Chapitre 71 – Un dur labeur en perspective pour Danitz
La prime… Les muscles de la joue de Danitz se contractèrent et il eut un sourire forcé, prétendant qu’il n’était pas Le Flamboyant et qu’il s’en fichait.
Après le départ d’Elland, il se tourna brusquement vers Gehrman Sparrow et lui dit :
– « Je pense que nous devrions trouver un autre hôtel… Non, nous ferions mieux de quitter Bayam au plus vite ! »
Si ma tête est mise à prix pour plus de 5 000 Livres, je ne serai en sécurité nulle part ! Les pirates et aventuriers du même niveau que moi vont se précipiter comme des requins qui auraient senti le sang ! Les proies qu’ils peuvent éliminer tout en faisant leurs preuves et qui leur rapportent une forte prime sont toujours très prisées. Elles ne valent pas moins qu’un trésor ! pensait Danitz en réprimant plus fortement ses cris intérieurs.
Klein n’était ni d’accord ni opposé. Il sourit lentement :
– « Auriez-vous peur que votre prime soit trop élevée ? »
Danitz hocha gravement la tête avec l’impression que ce fou de Gehrman Sparrow disait enfin quelque chose de sensé.
– « Il y a d’autres solutions que de se cacher », dit Klein en s’approchant du porte-manteau.
– « Lesquelles ? » s’enquit machinalement le pirate.
Klein prit son semi haut de forme et le posa sur sa tête.
– « Augmenter votre Séquence ».
Que votre force soit à la hauteur de la prime…
Il enfila son manteau, tourna la poignée de la porte et quitta la suite.
Passer à la Séquence 6 ? Devenir un Conspirateur ? Danitz resta un instant figé, puis il fronça les sourcils et grimaça.
Lorsqu’il avait pris les potions du Chasseur de Séquence 9 et du Provocateur de Séquence 8, cela ne lui avait pas posé de problème. En fait, il s’était mis à rêver de trouver les trésors légendaires, de se procurer des formules de Moyenne ou Haute Séquence et leurs matériaux pour devenir un demi-dieu, puis de devenir le nouveau roi de la mer. Cependant, la douleur et l’inconfort intenses provoqués par la potion du Pyromane l’avaient plongé dans la peur et l’appréhension. Il ne pouvait croire qu’il avait failli perdre le contrôle bien qu’il eût suivi à la lettre les instructions de son capitaine, qui consistaient à provoquer constamment ses adversaires.
De fait, le pirate se demanda s’il ne valait pas mieux faire fortune pour pouvoir retourner à Intis en homme riche.
Il resta là, troublé durant plusieurs minutes. Finalement, une question lui traversa l’esprit.
Même si je voulais prendre une potion pour évoluer, il me faut du temps pour trouver la formule et les ingrédients. Ce ne sera pas une tâche facile et la nouvelle prime pourrait être annoncée demain, peut-être même aujourd’hui !
Je vais donc devoir changer d’hôtel et quitter Bayam au plus vite !
…
Après avoir quitté la Ralph Trading Company, Alger se rendit en divers endroits pour s’informer de la situation. Il était presque midi lorsqu’il reçut un nouveau rapport de l’Église des Tempêtes.
« Nous avons confirmation que la personne qui a affiché les avis à la porte de la cathédrale est Danitz Le Flamboyant.
« Prêtez attention à ses allées et venues. »
Danitz Le Flamboyant … rumina mentalement Alger, le papier à la main. Les coins de sa bouche se retroussèrent : il n’avait plus le moindre doute.
Plein de certitudes et de confiance, il se sentait prêt à partir en mer à la recherche de matériaux.
Sa quête se déroulerait en mer et le Fou avait pris une nouvelle identité : Dieu de la Mer !
…
Danitz, qui avait manqué l’étoile bleue du matin, attendit jusqu’à quatre heures de l’après-midi pour tenter le rituel de Chute des Âmes en l’absence de Gehrman Sparrow.
Habilement et parce qu’il lui était familier, il dessina l’Emblème Sacré du Dieu du Savoir et de la Sagesse – un œil omniscient sur un livre ouvert – et installa l’autel.
