Livre 7, Chapitre 126 – Changements dans le monde de la Géhenne
Cloudhawk ramena Haborym en ville. Leur affrontement n’avait duré que quelques minutes.
Tous les démons qui s’agitaient autour d’eux se précipitèrent lorsque l’espace les recracha. Ils dégainèrent leurs armes et se rassemblèrent autour d’eux, prêts à attaquer. Mais Haborym les mit en garde d’un geste de la main. Il connaissait la force de Cloudhawk. Le Cinquième Sceau était impressionné et maîtrisé.
Personne, à part le défunt roi des démons, ne maîtrisait aussi bien la puissance spatiale. Cloudhawk était également fort dans d’autres domaines, qu’il maniait aussi habilement que s’ils faisaient partie de lui. Et après tout cela, Haborym sentait encore que cet humain se retenait. Dans un combat de vie ou de mort, il serait encore plus mortel. Ce n’était qu’une supposition, mais l’aîné se demandait si même les Deuxième et Troisième Sceaux pourraient gagner contre cet homme.
Haborym l’avait dit lui-même. Les démons respectent la force !
Cet humain s’était montré plus fort que le Cinquième Sceau. Il portait l’armure de l’ancien roi, possédait un pouvoir supérieur à celui de son prédécesseur et bénéficiait du soutien du Grand Ancien. Cloudhawk avait le droit de se tenir devant eux, de marcher parmi les démons.
« Je vais conseiller à tous les anciens de convoquer une réunion. » Haborym fixa Cloudhawk d’un regard en coin. « C’est à vous de décider si vous serez accepté par les Sceaux. Je vous en prie, venez avec moi. »
Au centre du continent de la Géhenne, au cœur de sa seule ville, une tour perçait les cieux.
Elle mesurait plusieurs centaines de mètres de diamètre et des milliers de mètres de haut. Des dizaines de lianes s’enroulaient autour d’elle, de la base au sommet, chacune pulsant de lumière. Cette structure imposante était comme une chose vivante et sombre, la maison de tous les démons ici dans la Géhenne. On l’appelait la Tour de Babel.
À l’époque du précédent roi des démons, lorsque la société démoniaque était à son apogée, leur population s’élevait à près de soixante mille personnes. La Grande Guerre avait éliminé les deux tiers d’entre eux et, depuis lors, leur espèce n’avait cessé de décliner. Il n’en restait plus que vingt mille. Plusieurs centaines d’années s’étaient écoulées depuis la naissance du dernier démon.
Mais il serait stupide de ne pas tenir compte de leur espèce pour cette raison. Les dieux et les démons avaient une durée de vie infinie et une puissance innée vigoureuse. Si tous les habitants de Babel entraient en guerre, ils pourraient raser des civilisations entières. N’importe quelle créature était capable d’aplatir des montagnes, et les plus puissants pouvaient faire bouillir des mers entières. C’était une race à craindre.
Cloudhawk était ici pour faire appel à cette petite armée. Avec leur soutien, il aurait enfin la force nécessaire pour affronter les forces de Sumeru. Les humains étaient audacieux, mais face à la puissance des dieux et de leurs armes, ils étaient vulnérables. Si l’on pouvait compter sur les démons pour renforcer leurs lignes de front, cela contribuerait grandement à protéger leur avenir.
Cloudhawk entra dans la Tour de Babel. Comme les temples des dieux, cette structure était dotée d’une technologie étrange qui rendait son intérieur bien plus grand que l’extérieur ne le laissait supposer. Chaque étage était aussi grand qu’une ville. Là où vivaient les démons, toutes sortes de merveilles avaient été créées.
Alors qu’il se frayait un chemin, Cloudhawk vit des démons graver des images sur les flancs des collines. Beaucoup d’entre elles étaient déjà faites, s’élevant à des centaines de mètres ou plus. En regardant de plus près, il vit que toutes ces images étaient incroyablement détaillées et constituaient des œuvres d’art parfaites.
D’autres démons pliaient le sol à leurs caprices, gravant de magnifiques images dans la terre. Tout était leur toile. Tout était leur pinceau. L’art était partout où il regardait, et pas seulement l’art, mais aussi la musique et la poésie. Des notes douces se mêlaient à des conversations à voix basse sur la prose ancienne. Tous les exemples d’expression personnelle suscitaient le respect et l’admiration mutuels.
Si les démons n’avaient pas besoin de manger ou de boire, cela n’empêchait pas plusieurs d’entre eux de maîtriser également l’art culinaire.
