ne me reste qu’à faire de l’escalade. J’ai hésité à les affronter au niveau du sol en profitant de la brume, mais l’espace est limité là-haut et ils ne pourront pas s’enfuir facilement. Tant que je m’occupe d’eux rapidement, pas de danger.
Les mètres défilent alors que je commence à entendre la voix d’Équinoxe.
*
— Si Nomad est vraiment là, c’est beaucoup trop de drame pour Emy. C’est une trahison à la Brutus avec César, non ?
— Hey, il est peut-être en colère qu’elle ait continué la guerre sans lui. Après tout, elle l’a abandonné dans Lishnul. C’est peut-être une vengeance de sa part.
— Mouais. Bof. Ça fait esprit vengeur si c’est le cas, et ce Nomad n’avait pas l’air d’être du genre d’après ce qu’elle raconte. Elle l’a décrit comme un type marrant qui se débrouille un peu. Je ne pense pas que ce soit le même Dresseur que celui des histoires.
— C’est possible, non ?
— Tu vois vraiment Nomad tel qu’Emy l’a décrit réussir à sortir du coma tout seul et faire des choses impossibles les unes après les autres ? En plus, il attaquerait précisément le camp d’Emy ? Nah. C’est improbable statistiquement, et je ne me fie pas à des ragots.
— Et pourtant, Emy hurle son prénom et elle a l’air remonté. Elle a peut-être perdu la raison et voit Nomad partout ?
Solstice ricane en écoutant Équinoxe. Elle est plus inquiète par la présence des centaines de corbeaux dans le ciel, qui sont un mauvais signe, que par l’idée qu’un Dresseur soit dans le camp.
« Salut vous deux. »
La tête d’un inconnu apparaît alors derrière eux sur l’échelle et elle pointe le fusil dans sa direction alors qu’Équinoxe se relève et brandit son bouclier.
— Doucement ! Je voulais juste discuter un peu et m’écarter du désordre en bas.
— Tu es qui exactement ?
— Un ami d’Emy. Je suis juste venu vous remercier de prendre soin d’elle.
— Tu as trois secondes pour être plus précis, réponds. Trois, deux –
— Mon nom est Nomad. Je suis venu vous renvoyer au pied de la tour comme j’ai fait pour Satin. Je préfère vous prévenir par respect pour votre relation avec Emy.
Sans attendre, Solstice tire une balle de son fusil sur l’inconnu, mais celui-ci fait disparaître sa tête en se baissant. La voix de Nomad retentit alors dans les airs aussi calmement qu’avant.
« C’était juste par politesse que j’ai fait les présentations. Pas besoin de tirer… »
Ils se mettent tous les deux en position dos à dos alors que Solstice ne lâche pas l’échelle du regard en se disant qu’il peut surgir à nouveau à tout moment. Équinoxe est en garde dans le dos de sa compagne, se préparant au pire. Solstice renifle en étouffant un ricanement.
— Bah c’est lui finalement. Je te l’avais dit.
— Ouais, mais s’il prend le temps de faire les présentations, c’est que tu ne lui fais pas assez peur, ma chérie.
— Tu n’as qu’à agiter ton bouclier en grognant comme un Berserker, peut-être qu’il sera terrifié en te voyant faire.