Le Maître des Secrets | Lord of the Mysteries | 诡秘之主
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Chapitre 98 – Langue-de-serpent
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Chapitre 98 – Langue-de-serpent

Klein tourna lentement la tête et jeta un coup d’œil à Danitz.

Le pirate dont la prime s’élevait à 5 500 Livres ferma aussitôt la bouche et fit comme si rien ne s’était passé.

Après s’être assuré qu’Hélène était bien montée à bord du paquebot, Klein retourna vers la calèche et fit mine de prendre un ton désinvolte :

– « Avez-vous entendu la conversation ? »

– « Non, non. Un peu, juste un peu… », répondit Danitz avec un petit rire.

Klein hocha légèrement la tête :

– « Souvenez-vous en, sans quoi les gens pourraient facilement voir à travers vous. »

– « Voir à travers… moi ? » répéta d’un air absent le pirate en désignant son nez.

– « Elle est issue de la famille Sauron », expliqua Klein sans changer d’expression. « Elle a des capacités Transcendantes anti-pistage. Si l’on ajoute à cela ses manies subtiles et son comportement, il est clair qu’il s’agit d’une Séquence 7 de la voie du Chasseur, une Pyromane. Elle vous ressemble beaucoup, aussi jouerez-vous son rôle avec brio. »

Danitz sursauta d’effroi.

– « Moi ? Je n’y arriverai pas ! Je ne pourrai jamais me déguiser comme elle ! Je serai reconnu au premier coup d’œil ! »

Klein se retint de rire et répondit d’une voix grave :

– « Je vous prêterai la Faim Rampante. »

– « … Non, non ! Je n’ai aucune expérience en la matière. Je ne pourrai pas tromper les subordonnés de la Vice-Amirale Maladie ! » s’exclama le pirate, incroyablement nerveux et horrifié.

C’était, à ses yeux, une mission extrêmement embarrassante et me*dique. Seul un pervers ou un fou pourrait la mener à bien sans aucun scrupule.

Klein acquiesça et commenta, impassible :

– « En effet, vous êtes plutôt stupide. »

Danitz eut un sourire forcé :

– « Particulièrement stupide, c’est vrai. »

Sans un mot, Klein passa devant lui et ouvrit la porte de la calèche.

Danitz le suivait des yeux lorsque soudain, il vit les cheveux de Gehrman Sparrow devenir rouges.

Il cligna ses yeux ternes et vit les contours du visage de l’homme s’adoucir tandis que ses yeux prenaient une teinte vert émeraude. Ses lèvres, à présent minces et pincées, lui donnaient un air fragile et peu sûr de lui. Il se dégageait de sa personne une beauté masculine et il ressemblait trait pour trait à cette Hélène qui venait de partir.

Après avoir regardé Gehrman Sparrow monter en voiture, Danitz détourna la tête et les coins de sa bouche se crispèrent.

Il demeura quelques instants avant de marmonner mentalement : Quel fou. Il s’est transformé en femme sans la moindre hésitation !

Je dois reconnaître qu’Hélène est plutôt jolie déguisée en homme.

Ce pouvoir Transcendant est vraiment utile. Si je pouvais me procurer un tel objet et découvrir quel est l’idéal masculin du Capitaine, je pourrais me transformer de façon à ce qu’elle tombe amoureuse de moi.

Mais dans ce cas, la personne dont elle tomberait amoureuse serait-t-elle encore moi ?

Danitz en était là de ses questions philosophiques lorsqu’il entendit derrière lui un toussotement provenant de la calèche.

Reprenant ses esprits, il éloigna la voiture du port. Il avait l’intention de faire un grand détour avant de revenir sur ses pas.

À l’intérieur, Klein n’était pas aussi calme qu’il en avait l’air. Même si Hélène portait des vêtements masculins, ce qui lui permettait temporairement de ne pas se préoccuper des aspects les plus embarrassants, c’était tout de même très gênant de voir son visage se transformer en celui d’une femme à la poitrine comprimée. Déprimé et mal à l’aise, il soupira :

Il est très facile pour un Sans-Visage de changer d’apparence. Le plus difficile, apparemment, c’est le mental. Si je veux pouvoir jouer mon rôle comme un bon Sans-Visage, je dois surmonter de nombreux blocages psychologiques. Si je n’y parviens pas, il me faudra beaucoup de temps pour jouer véritablement le personnage sur plusieurs années, être reconnu par toutes les personnes qui lui sont liées, m’immerger totalement dans mon personnage au point que je finisse presque par le croire réel… C’est plus difficile à gérer quant aux résultats, totalement fou et tordu.

Si je veux hâter mes progrès, je dois surmonter un certain nombre d’obstacles.

Klein tira de sous le siège une valise, fouilla dedans à la recherche de morceaux de tissus et de vêtements, puis reproduisit le déguisement d’Hélène.

