Chapitre 70 – En grande pompe
Danitz jeta à la poubelle l’attelle et les bandages, fléchit le bras et dit :
– « Généralement, la provocation d’un pirate est une insulte, mais je suis différent. Mes insultes sont ciblées.
« Pour cela, il faut saisir un grand nombre d’informations et de rumeurs, et connaître la personne que vous souhaitez provoquer. Ce n’est qu’ainsi que vous pourrez lui faire perdre la tête et lui brûler le cerveau en une seule phrase. »
Il marqua une courte pause et ajouta : « C’est comme pour Steel. Vous pouvez le maudire, le traiter de mer*e, maudire ses parents ou son capitaine, cela ne servira à rien. Par contre, si vous faites une action et que vous y ajoutez une réplique, il se transformera à coup sûr en en taureau qui ne voit que du rouge. »
Sur ce, Danitz mit la main sur les hanches, se tient l’entrejambe et lâcha sur un ton bas et méprisant : « Sal*pe ! »
… J’ai vraiment envie de le frapper… Il est à la hauteur de son statut de Provocateur… Il est vrai que Steel Maveti avait ces tendances et ces passe-temps, tsk… pensa Klein en desserrant les poings qu’il avait inconsciemment serrés.
– « C’est ce qu’on appelle de la “provocation professionnelle” », conclut Danitz en écartant les mains. « Si je rencontre une bête, un monstre, ou quelqu’un avec qui on ne peut pas communiquer parce qu’il a perdu le contrôle, je peux dégager un sentiment qu’il déteste. C’est un pouvoir Transcendant. »
Les personnes dotées d’un tel pouvoir sont soit très douées pour encaisser des coups, soit très douées pour s’échapper. Manifestement, vous faites partie de la seconde catégorie… maugréa Klein en son for intérieur.
Sans avoir à se soucier de son bras gauche blessé, Danitz, qui était de bonne humeur, poursuivit : « En fait, je suis très doué pour tendre des pièges. Dommage que vous n’ayez pas approuvé mon plan lors de la traque de Steel Maveti. »
Klein résista à l’instinct de crisper la bouche et répondit calmement :
– « Vous avez encore une chance. »
– « Quelle chance ? » s’enquit Danitz par curiosité.
– « Une chance de tendre des pièges à des Transcendants comme Steel. Je vous les présenterai un par un », sourit Klein.
Le pirate en resta un moment sans voix.
Il savait pertinemment que souvent, les pièges étaient inefficaces contre un homme qui n’avait peur ni des armes, ni des projectiles, ni du feu, ni de l’eau.
Il laissa échapper un petit rire creux et se tourna vers la fenêtre.
– « Le temps s’est éclairci…Cela signifie-t-il que le serpent Kalvetua est mort ? »
Klein lui fit une réponse succincte, sans chercher à cacher la vérité.
Danitz soupira, hésita, puis reprit :
– « Quoi qu’il en soit, après ce coup de filet dans toute la ville, rares sont les pirates qui oseront venir à Bayam pour un certain temps. Cela concerne aussi L’Amiral de Sang.
« Vous devrez peut-être renoncer à votre projet de le traquer avec mon Capitaine. La Mer de Sonia est si grande qu’il est très difficile d’y retrouver une flotte qui cache intentionnellement sa position. De plus, ils peuvent se diriger vers la Mer de Brouillard, la Mer Berserk, la Mer du Nord ou la Mer Polaire. »
S’il était si facile de tuer un amiral pirate en mer, l’Église et l’armée l’auraient fait depuis longtemps ! Laissez-moi retourner au Rêve dOr le plus vite possible ! marmonna le pirate dans sa barbe.
Ne vous inquiétez pas, j’ai un moyen, et ce sera votre travail… pensait Klein qui demanda sans sourciller :
– « Qu’en pense votre capitaine ? »
Il avait dépensé douze Livres pour se procurer un récepteur radio par l’intermédiaire de Fors, mais il était trop pris par les affaires relatives au Dieu de la Mer pour s’en préoccuper. Il ne l’avait donc pas sorti du bric-à-brac au-dessus du brouillard gris pour le ramener dans le monde réel.
Entre temps, Klein avait touché l’argent que lui devaient Justice et Le Pendu, ce qui portait sa fortune à 7 085 Livres et cinq pièces d’or.
C’était amplement suffisant pour acheter n’importe où un manoir assez grand et productif.
