Je jette un couteau de lancer et un mur de boucliers se forme aussitôt pour le bloquer. Il rebondit avec un cliquètement métallique sans même laisser une marque. Les grimpeurs hurlent en rythme à chaque nouveau pas qu’ils font dans ma direction.
Ils ont formé une nasse tout autour de moi et se rapprochent graduellement. À chaque fois que j’en sors, une nouvelle se forme rapidement et m’encercle à nouveau. Bien sûr, c’est sans compter les poursuivants qui approchent par vague de différentes directions.
… Je suis vraiment en plein milieu du territoire ennemi.
Tch. Les formations militaires sont un problème, mais j’ai des jambes pour fuir et il y a suffisamment de tentes dans lesquelles je peux me faufiler pour ne pas perdre de temps avec mes poursuivants. Je pourrais sauter au-dessus d’eux avec mes bottes, mais c’est une mauvaise idée de vouloir jouer à saute-mouton.
Bon, le plus dangereux reste le bataillon d’Artilleurs armés de mousquet. Ils n’hésitent pas à tirer des salves sur moi dès qu’ils le peuvent et ils me coursent depuis un moment. Il y a bien sûr quelques Mages et quelques Druides qui sont dangereux. Ne pensons pas non plus aux Bandits dont le travail d’équipe est problématique pour moi…
Mais évitons de parler de tous les obstacles à ma fuite. Énoncer tout ça donne l’impression à Micha qu’elle doit s’en occuper parce que je m’en plains.
{Mais ! Je peux les super massacrer !}
Plus tard, Micha. Concentre-toi sur les cibles les plus faciles. Je me débrouille sur ce coup.
Je soupire en traversant une tente alors que deux bandits ne sont qu’à quelques mètres derrière moi. J’évite un couteau qui traverse la tente en me visant la gorge tout en fonçant dans les airs. Le plus fatigant dans tout ça reste le type qui me jette des objets téléguidés. Je n’ai aucune idée du nom de sa classe, mais quoi que je fasse, tous les objets de petites tailles qu’il me lance font des angles improbables pour m’atteindre. Appelons le « Lanceur » pour le moment. Ce n’était pas un problème quand il me jetait des cailloux, mais il y a quelque chose de perturbant à voir une lampe à huile faire deux à trois changements de trajectoire en me poursuivant. Même si je sais où il est grâce à une souris, c’est impossible de me débarrasser de lui puisqu’il est caché dans un groupe de cinquante grimpeurs qui approche lentement de ma position. Je dois me contenter d’esquiver au dernier moment pour que les objets n’arrivent pas à changer de trajectoire et finissent par s’écraser au sol. Bien entendu, c’est un peu plus compliqué quand il s’agit d’un couteau qui traverse les toiles des tentes ou d’une potion qui semble avoir un effet désagréable.
Pour être honnête, il y a bien trop d’adversaires pour qu’un combat de ce genre soit facile. Surtout avec une menace pareille juste au-dessus de ma tête… C’est l’heure d’ailleurs.
Je regarde le toit de la tente dans laquelle je viens de me cacher. Quelques secondes plus tard, le tissu se déchire et un « ange » tombe du ciel en frappant violemment le sol.
Je grimace alors qu’Emy se redresse. C’est étrangement la partie qui sera la plus désagréable de cette attaque-surprise : revoir Emy après autant de temps et comprendre que nous ne sommes pas dans le même camp.
Se battre avec elle ne sera pas terrible, mais lui donner l’impression que je la trahis… Non, je n’aime pas du tout l’idée. Vu la tête qu’elle fait, c’est une conversation que je n’ai vraiment pas envie d’avoir. Essayons de la jouer détendu. J’ai besoin de lui faire croire que je suis à l’aise avec la situation où elle ne me prendra pas au sérieux. Je me racle la gorge alors qu’elle se redresse.
« Ça faisait longtemps, Emy. »
Pendant un instant, je peux voir le visage d’Emy passer d’une émotion à une autre. Joie, colère, tristesse, colère à nouveau puis rage alors qu’elle me pointe du doigt d’une façon assez désagréable.
— Sale petite raclure ! Tu sais combien de temps j’ai passé à t’attendre ?! T’étais où espèce d’abruti ?!
— Content de te voir aussi.