Entouré d’un mur d’énergie spirituelle, il alluma une bougie, prit l’extrait de lavande et de menthe et les fit couler sur la flamme.
Un parfum rafraîchissant s’éleva, après quoi le pirate brûla diverses poudres d’herbes.
Cela fait, il recula d’un pas et dit en Hermès ancien :
« Je prie pour obtenir le pouvoir du savoir ;
« Je prie pour obtenir le pouvoir de la raison ;
« Je prie pour obtenir la grâce bienveillante du Dieu de la Sagesse ;
« Je prie pour que Vous me permettiez de communiquer avec l’esprit d’Edwina Edwards, l’enseignante qui recherche le savoir, la chercheuse de créatures du monde spirituel, la vice-amirale Iceberg sur les mers, originaire de Lenburg. »
…
Alors que l’écho de l’incantation se faisait entendre, le centre de l’autel devint subitement froid. À l’exception des trois bougies, la dague en laiton, l’assiette de sel, la bouteille d’extrait, le stylo et le papier flottaient dans les airs.
Danitz attendit nerveusement, ne sachant pas ce qui allait se passer.
Après presque vingt secondes, les flammes se mirent à vaciller et les trois bougies prirent une teinte vert pâle !
Danitz se raidit soudain. Il sentit un froid glacial envahir son corps et ne put résister.
Il vit ses pieds bouger malgré lui et il fit un pas en avant.
Il vit sa main gauche se lever et saisir le stylo à plume noir ainsi qu’un morceau de papier.
Il se vit se pencher, le stylo dans la main gauche, et écrire rapidement : « Que se passe-t-il ? »
La calligraphie était très fine et artistique, très différente du style du pirate.
Ce n’est qu’à ce moment qu’il réalisa qu’il pouvait contrôler sa tête et sa gorge.
« Capitaine », dit-il d’une voix rauque, comme s’il souffrait d’un gros rhume, « Kalvetua, le Dieu de la Mer, est mort ! »
Détails, écrivit doucement sa main droite.
C’était l’occasion que Danitz attendait. Il raconta aussitôt tout ce qui s’était passé, y compris la visite de Gehrman Sparrow sur l’île de Symeem en vue d’accomplir la dernière volonté d’un aventurier, la possibilité que Sparrow ait subi la malédiction du Dieu de la Mer et comment il avait facilement résolu le problème après avoir fermé la porte. Il évoqua également l’erreur du fou qui avait pris les antiques ruines elfiques pour celles du Dieu de la Mer.
Il conclut en exposant son propre point de vue sur la question.
« Je pense que l’Amiral de Sang ne reviendra pas à Bayam avant un bon moment. La plupart des pirates célèbres ne le feraient pas.
« Il faudra au moins six mois pour que cette affaire soit réglée.
« Capitaine, votre plan de traque avec Gehrman Sparrow devra peut-être être ajourné pour le moment. Je souhaite retourner sur le Rêve d’Or. »
Sa main se figea quelques secondes, puis écrivit :
« Continuez à suivre Gehrman Sparrow et soyez mon contact avec lui. »
« Capitaine, vous pouvez lui enseigner le rituel ! » s’écria Danitz.
« Cela ne peut se faire que dans un rayon de 500 miles nautiques et c’est très risqué pour la personne qui mène le rituel. Et vous connaissez nos contact sur les différentes îles. Ce sont des choses dont on ne peut pas parler à des personnes extérieures. »
En effet… Gehrman Sparrow n’est qu’un étranger… Mais Capitaine, je veux vraiment retourner sur le Rêve d’Or !
Danitz se creusa les méninges :
« Nous pourrions peut-être l’inviter à bord du navire. Non, ça… »
Soudain, une idée lui vint :
« Capitaine, il a un messager ! Il a un messager !
« Un messager qui voyage dans le monde des esprits pour lui remettre des lettres ! »
Ce doit être un moyen de communication sans restriction, plus privé et plus sûr ! Je n’ai plus besoin d’être le contact ! pensa Danitz avec une joie extrême.