Sans ma vengeance et mon espoir de trouver un moyen de retourner sur Terre, j’aurais déjà pu prendre ma retraite… pensa le jeune homme, satisfait.
L’avis du Capitaine… Danitz eut un sourire forcé :
– « Bien qu’en théorie, le Capitaine et les autres devraient être entrés dans le rayon de 500 milles nautiques qui permettrait de tenter un rituel de Chute des Âmes, vous n’êtes pas sans savoir que les routes maritimes ne sont pas totalement sûres. Les pirates se doivent de faire attention à ne pas se faire prendre par l’armée ou l’Église et pour cette raison, ils sont souvent contraints de faire des détours.
« Je pense que nous devrions attendre encore un jour avant de procéder au rituel afin d’éviter tout gaspillage d’énergie et de matériaux. »
– « D’accord », répondit laconiquement Klein en se dirigeant vers les toilettes.
Il avait l’intention de repartir le jour même à la recherche d’une occasion de jouer le rôle de quelqu’un d’autre.
Danitz regarda le dos de Gehrman Sparrow et soupira.
Avant de procéder à ce rituel devant vous, je dois d’abord contacter le Capitaine en privé et la persuader de me laisser retourner au Rêve d’Or ! Sparrow est quelqu’un qui aime sortir, donc j’ai de nombreuses opportunités et de l’espace. Héhé, ne me dites pas qu’il aime faire du shopping ?! pensa le pirate en retroussant les lèvres.
…
Après avoir quitté la Cathédrale des Vagues, Alger Wilson, pensif, se rendit directement à la Ralph Trading Company et vit le propriétaire qui lisait un journal.
Il savait que cet homme d’âge mûr en costume d’apparat, nœud papillon et lunettes, était un vétéran pirate. Il soutenait secrètement la Résistance et vénérait Kalvetua.
Ralph posa son journal, mit son pied droit sur sa jambe gauche et eut un sourire tranquille :
– « Que se passe-t-il, capitaine de vaisseau fantôme ? »
C’était un enfant illégitime. Son père était un aventurier de sang issu de Loen et de Feysac, et sa mère une indigène. Il avait fait fortune en devenant pirate puis marchand et il faisait des affaires aussi bien avec les pirates qu’avec les officiels. Il s’était construit un vaste réseau de relations qui lui permettait d’obtenir de l’aide du bureau du gouverneur général, du conseil municipal et du commissariat de police.
En entendant la question de Ralph, Alger manqua froncer les sourcils car l’attitude et le ton de l’homme étaient plutôt étranges.
Il ne s’attendait pas à le trouver dans cet état.
Dans son esprit, il était certain qu’après la chute du Dieu de la Mer, il y aurait de mauvais présages dans l’Archipel de Rorsted. Ses fervents croyants, pressentant que quelque chose n’allait pas, seraient soit inquiets, soit abattus. Comment pouvait-il être si naturel, si détendu ?
Alger ne mentionna pas directement Kalvetua, mais demanda avec un petit rire :
– « Savez-vous où est Kovaro ces derniers temps ? »
Kovaro était le capitaine pirate qui possédait la caractéristique Transcendante du baron Sanguin. Le bruit courait qu’il avait été marin à bord de l’Empereur Noir et qu’il faisait partie des forces périphériques de Nast, le Roi des Cinq Mers.
– « Qui sait ? Mais il n’est sûrement pas à Bayam, sans quoi il aurait été pris dans les raids de ces deux derniers jours », répondit Ralph en haussant les épaules. « J’ai entendu dire que son navire avait pris la direction du sud. »
Alger avait bien rendez-vous avec Kovaro à ce sujet et ce n’était pour lui qu’un moyen d’entamer la conversation.
Cela dit, il savait pertinemment que pour éviter le tsunami dans les eaux de l’Archipel de Rorsted, Kovaro avait dû partir très loin et mettrait un certain temps avant de revenir à Bayam.
Alger n’était cependant pas trop inquiet car il savait que La Lune avait reçu un billet à ordre. S’il retirait la somme avant l’échéance, il toucherait moins et perdrait un important montant d’intérêts.
Hochant délibérément la tête, il répondit :
– « Je vois. Merci pour l’information. »
Alger feignit alors d’ignorer ce qui s’était passé : « J’ai entendu dire que de nombreuses statuettes du Dieu de la Mer s’étaient brisées d’elles-mêmes en de nombreux endroits ? »
S’il n’en avait pas été témoin personnellement, sa déduction, fondée sur les archives de l’Église, était sensée.