— Parle ! Pourquoi tu m’attaques ?!
— Techniquement, je ne t’ai pas encore attaqué, tu n’as même pas une égratignu —
Je m’interromps tout seul en voyant son regard. Elle n’a pas l’air très patiente, mais c’est assez difficile d’expliquer pourquoi je suis là en détail. Restons calmes et détendus. Si elle me frappe, je ne m’en remettrais pas, alors évitons de l’irriter.
— Il s’est passé pas mal de choses depuis Lishnul. Pour la faire courte, ma quête est avec les grimpeurs de Djupa.
— Oh bordel… Et pour remplir ta quête, tu t’es dit que c’était une bonne idée de m’affronter ?!
— Pas du tout. C’est une très mauvaise idée. Ça fait trois semaines que je me tape la tête sur les murs du château en me le répétant. Tu as l’impression que j’ai vraiment envie de finir seul dans cette bulle avec ton armée et toi ?
— Attends… Tu te fous de ma gueule là ? Tu es seul ? Les gars d’en face ont décidé d’attaquer MON CAMP avec un seul type ? Ils se moquent de moi, c’est ça ?
— Les autres n’étaient pas super chaud pour une mission suicide… donc il n’y a que moi.
Emy me regarde en fronçant les sourcils comme jamais je ne l’ai vue faire jusque-là. J’ai l’impression qu’elle a du mal à comprendre ce qu’il se passe. Je n’ai pas spécialement envie de l’aider puisque nous ne sommes pas dans le même camp. Je soupire en lui demandant quelques secondes. Sans attendre une réponse, je m’allonge par terre en me recouvrant de ma cape et en me protégeant la tête.
À proximité, une première explosion retentit, puis une autre et ainsi de suite. Les déflagrations sont assez violentes et nombreuses pour que j’imagine bien le massacre qui a lieu en dehors de la tente. Ensuite, des petites explosions venues du ciel projettent des aiguilles sur toute la zone en aspergeant copieusement tous les soldats qui se sont mis à me chasser et qui sont encore en vie. Mine de rien, ils sont plus de cinq cents à mes trousses et, avec autant de monde rassemblé au même endroit, ce serait criminel de laisser passer une telle opportunité de vider un peu plus le camp.
Emy attrape une table à proximité pour se protéger alors que des aiguilles tombent sur nous à cause du trou dans la toile de la tente. Emy n’a pas l’air d’apprécier la situation vu les jurons que j’entends à travers le bruit des explosifs qui détruisent les alentours. Les hurlements à proximité continuent alors que, petit à petit, les choses se calment dehors, d’après ce que je vois à travers les yeux de Micha. La table que tenait Emy vole au-dessus de ma tête et arrache pratiquement la toile de la tente en la frappant. Elle n’apprécie probablement pas que je vienne de bombarder tous les grimpeurs à proximité. Cela doit lui faire l’effet d’un uppercut d’avoir entendu ses hommes se faire massacrer alors qu’ils avaient l’avantage. Je soupire en ordonnant aux rats ambulances de distribuer des clés pendant qu’Emy commence à manquer de jurons.
— Tu vas te relever et continuer à t’expliquer tout de suite ! Et je ne sais pas qui est responsable des explosions, mais tu vas parler !
— Les choses ont changé depuis Lishnul ! Et j’ai aucune raison de t’expliquer quoi que ce soit vu les circonstances.
— Tu ne vas pas me dire qu’avec quelques animaux dressés tu peux mettre un merdier pareil !
— Définis « quelques animaux ».
— Tu peux en avoir quoi, une dizai… — oh non.
Ah. On avance. Elle commence à réaliser le nombre d’animaux qu’il me faudrait pour réussir à mettre une telle pagaille. Emy se frotte ensuite le visage en hurlant dans ses mains « POURQUOI » plusieurs fois.
— Je me suis débarrassé de tes fans en tout cas, c’était des raclures. En trois semaines d’espionnage, ils ont toujours fait plus de mal que de bien. Ils parlaient même de te mettre en esclavage et faisaient les innocents.
— Trois sem —
— Ce sera plus rapide si tu me laisses parler. J’ai aussi endormi ton Stratège avant de le renvoyer au pied de la tour. Ce n’est pas le seul dans ce cas. Je ne suis pas un monstre non plus. Pour Solstice et Équinoxe, je comptais m’occuper d’eux juste après. Ils ont l’air sympas tous les deux.