Ici, dans la Géhenne, les démons étaient appelés “vénérés” par les autres races. Ce n’était pas seulement parce qu’ils vivaient longtemps et exerçaient un grand pouvoir, mais aussi parce qu’il semblait que chaque démon était un artiste accompli. Ils étaient aussi des sources de savoir, ayant accumulé beaucoup d’expérience après tant d’années. Chaque démon était un dépositaire de légendes et d’histoires.
Pour les humains de la Terre, les démons étaient synonymes de mort et de destruction. Si seulement ils pouvaient voir ce spectacle. Ils ne pourraient pas le comprendre.
Le Grand Aîné Legion était de retour ! Un nouveau Roi Démon était apparu ! Cloudhawk n’avait pas eu le temps d’explorer Babel et le monde qui l’entourait. La nouvelle de son arrivée s’était rapidement répandue, si bien que des dizaines de démons curieux s’étaient rassemblés pour voir de leurs propres yeux.
Des générations s’étaient écoulées sans chef. Tous les démons attendaient ce jour, le jour où leur roi reviendrait. N’était-ce pas pour ce moment que la Géhenne avait attendu ? Mais certains d’entre eux étaient également inquiets. Que signifiait le retour du roi ? Comment leur vie allait-elle changer ?
En peu de temps, Cloudhawk fut présenté aux anciens. Le Conseil des Sceaux était la plus haute autorité parmi les démons. À l’apogée de leur règne, il comptait des centaines de sièges. Aujourd’hui, il n’en reste plus que quarante-huit. Leur direction était composée des dix premiers, réduits à six : le Grand Ancien Legion, le Deuxième Sceau Crokel, le Troisième Sceau Korath, le Cinquième Sceau Haborym, le Neuvième Sceau Dumah et le Dixième Sceau Bélial.
Le Grand Ancien et le Dixième Sceau étaient réapparus après un millier d’années. Ainsi, au cours du dernier millénaire, il n’y avait plus que quatre anciens qui menaient leur famille dans la clandestinité. Le déclin de la race démoniaque était évident, comme en témoignait l’érosion des rangs de ses dirigeants.
Plusieurs dizaines d’anciens s’étaient réunis dans une salle de réunion. Leur seule présence inspirait la crainte. Les hommes de moindre importance cédaient rapidement à la terreur et perdaient la raison. Après tout, ces créatures étaient de véritables cauchemars.
Parmi ces anciens, le plus faible pouvait rivaliser avec un Suprême. De plus, leur race était rusée et inexplicable. Cela les rendait encore plus dangereux.
« Le Grand Ancien Legion a disparu depuis plus de mille ans, et il se montre aujourd’hui devant nous pour révéler l’avènement d’un nouveau roi. S’agit-il d’une ruse ? Une blague que vous faites à vos anciens collègues ? »
Dans la salle de réunion palatiale, chacun des anciens démons se tenait sur une estrade flottante. Celui qui parlait flottait le plus haut, l’Ancien du deuxième sceau, Crokel. Contrairement aux autres membres de sa famille, la forme de Crokel était une masse de fluide en perpétuelle évolution. Une colonne de mercure sombre avec une paire d’yeux cramoisis.
Pour être nommée Deuxième Sceau, cette créature n’était en aucun cas un être avec lequel il fallait jouer. Sa puissance était équivalente à celle du plus grand des généraux de Sumeru. D’après ses paroles et son ton, l’ancien n’était pas satisfait des actions de Legion. Dès les premiers instants de cette rencontre, le mépris envers Cloudhawk et le Grand Ancien était évident.
C’était inévitable et attendu, et pas seulement parce que Cloudhawk était humain.
Pendant mille ans, le roi des démons avait été absent. Legion avait disparu. En tant que Second Sceau, Crokel avait été contraint de se montrer à la hauteur de la situation. Mais il n’était pas assez fort pour commander l’obéissance à lui seul. Avec le soutien du Troisième Sceau, ils avaient réussi à maintenir la solidarité entre les membres de leur famille.
Dans leur système de classement, Crokel avait l’ancienneté sur tous les autres. Jusqu’au retour du Grand Ancien, accompagné d’un nouveau roi. C’est leur arrivée soudaine qui l’affecta le plus. Pour une créature habituée à la sensation de pouvoir depuis un millier d’années, ce changement était amer et brutal. Une fois acquise, la domination est difficile à abandonner.
C’était aussi vrai pour les démons que pour les hommes. Cependant, les choses étaient différentes pour les dieux.