Dans de nombreuses îles et pays coloniaux du Continent Sud, les sept Églises avaient éliminé plus d’un faux dieu comme Kalvetua. Ce qui s’était passé après leur mort avait depuis longtemps été consigné dans les archives.
Ralph acquiesça calmement.
– « Oui, en effet. Mais ce n’est pas une mauvaise nouvelle. » Son expression se fit fervente : « Car Dieu est revenu sur nos terres sous une nouvelle image ! »
Une nouvelle image ? Les yeux d’Alger restèrent fixés sur lui. C’était sensé, mais inattendu.
À en juger par la réaction de l’Église des Tempêtes, Kalvetua était mort, c’était une certitude. Alors qui était le Dieu de la Mer qui, désormais, répondait aux croyants ?
En faisant le lien avec son hypothèse, une idée audacieuse lui traversa l’esprit : serait-ce une incarnation de M. Le Fou ?
Se serait-il servi de la disparition du Dieu de la Mer pour se créer une nouvelle identité ? Est-il en mesure de libérer ses pouvoirs à travers le sceau pour affecter directement une identité dans le monde réel ?
Est-ce la véritable raison pour laquelle Le Monde est venu à Bayam ?
Il siffla d’admiration : Le Fou fait décidément les choses en grande pompe !
Discrètement, Alger déglutit, réprimant son enthousiasme.
…
Alors que Klein n’avait pas encore quitté l’hôtel du Souffle d’Azur, le Capitaine Elland lui remit une liasse de billets.
– « Voici votre récompense. Cent Livres au total. »
Il ne précisa pas quelle somme revenait à Gehrman Sparrow et à Danitz. Il leur laissait le soin de se partager la prime.
L’armée est vraiment généreuse… songea Klein en recevant l’épaisse liasse.
Il prit instinctivement deux billets de cinq Livres et les lança au pirate.
Puis finalement, il sortit froidement de la liasse deux autres billets, de dix livres cette fois.
Sparrow est plutôt juste, bien plus qu’Elland le Juste… se dit Danitz, agréablement surpris, en rangeant l’argent.
Son portefeuille, qui s’était considérablement aminci au cours des deux derniers jours, venait enfin d’être réapprovisionné.
Jetant un coup d’œil à Gehrman Sparrow dans ses nouveaux vêtements, Elland, après avoir réfléchi, demanda, son chapeau en forme de bateau à la main :
– « D’après l’Église des Tempêtes, la personne qui a affiché sur la porte de la cathédrale l’avis les informant du problème existant entre Leticia et le Dieu de la Mer est Danitz Le Flamboyant.
« Qu’en pensez-vous ? »
Il fixait Danitz droit dans les yeux, attendant une réponse.
Le pirate laissa échapper un petit rire :
– « Je ne le connais pas. »
Klein garda un instant le silence, puis intervint :
– « En accomplissant le vœu d’un aventurier décédé, j’ai croisé Leticia et ses compagnons à l’hôtel. Des serpents nous ont envahis au milieu de la nuit, mais ils n’ont eu aucune peine à résoudre le problème.
« De retour à Bayam, je suis allé acheter des objets à la Résistance et j’ai découvert qu’ils avaient sorti leur épée sacrée. De plus, deux Transcendants de Moyenne Séquence gardaient leur petite base.
« J’avais à peine touché leur épée sacrée que je me suis senti envahi d’une volonté folle. Durant un instant, j’ai bien failli perdre le contrôle.
« Ils étaient encore à la recherche de Leticia. »
C’était la vérité. Pas toute la vérité, mais Klein en avait suffisamment dit pour justifier le contenu de l’avis.
Même si l’armée du royaume et l’Église des Tempêtes enquêtaient plus avant, la seule chose qu’ils pourraient découvrir était que Gehrman Sparrow pouvait changer d’apparence.
Après avoir écouté attentivement, Elland soupira et sourit :
– « Si, à l’avenir, il se produit des choses semblables, n’affichez pas des avis en pleine nuit. Venez immédiatement me trouver. Vous pourrez ainsi toucher de plus grosses primes. »
Il se leva, mit son chapeau et dit à Danitz : « J’ai entendu dire que la prime offerte pour Le Flamboyant allait encore augmenter. »