Sa main resta quelques secondes suspendue en l’air, puis écrivit :
« Dans ce cas, aucun problème. Les vacances de fin d’année touchant à leur fin, il est en effet temps pour vous de revenir sur le navire. Vous avez un certain talent pour les langues, mais vous avez encore des lacunes dans d’autres domaines. Vous allez devoir suivre davantage de cours et travailler plus dur. »
Danitz ouvrit la bouche, mais aucun son n’en sortit.
Son retour sur le Rêve d’Or ne présageait rien de réjouissant.
…
Le soir venu, Klein revint à l’hôtel du Souffle d’Azur.
Malgré une journée entière de travail, il n’avait pas trouvé de cible convenable pour son jeu d’acteur. Suite à l’opération de ratissage menée précédemment, de nombreux pirates et aventuriers recherchés avaient été arrêtés. Les autres, prudents, se cachaient, n’osant même pas sortir. Que ce soit dans les bars, les casinos ou les maisons closes, les affaires étaient mauvaises et les clients se faisaient rares.
– « Voilà la situation », dit Danitz en s’approchant. Il se racla la gorge et laissa échapper un petit rire. « Comme c’était la première fois que j’utilisais ce rituel et comme je n’étais pas très sûr de moi, j’ai fait un test et haha, c’est réussi. J’ai réussi à communiquer avec le Capitaine, et elle pense que vous n’avez aucune chance de pouvoir traquer de sitôt l’Amiral de Sang. Elle envisage de me rappeler sur le Rêve d’Or. Pour ce qui est de la communication, n’avez-vous pas un messager ? Vous pourrez faire appel à lui pour envoyer une lettre au Capitaine. »
Mon messager m’a été donné par un gros bonnet, il ne m’appartient pas… De plus, il ne peut transmettre des messages qu’entre son propriétaire et le propriétaire du gage, sans impliquer personne d’autre. Enfin, il peut également le faire entre l’hôte d’un rituel et son propriétaire… Cela me rappelle qu’il faut que je trouve un moyen de me procurer un messager à moi, sans quoi beaucoup de choses poseront problème… Quant à la solution, c’est évidemment d’écrire à monsieur Azik qui doit être un expert en la matière…
Klein tira calmement une chaise et s’y assit. Puis, se penchant, il dit à voix basse :
– « Dites à votre Capitaine que j’ai un moyen de trouver l’Amiral de Sang. »
– « Hein ? »
Danitz en resta stupéfait. Il ne s’attendait pas à une telle réponse.
Puis il vit les coins de la bouche de Sparrow s’élargir lentement alors qu’il répétait :
– « Dites-le à votre Capitaine. »
Danitz frissonna. Il n’osa pas poser de questions et se força à sourire.
– « Nous devrons attendre la prochaine étoile bleue, c’est-à-dire ce soir entre 23 heures et minuit. »
– « Très bien », répondit Klein en souriant.
Mais Danitz n’était pas content du tout.
Klein se leva lentement et, repensant au plat spécial qu’il avait mangé au dîner, se dirigea vers la chambre à coucher.
Le plat avait pour nom la Teativa, ce qui, traduit en Loen, signifie “viande dans un fruit”. Le cuisinier prenait un fruit local géant, le Teana, et évidait la chair pour n’en laisser que la coque. Il la farcissait ensuite de purée de mouton et de poisson, de sel marin et de plusieurs types d’épices et le faisait rôtir à plusieurs reprises sur le feu. La viande était fraîche, parfumée et se mariait parfaitement avec la saveur sucrée et légèrement acidulée du fruit.
Refermant la porte derrière lui, Klein entreprit de rédiger une lettre pour remercier M. Azik des conseils qu’il lui avait prodigués, puis il lui redemanda comment il pourrait avoir son propre messager.
La lettre pliée, il sortit son sifflet de cuivre et appela le messager.
Celui-ci ne s’attarda pas et se désintégra aussitôt qu’il eût pris la lettre.
Klein se reposa un instant, prêt à se transporter au-dessus du brouillard pour voir si les prières des croyants pourraient lui apporter des informations utiles, comme par exemple un personnage dont il pourrait réellement jouer le rôle.