Les divins étaient loyaux et désintéressés, se sacrifiant sans hésitation pour la collectivité. Dans leur société, l’individu pouvait à tout moment être abandonné pour le bien de tous, ce qui était rare dans les espèces inférieures où la peur et l’égoïsme étaient largement répandus.
Telle était la force des créatures intelligentes, mais aussi leur faiblesse.
La réponse de Legion fut donnée d’un ton égal. « Le dernier souhait de l’ancien roi était que je trouve et guide son successeur. Bien que le nouveau roi soit issu d’une lignée humaine, Cloudhawk a hérité du pouvoir de son aïeul et a obtenu la force de diriger notre peuple. Notre nouveau roi a plus de pouvoir et de potentiel que son prédécesseur. Si tu n’as pas confiance en mes paroles, demande au Cinquième Sceau ».
Haborym n’eut d’autre choix que d’acquiescer. Il était indéniable que cet humain possédait une force incroyable.
Legion poursuivit. « Pendant mille ans, la Géhenne s’est cachée dans l’ombre, attendant ce moment précis. Le jour où leur roi reviendrait. Il est temps maintenant pour notre peuple de quitter la Géhenne et de se battre pour retrouver la fierté qui nous a été volée. »
« Supposons que ce que tu dis soit vrai et que cet humain soit notre roi. Qu’est-ce qui te fait penser que nous allons vaincre les dieux là où nous avons échoué auparavant ? »
Cette fois, ce fut le troisième sceau qui prit la parole. La caractéristique la plus marquante de Korath était son œil unique doté d’une multitude de pupilles. On disait que chacune d’entre elles commandait une terrible magie. « Les deux tiers de notre race ont disparu par rapport à l’époque où nous étions à notre apogée. Pendant ce temps, les dieux ont eu mille ans pour renforcer leur puissance. Il y a un millénaire, nous n’étions pas assez forts pour les arrêter. Qu’est-ce qui te fait penser que nous pouvons les arrêter maintenant ? »
« Notre sage du troisième sceau dit vrai. » Le neuvième sage, Dumah, acquiesça. « Notre famille n’a pas envie de combattre les dieux. Une discussion plus approfondie est nécessaire si nous envisageons d’envoyer nos forces contre Sumeru. »
En entendant cela, le dixième sceau Bélial acquiesça. À ses yeux, il était insensé de faire la guerre aux dieux. Les premiers démons étaient des dieux que l’ancien roi des démons avait fait fuir. Leur petit groupe de transfuges était fort mais très inférieur en termes de technologie. Lorsque l’indomptable roi des démons était entré en guerre contre le tout aussi inflexible roi des dieux, les démons avaient perdu tous leurs meilleurs éléments. Comment pouvaient-ils se remettre d’une telle calamité ?
Les démons étaient une race aux idées personnelles et à l’individualité affirmée. Bélial n’était pas le seul à être déterminé.
Les humains avaient de nombreuses histoires de héros qui s’étaient levés pour lutter contre des obstacles impossibles à surmonter. De nombreuses personnes étaient prêtes à mourir pour les autres, pour la gloire, pour la richesse, pour les droits – pour toutes sortes de choses ridicules. L’humanité ne craignait pas la mort de la même manière que les démons, car pour l’homme, la mort était inévitable. Une vie était limitée, elle disparaissait en un clin d’œil.
Les démons, en revanche, n’étaient pas condamnés de la même manière.
Leur vie s’étendait à l’infini. Pouvant exister pendant des dizaines de milliers d’années, ils avaient plus à perdre que les humains. Leur peur maladive de la mort avait été supprimée par la force de personnalité du roi des démons, mais cette époque était révolue.
Après tant d’années, de nombreux démons s’étaient adaptés à une vie tranquille, une vie de paix. Cloudhawk l’avait constaté en se rendant à cette réunion. La Géhenne n’était pas grande, mais elle était suffisante.
Quant à l’absence de nouveaux démons ? Qu’il en soit ainsi. Au moins, ils ne mourraient pas.
Même Abaddon était stupéfait de voir à quel point son peuple était devenu différent. La Géhenne qu’il avait quittée il y a des siècles n’était pas comme ça. Leur idée de se glisser dans l’obscurité s’était imposée en son absence et s’était renforcée. La soif d’un nouveau roi pour les diriger avait diminué. Le désir de punir les dieux et de se tailler une place dans le cosmos n’était plus qu’un rêve lointain. Pour ces raisons, tous n’étaient pas impatients d’accueillir le retour du roi démon.