Il aurait pu demander à Danitz de jouer le rôle de celle-ci et emprunter pour quelques jours à Justice l’objet occulte avec la caractéristique Transcendante du Sans-Visage, cela n’aurait pas posé problème.

Cependant, il y avait de fortes chances pour que le pirate soit confronté à la vice-amirale Tracy. Sans les pouvoirs du Clown, il lui était presque impossible de le lui cacher, ce qui mettrait sa vie en grand danger.

Or le jeune homme refusait formellement de faire prendre à d’autres des risques aussi importants pour ses propres affaires, aussi n’avait-il eu d’autre choix que de se lancer un défi et de le faire lui-même.

Quelques minutes plus tard, il ressemblait trait pour trait à Hélène. Sous le haut de forme noir se cachait un beau visage androgyne aux contours doux et prononcés. Ses yeux d’un vert émeraude étaient aussi beaux que des pierres précieuses.

Il modifia sa corpulence, se rapetissant de quelques centimètres et rétrécissant la largeur de ses épaules. Une fois sa carrure réduite, il semblait infiniment plus léger.

Grâce à ses pouvoirs de Clown, il put voir mentalement son image.

C’est quand même pas mal. Il n’y a pas grand-chose à faire… C’est peut-être parce que je ne porte pas de vêtements féminins. Ce n’est guère différent du fait de me changer en Gehrman Sparrow, en Danitz ou en quelqu’un d’autre. J’ai juste l’air plus beau et je ressens un léger inconfort au niveau de la poitrine… Si j’avais pu ressembler à ça sur Terre, je n’aurais pas eu à m’inquiéter de ne pas avoir de petite amie, railla-t-il en plissant les coins de sa bouche.

Ce qui semblait être une action normale de Gehrman Sparrow lui paraissait à présent pitoyable et désolant.

Me*de ! ragea intérieurement le jeune homme qui ajusta rapidement son mental. Petit à petit, il s’immergea dans l’état d’esprit d’un véritable acteur.

Avec le temps, il s’aperçut que sa résistance diminuait considérablement. Par la suite, il se sentit détendu et calme, comme si la potion s’était encore harmonisée.

L’assimilation serait donc plus rapide.

C’est vraiment utile… se dit Klein qui se leva pour faire quatre pas dans le sens inverse des aiguilles d’une montre. Il se transporta au-dessus du brouillard et s’assura une nouvelle fois du niveau de dangerosité de l’opération à venir.

De retour dans le monde réel, il prit la voix d’Hélène et baissa délibérément le ton.

– « Dirigez-vous vers le port, Quai 6. »

Sur le moment, Danitz n’y trouva rien d’anormal, mais après avoir changé de direction, il se rendit compte des faits et ne put s’empêcher de frissonner.

On dirait la vraie… Si un jour il se transforme en mon Capitaine pour me duper, je ne m’en apercevrai peut-être même pas…

Au bout d’un moment, la calèche entra dans le port et se dirigea vers le paquebot sur lequel, au départ, Helene aurait dû embarquer. Mais au lieu de s’en approcher, il fit un détour jusqu’à un entrepôt situé non loin.

Danitz sauta de voiture et comme convenu, alla frapper à la porte de l’entrepôt.

Un groupe de dockers, manifestement de sang autochtone, en sortit et se dispersa.

Après s’être assuré que tout allait bien, Kalat, le chauve de la Résistance, sortit en fauteuil roulant.

– « Où est-elle ? », demanda-t-il en regardant Danitz.

Grâce à l’affaire concernant Hélène, le pirate avait réussi à établir le contact avec la Résistance.

Celui-ci eut un sourire malicieux.

– « Dans la voiture. Elle a été droguée avec une potion qui fait perdre toute force. Ses effets doivent durer dix heures.

« N’oubliez pas : je veux 70 % des mille Livres de récompense. »

Kalat agita le bras droit et aussitôt, deux hommes minces appartenant à la Résistance montèrent dans la calèche. Très vite, ils pointèrent la tête dehors et sur le ton des gangs locaux, lancèrent :

– « C’est bien la femme, patron. »

– « Descendez-la. Notre mission est de la protéger », souligna une nouvelle fois Kalat.

Les deux soldats soutinrent alors Hélène déguisée en homme pour l’aider à descendre de voiture.

Klein fit appel à ses pouvoirs de Clown pour feindre d’avoir les genoux affaiblis et tituber.

Il fut rapidement transféré dans une pièce au milieu de la population de Bayam tandis que Kalat chargeait un membre d’un gang local – qui croyait au Dieu de la Mer – d’aller trouver Ozil le Costaud pour l’avertir qu’ils avaient retrouvé la cible. Il devait apporter 1 000 Livres en échange de la femme. Danitz, quant à lui, était retourné à l’hôtel pour attendre les nouvelles.

