La taille de cette chambre funéraire était près de dix fois supérieure à celle de la chambre qui contenait les jarres de vin. Quatre colonnes géantes se dressaient à chaque extrémité de la pièce. Des piles de trésors jonchaient le sol, des monticules de vaisselle d’or et d’argent ainsi que des verres constellés de perles, de jade et de pierres précieuses. Leurs couleurs chatoyantes nous aveuglaient presque.
Les yeux du Gros étaient plus grands que ceux d’une vache et son visage était tordu par la surprise et l’avidité.
Je n’arrivais pas à croire qu’il y avait autant de trésors dans le tombeau impérial d’un minuscule royaume frontalier. Il semblait que nous serions riches pour le reste de notre vie si nous n’emportions que quelques-uns des objets qui se trouvaient en ce lieu.
Gros-lard se rua vers l’or et l’argent, mais je l’attrapai :
― Ne te laisse pas emporter. On pulvérise souvent du poison sur les récipients en or trouvés dans les tombes. Ce serait idiot d’avoir fait tout ce chemin pour mourir empoisonné. Il vaut mieux attendre d’être sûr que nous pouvons toucher ces objets en toute sécurité.
Mais Grande-Gueule s’était déjà précipité vers le tas d’or et en avait saisi une brassée, le regard émerveillé. Son corps entier tremblait, il lâcha sa prise et le trésor lui glissa entre les doigts, faisant retentir dans l’air le bruit du métal qui s’entrechoque.
Même moi, prudent et correct à l’extérieur, je sentis mon cœur s’emballer lorsque je vis ce qui s’étalait devant nous. Je devais être honnête avec moi-même, je voulais cette richesse autant que n’importe qui d’autre.
Perdus dans l’avarice, nous courûmes d’un tas d’objets précieux à un autre, regardant, choisissant et faisant nos propres piles. Tout ce qu’on voyait aurait pu être la pièce maîtresse de n’importe quel musée du monde, et tout était à prendre. Le Gros fut le premier à vider son sac à dos de tout son matériel, le remplissant de trésors, le vidant à nouveau, puis y mettant d’autres objets. Il gémissait doucement en se précipitant d’un tas à l’autre.
Néanmoins, nous découvrîmes rapidement que, quels que soient nos efforts, nous ne pouvions pas choisir les choses que nous voulions emporter. Il y avait toujours quelque chose de plus beau et de plus précieux, et nous nous en emparions, puis quelque chose d’autre le remplaçait, jusqu’à ce que l’épuisement refroidisse notre frénésie.
Je secouai la tête pour chasser l’avidité et je me levai. Shunzi se tenait au sommet d’un monticule d’or, le regard fixé sur le vide.
― Qu’est-ce que tu regardes ? lui demandai-je.
Silencieusement, il pointa le doigt vers le bas. Là, au milieu d’or et de bijoux, gisaient plusieurs personnes, immobiles. Elles étaient mortes.
Le Gros et Grande-Gueule nous virent en état de choc et pensèrent que nous avions trouvé des trésors encore plus exquis. Ils se précipitèrent pour jeter un coup d’œil et découvrirent per eux-mêmes les cadavres.
Nous descendîmes pour voir de plus près et nous constatâmes que les corps avaient cesser de respirer depuis longtemps. Leur peau était desséchée au point de ressembler à de la peau d’orange et leurs vêtements avaient pourri.
― Qu’est-ce qui se passe ? demanda le Gros, Qui sont ces gens ? Ils sont de cette époque, pas de l’ancienne. Tu crois qu’ils se sont mêlés de nos affaires ?
Je secouai la tête. Les cadavres portaient des vêtements dans le style des années 1980, que les gens du pays portaient encore de nos jours. À en juger par leur état de décomposition, ils séjournaient dans ce lieu depuis cinq à vingt ans.
― S’agit-il de collecteurs d’herbes ou de chasseurs qui sont allés dans les monts Changbai, demanda Grande-Gueule, sont entrés ici par erreur et sont morts parce qu’ils n’ont pas trouvé le chemin de la sortie ?
― C’est peu probable. J’ai arraché les fragments de vêtements d’un des cadavres. C’était une femme, qui portait des boucles d’oreilles démodées et une montre-bracelet rouillée.
― Regarde. C’est une montre Titoni des années quatre-vingt. À l’époque, même le maire d’un village ne pouvait pas en acheter une. Cette femme vient d’un milieu assez influent, on ne dirait pas qu’elle vivait en zone rurale.
― Alors, s’agit-il de touristes égarés ? demanda Grande-Gueule, Tu crois qu’ils ont gravé les mots que nous avons vus en venant ici ?
Je répondis non par un mouvement de tête. Ils ne pouvaient pas avoir gravé ces mots. J’avais déjà vu le même genre de langage dans le tombeau sous-marin, ce qui signifiait qu’il avait certainement été gravé par des gens communs aux deux lieux. Si les mots de cette tombe n’avaient pas été gravés par quelqu’un de l’équipe de Ning, alors ils avaient dû être faits par Qilin. Il était possible que ces cadavres soient des touristes égarés, mais comment auraient-ils pu se retrouver là s’ils étaient vraiment perdus ? Sans un courage considérable, personne n’oserait s’aventurer dans le tunnel d’un tombeau souterrain.
Cependant, comme cette femme n’était pas une citoyenne ordinaire, sa disparition aurait pu provoquer des remous dans la région. Shunzi n’était pas jeune, il avait peut-être entendu parler de ce genre de chose à l’époque. Je me retournai pour lui poser la question, mais il ne nous avait pas suivis. Il se tenait toujours sur le tas d’or, le visage pâle et inexpressif, le corps tremblant fortement.
― Qu’est-ce qui se passe ? railla Gros-lard, vous avez peur des morts ?
Shunzi l’ignora et se dirigea vers nous, le pas lourd. Il s’accroupit près d’un des corps, tremblant si fort que je cru qu’il allait basculer, mais c’est alors que je compris.
Le Gros me demanda à voix basse :
― Qu’est-ce qu’il a ? Il est envoûté ?
― Non, répondis-je, Il regarde le corps de son père, disparu il y a dix ans dans ces montagnes.