Deux jours plus tard, je pris l’avion pour Golmud, une ville proche du Tibet et située dans les montagnes. Presque immédiatement après être sorti de l’avion, l’altitude me secoua et je m’ évanouissais avant même d’avoir quitté l’aéroport. Je me réveillai ensuite sur le sol, me levai d’un bond et dénichai un comptoir où l’on vendait un remède contre le mal des montagnes. Le diluant dans un thé au beurre tibétain provenant d’un étalage de rue voisin, je réussis à me rendre à l’hôtel, laissai mes bagages dans ma chambre et je me précipitai pour prendre un taxi.
Lorsque je montrai au chauffeur l’adresse trouvée dans la cassette, il secoua la tête :
― Je ne peux pas vous y emmener, dit-il, C’est un vieux quartier et les routes sont trop étroites pour une voiture. Je peux vous déposer à proximité, c’est le mieux que je puisse faire.
Alors que nous nous dirigions vers la vieille ville de Golmud, je remarquai que les maisons du quartier étaient des structures en bois délabrées datant des années 70. Optimiste, je sentais que j’étais sur la bonne voie tandis que je marchai dans le crépuscule. Les rues étaient presque désertes et je les parcourais sans but précis, ne trouvant aucun panneau ou numéro de maison pour me guider dans ma recherche.
Sur le point d’abandonner, un cyclo-pousse s’arrêta et me proposa de m’emmener. Je montai avec gratitude et me senti encore plus chanceux lorsque je découvris que le conducteur parlait mon dialecte et qu’il vivait à Golmud depuis douze ans. Il eut l’air déçu lorsque je déclinai son offre de me présenter une fille pour la nuit, mais son regard s’éclaira lorsque je lui montrai l’adresse que je cherchais :
― Oui, je sais où c’est. Ce n’est pas très loin, je vous y emmène.
Il m’emmena sur une route si isolée que je pris peur qu’il ne me vole et me laisse pour mort. Mais au lieu de cela, il s’arrêta devant un bâtiment sombre de trois étages et sourit :
― Vous y êtes. C’était la maison de retraite de l’Armée Populaire de Libération, mais elle est abandonnée et vide depuis des années.
Il y avait un numéro de maison effacé sur la porte et en regardant de plus près dans cette obscurité, je reconnu le chiffre que je cherchais. Elle semblait hantée dans la faible lumière et je me retournai vers le chauffeur :
― Qui vit ici maintenant ? Y a-t-il un gardien ?
― Je n’en ai aucune idée, me répondit-il, Ce que je sais, c’est que ça a été construit dans les années 60, à l’époque où il y avait beaucoup de soldats ici. Après cela, c’est devenu un cinéma pendant un certain temps, et j’avais l’habitude d’aller y voir des films. C’est pour ça que je connais l’endroit.
Il me salua et partit, me laissant seul dans la rue, avec un réverbère à proximité comme seule source d’éclairage. Je ressentis une certaine appréhension, puis je ris. J’avais déjà visité des tombes bien plus menaçantes que cet endroit, quel était mon problème ?
Je poussai la porte, elle était fermée. Mais l’éclairage extérieure me permit de grimper et de sauter dans une cour remplie de mauvaises herbes. Il y avait une maison avec de vieilles fenêtres en bois, toutes béantes. Je passai par l’une d’entre elles pour arriver dans un couloir vide, recouvert d’une épaisse couche de poussière.
Heureusement, j’avais emporté un paquet de cigarettes et un briquet. J’allumai une flamme et je remarquai que je me trouvais dans le couloir de la cassette vidéo, où « j » avais rampé sur le sol.
Je savais que j’étais au bon endroit. Le sol et les fenêtres sculptées étaient exactement ce que j’avais vu dans la cassette. La peur et l’excitation m’envahirent alors que je m’enfonçais dans la maison en direction d’un escalier en colimaçon. Je sortis la clé de la cassette de ma poche et je la regardai – 306. Je devais aller au troisième étage.
En jetant un coup d’œil à l’escalier, je vis des pas dans la poussière. Quelqu’un était venu avant moi, et il n’y avait pas si longtemps. Je testai prudemment la première marche, elle grinça mais supporta mon poids. Je commençai alors à grimper.