À midi, Ozil lui fit répondre que n’étant pas certain que la personne en question soit la bonne, il avait l’intention d’envoyer quelqu’un pour s’en assurer.

Kalat y consentit.

Vers le soir, une silhouette se présenta devant la maison.

C’était un homme portant un pantalon et une veste. Il était Loenois et vêtu à la manière d’un autochtone. Il avait des sourcils courts – environ deux fois plus courts que ceux d’une personne moyenne, des yeux bruns enfoncés et un visage comme taillé à la serpe.

Kalat déplaça son fauteuil roulant jusqu’à la porte et demanda d’une voix grave :

– « Mithor King ? »

– « Dois-je me sentir honoré que vous me connaissez ? » fit l’homme en riant.

Il était à l’origine capitaine d’un des navires pirates sous les ordres du vice-amiral Qilangos dit Ouragan. Depuis que la vice-amirale Maladie avait repris l’équipage, il endossait le rôle de troisième lieutenant de son navire amiral, la Peste Noire. Son surnom était Langue-de-serpent et sa prime s’élevait à 5 400 Livres.

Kalat ne répondit pas et se déplaça pour le laisser passer.

Un membre du gang conduisit alors Mithor dans une pièce voisine à l’intérieur de laquelle se trouvait Hélène, en tenue d’homme, assise au chevet du lit. Les yeux tournés vers lui, elle le regarda fixement. Elle se mordait la lèvre et semblait à la fois furieuse et craintive, en proie à des sentiments de désespoir et d’obstination.

– « C’est bien elle. Mais je ne peux pas en être certain car elle est très maquillée. Difficile de savoir à quoi ressemble vraiment une femme sous un tel maquillage. Essuyez son visage. Hé, pourquoi ne l’avez-vous pas menottée ? Vous ne savez donc pas qu’elle est dangereuse ? » dit Mithor, prudent, en reculant de deux pas après avoir examiné l’endroit.

– « Elle a été droguée. Elle n’a plus guère de force et n’a pas résisté. Mais puisque vous demandez… »

Kalat fit un signe du menton vers un soldat de la Résistance.

Celui-ci trouva une paire de menottes, s’approcha de Klein et après lui avoir mis les mains dans le dos, les lui menotta.

Klein affichait toujours des émotions contradictoires, s’efforçant de faire semblant de se débattre malgré son manque de force.

Un autre membre du gang alla chercher de l’eau et lui essuya le visage avec une serviette rugueuse.

Heureusement qu’à l’époque où nous sommes, la plupart des produits cosmétiques ne sont pas waterproof… pensa Klein qui, profitant de ce que la serviette lui couvrait le visage, se mit à en modifier les contours.

Il ne fallut pas longtemps à Mithor pour contempler le visage humide d’Hélène. Elle semblait incroyablement frêle et belle. Ses yeux vert émeraude brillaient d’une haine intense et d’une profonde confusion.

Malheureusement, elle appartient au Capitaine… pensa Mithor avec un mouvement de gorge.

En tant qu’homme et pirate, il avait souvent eu le fantasme de voir la vice-amirale Tracy et la rousse Hélène tomber simultanément dans ses bras, mais bien sûr, ce n’était que son imagination.

La façon dont il me regarde est répugnante… se dit Klein qui pour un peu, en aurait vomi.

Le jeune homme avait beau savoir que c’était Hélène qu’il regardait ainsi et non lui, il ne pouvait s’empêcher d’avoir la chair de poule.

Cela lui permit de se connaître un peu plus en profondeur et de se dire qu’il y avait des choses qu’il ne pouvait absolument pas accepter.

– « C’est vraiment elle », conclut Mithor en se tournant vers Kalat : « Voici votre récompense. »

Il lui jeta le petit sac de cuir qu’il tenait à la main.

Kalat l’inspecta brièvement et le lança à un subordonné.

– « Nous avons encore besoin de votre aide », dit-il après un bref silence.

– « Pas de problème. Le moment venu, allez trouver Ozil. » Mithor désigna Hélène et s’enquit : « Je l’emmène, d’accord ? »

– « Oui », répondit Kalat en s’écartant une nouvelle fois.

Klein, qui ne voulait pas de l’aide de Mithor, feignit d’avoir retrouvé une partie de sa mobilité et sortit en titubant.

Mithor, qui craignait la vice-amirale Maladie, se contenta de le tenir par l’épaule et de le conduire jusqu’à la calèche garée dehors.

La voiture quitta la ville et entra dans un port privé. Mithor conduisit Klein déguisé en Hélène sur un bateau de pêche préparé de longue date. Sous le couvert de la nuit, ils quittèrent Bayam.

Une heure plus tard, ils aperçurent un bateau amarré à l’ombre de la falaise d’une île. Un immense drapeau sur lequel étaient dessinés des os blancs flottait au vent.

La Peste Noire !

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