— J’essaye encore de me faire à l’idée que tu m’espionnes depuis trois semaines là…
— En tout cas, je compte bien te battre. J’ai une quête à remplir pour pouvoir passer au monde suivant et je dois gagner.
— …
— La situation est un peu longue à expliquer, donc je t’ai laissé des lettres au pied de la tour qui t’expliqueront tout.
— Et tu penses que je vais abandonner pour aller faire de la lecture ?
— Absolument pas.
Je décide d’attraper mes stylets en décidant de me taire. J’ai très envie de continuer cette discussion, mais ce ne sont pas les bonnes circonstances. Même si je souhaite lui expliquer pourquoi je dois gagner, si elle décide de m’aider, cela l’obligera à sacrifier des mois d’efforts pour moi et je ne veux pas lui faire subir cela.
Je dois gagner à tout prix, mais si je gagne sur un simple abandon de sa part, je ne deviendrai jamais assez fort pour confronter Balad quand le moment viendra. Ce n’est probablement pas la meilleure situation pour prendre en considération les sentiments d’Emy, mais je n’arrive pas à me convaincre de faire autrement. Je n’ai pas non plus le choix à cause de la bulle, de toute façon. Si je veux entrer dans le deuxième monde, ce sera après l’avoir battue d’une façon ou d’une autre et pas en la convainquant avec des mots. En voyant mon regard, Emy brandit son marteau de guerre dans ma direction.
« T’en fais pas, tu cracheras des réponses à mes questions quand je t’aurai cassé la plupart des os de ton corps et que je t’aurai emprisonné. »
En l’écoutant, je me contente de lui tirer la langue en ricanant. Elle prend mal mon rire et commence à m’insulter.
« Même si les circonstances ne sont pas idéales, je suis content de te revoir Emy. »
Emy se met à soupirer en entendant ma réponse. Elle me regarde ensuite en souriant à son tour et semble se détendre. En trois semaines, je l’ai très peu vu sourire, moins d’une dizaine de fois. La plupart du temps, c’était Équinoxe et Solstice qui avaient réussi à lui tirer un sourire, et je suis content de voir que malgré les circonstances un peu particulières, notre relation est suffisamment bonne pour qu’elle puisse le faire à nouveau.
— T’en as une sacrée paire pour attaquer mon camp Nomad. Tu as intérêt à avoir fait de gros progrès, parce que je ne compte même pas te laisser me toucher.
— D’ailleurs, tu es vraiment plus forte maintenant que tu as des ailes de poulet ?
— … Crois-moi, je vais apprécier ta souffrance.
— Mais du coup, est-ce que tu es plus proche d’une poule que d’une humaine maintenant ? Si ça se trouve, je peux te dresser. Donne la patte Emy.
— Tu vas en prendre une dans la gue —
— DONNE LA PATTE.
— …
Vu sa grimace désabusée, je ne peux pas m’empêcher de faire un grand sourire. J’éprouve un certain plaisir à l’embêter. Ce n’est pas la meilleure des idées vu son regard, mais cela lui fait certainement plaisir, même si elle ne l’avouera pas. Bien sûr, je prends très sérieusement mon combat contre elle, mais je ne vais pas manquer une occasion de discuter avec une amie.
« Amusons-nous un peu maintenant. »
Alors qu’elle annonce finalement le début du combat, je peux voir un sourire de plus en plus inquiétant apparaître sur son visage. Hm hm. Elle commence à me rappeler la raison pour laquelle je n’avais pas envie de l’affronter. C’est difficile de faire abstraction de la taille de l’obstacle que j’ai devant moi.
Je me mets en position alors qu’elle pointe son marteau dans ma direction.
Au moment où elle s’apprête à m’attaquer, trois fioles tombent près d’Emy depuis une déchirure dans la toile de la tente. Un fumigène, une potion collante et une plante à croissance rapide. Si elle me facilite les choses en faisant un trou dans la tente, je compte bien m’en servir.
Alors qu’Emy tourne les yeux en direction des fioles qui passent devant elle. Je me prépare pour la suite. C’est le moment de commencer.