Au deuxième étage, un mur en ciment s’étendait au-delà de l’escalier. Je continuai mon ascension sans m’interrompre. A l’étage suivant, il y avait un long couloir sombre avec des chambres de chaque côté, il était recouvert de toiles d’araignées et sentait le renfermé et le moisi. Des portes numérotées s’étendaient à ma gauche et à ma droite, l’avant-dernière était la 306. La clé s’inséra dans le verrou et la porte s’ouvrit facilement.
Je passai lentement la tête à l’intérieur de la pièce, dégoûtée par l’odeur de moisissure. La lumière de la rue qui m’avait permis d’entrer brillait à travers une fenêtre et je pouvais voir qu’il n’y avait personne qui m’attendait. Je pris une grande inspiration et entrai.
Il y avait un petit lit dans le coin, couvert d’un édredon pourri, et un bureau à proximité partageant l’espace avec une armoire aussi haute que moi et large d’au moins trois mètres. Elle était gravement détériorée par l’humidité de la pluie qui pénétrait le plafond et distribuait de grandes taches à sa surface.
Pourquoi m’avait-on envoyé dans cet endroit ? Qu’est-ce que je devais trouver dans cette petite pièce hideuse ? Je posai mon briquet sur le bureau et commençai à fouiller dans les tiroirs. Rien. Et le lit ? Je m’en approchai et regardai en dessous. Rien. Je sortis un tiroir du bureau et l’utilisai pour fouiller dans la couette afin de voir si elle cachait quelque chose. Tout ce que je vis sous le tissu sale, fut une flaque de liquide noir rempli d’insectes. Cela me donna un haut-le-cœur et je tournai aussitôt les talons.
Il ne restait plus que l’armoire à fouiller, mais sa porte était verrouillée et je n’avais aucun outil pour l’ouvrir. Je cherchai autour de moi quelque chose me permettant de forcer la serrure ou d’enfoncer la porte.
La fenêtre était équipée d’une serrure à l’ancienne avec un pêne que l’on pouvait tirer jusqu’à l’extérieur. Elle était en métal et très robuste. Je m’en servis comme d’un petit pied de biche, l’insérai dans une fin ouverture de la porte de l’armoire et tirai fort jusqu’à ce qu’il y ait un espace assez grand pour que mon bras puisse pénétrer. Je passai la main à l’intérieur et je tirai sur la porte de toutes mes forces. Lentement, le bois céda et se brisa, libérant un nuage de poussière aveuglant. Après avoir retrouvé la vue, je pris mon briquet et je l’enfonçai dans l’armoire, persuadé qu’il n’y avait rien à l’intérieur.
Et j’avais raison, rien excepté un trou béant à l’arrière de l’armoire donnant sur une trappe ouverte qui était deux fois plus haute que moi. Elle menait à un escalier en pente douce qui descendait.
En regardant la clé dans ma main, je savais qu’elle m’avait été donnée pour que je trouve cette trappe. La réponse que je cherchai était en bas des escaliers et je n’avais pas d’autre choix que d’y descendre. Je franchis la trappe et immédiatement une odeur étrange m’envahit les narines.
L’escalier tournait et je ne voyais pas le fond. La peur commença à prendre le dessus, mais je me rappelai que j’étais dans une ville, pas dans un tombeau. Alors j’amorçai ma descente des marches.
Je n’avais fait que quelques pas lorsqu’un froid glacial s’abattit sur moi depuis le bas. Mon souffle se distinguait en formant de petits nuages et je frissonnai. De chaque côté, il y avait des murs en béton couverts de slogans militaires peints en rouge. Des fils pendaient en haut des escaliers, enveloppés de toiles d’araignées qui les faisaient ressembler à des serpents.
Les escaliers continuaient bien en dessous de ce qui aurait dû être le premier étage de la maison. Y a-t-il un sous-sol, me demandai-je, ou peut-être même un bunker militaire sous cet endroit ? Grelotant sous l’effet de la chute de température, je descendis une nouvelle volée de marches et débouchai sur une porte qui s’ouvrait sur une grande pièce, un simple sous-sol en béton, humide, froid et vide.
Je me dirigeai vers le centre de la pièce où quelque chose projetait une énorme ombre horizontale sur le sol, et je tenais mon briquet en main. Au milieu du sous-sol se trouvait un énorme cercueil noir qui semblait aussi ancien que tous ceux que j’avais vus auparavant.