Le Maître des Secrets | Lord of the Mysteries | 诡秘之主
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Chapitre 39 – Une hypothèse audacieuse
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Chapitre 39 – Une hypothèse audacieuse

En mer, les pirates avaient trois centres d’intérêts communs et emblématiques : l’alcool, les femmes et le jeu. Alger Wilson n’eut qu’à sortir sa montre à gousset en argent, à l’ouvrir et il sut où il devait se rendre en premier lieu.

Il était 11h15, les maisons closes et les bars n’étaient pas encore ouverts. Seuls les tripots pouvaient facilement réunir un groupe de personnes désireuses de faire fortune.

Alger connaissait mieux cette ville portuaire que sa petite ville natale. Il poursuivit son chemin sans s’arrêter, tournant à chaque coin de rue jusqu’à ce qu’il arrive devant un casino situé dans une ruelle isolée.

De ce qu’il savait, le propriétaire de cet établissement était un chef de gang aux sérieux antécédents. Il avait un lien inexplicable quoiqu’indéfini avec un important personnage du bureau du gouverneur général. C’était la première chose à laquelle pensaient de nombreux pirates pour pouvoir acheter et vendre leurs marchandises volées.

Voilà pourquoi les pirates s’y rendaient souvent. Le matin, ils pouvaient échanger leur butin contre des Livres d’or, mais le soir, ils perdaient tout et se faisaient jeter dehors.

Alger resserra son épais manteau marron, enfonça sur sa tête sa casquette – un accessoire à la mode venu tout droit du continent – et poussa la porte entrouverte. Sous le regard attentif des videurs, il entra dans le casino.

Les casinos étaient interdits au Royaume de Loen. Mais dans les vastes colonies d’outre-mer, non seulement ils étaient légaux, mais ils constituaient une industrie de base. Dans ce domaine, Bayam, de l’Archipel de Rorsted, et Alethe, de Balam Est, étaient les plus célèbres de la région. De nombreux magnats venus des côtes de Backlund ou du Comté de Midsea s’y déplaçaient spécialement pour une grande journée de jeu.

Alger inspecta l’endroit et y vit une variété de jeux de cartes, ainsi que des jeux de dés sur plateau tournant.

Comme il était encore tôt et les joueurs peu nombreux, il eut vite fait de les “scanner”.

Soudain, ses yeux s’illuminèrent et il reconnut instantanément une personne déguisée.

Ôtant son couvre-chef, il s’approcha d’une table de Texas Poker et tapota l’épaule de l’homme qu’il avait repéré. Puis, se penchant, il lui murmura à l’oreille : « Flamboyant ».

Danitz, qui était en train de retourner le coin de sa carte, sursauta et faillit envoyer une boule de feu au type qui se tenait derrière lui.

Depuis qu’il avait été attaqué par Steel Maveti, il avait compris qu’il ne fallait pas chercher à obtenir des informations sous sa véritable apparence, car il pourrait être la cible de pirates avides.

Même si la plupart n’étaient pas très forts et ne représentaient pas une menace pour lui, Danitz ne voulait pas se dévoiler de crainte d’entraver le plan qui était de traquer Steel Maveti.

Mais à sa grande surprise, malgré le déguisement qu’il s’était efforcé de revêtir, il venait d’être reconnu une heure à peine après être sorti de chez lui.

Il tourna aussitôt la tête et jeta un coup d’œil en coin à l’homme qui le « saluait ».

Lorsqu’il aperçut ses cheveux bleu sombre semblables à des algues, Danitz se détendit un peu et se tourna vers les autres joueurs pour voir s’ils avaient entendu.

Ceux-ci étaient tous si occupés à étudier leur carte cachée, à se coucher ou à poursuivre, qu’aucun d’entre eux ne prêtait attention à ce qui se passait sur le côté.

– « Que faites-vous ici ? » demanda Danitz sur un ton désinvolte.

Alger et lui s’étaient rencontrés lors de la précédente réunion privée, et il savait que son interlocuteur disposait d’un vaisseau fantôme et d’une douzaine de marins. C’était un homme puissant mais inconnu.

D’après la vice-amirale Iceberg, pour qu’un si faible et si petit équipage soit en mesure de maintenir un ancien vaisseau fantôme, il fallait qu’il soit soutenu par une puissante faction. Peut-être étaient-ils membres de l’Église des Tempêtes, liés à un roi pirate spécifique ou à une organisation secrète. Ils se faisaient généralement passer pour des pirates ordinaires et recueillaient des informations pour savoir vis-à-vis de qui ils étaient loyaux. Il leur était facile, à des moments programmés, d’effacer toute trace d’eux-mêmes et de faire parfois des choses que le pouvoir qui les soutenait ne pouvait faire directement. Par exemple réduire des gens au silence ou piller certains objets spéciaux.

Il y avait pas mal d’équipages pirates de ce genre et personne ne s’en souciait particulièrement.

Alger tira une chaise qui se trouvait à proximité et s’assit. Penchant la tête, il demanda à voix basse :

– « J’ai entendu dire que votre capitaine était en possession de la Clé de la Mort ? »

Danitz se mit à rire.

– « Je pensais que vous aviez un cerveau, mais vous m’avez déçu. Comment peut-on se procurer si facilement une telle chose ?

« Nous la vendrons si vous la voulez et si vous nous en offrez un prix décent ! Qu’en pensez-vous ? Voulez-vous ce marché ? »

– « Peut-être y a-t-il d’autres secrets. Peut-être quelqu’un a-t-il l’intention de traiter avec votre capitaine. »

– « Qui sait ? Bon sang ! » jura Danitz, agacé par la main qu’on venait de lui distribuer.

Puis, baissant la voix, il poursuivit : « Cette chose n’a pas l’air d’être une création humaine. Elle pourrait appartenir aux géants ou aux démons. »

– « Une création ? Votre capitaine a donc toujours à cœur de vous enseigner le bon maniement du langage ? » demanda Alger, amusé.

Le bruit courait, en effet, que la vice-amirale Iceberg était une femme très stricte en matière de savoir. Elle ne supportait pas d’avoir sous son commandement une bande d’analphabètes, aussi sur le Rêve d’Or était organisé chaque jour un cours de lecture et de culture générale. Tous les membres d’équipage, à tour de rôle, étaient obligés d’y participer.

– « C’est beaucoup plus difficile que de se battre ! » répondit Danitz qui aurait préféré oublier. « C’est pour cette raison que nous ne parvenons pas à recruter suffisamment de marins. Chaque fois que nous accostons dans un port pour nous réapprovisionner, il y en a qui démissionnent… »

Il ne s’attarda pas sur le sujet. Jetant un coup d’œil au croupier, il murmura comme pour lui-même : « Aidez-moi à garder un œil sur les allées et venues de Steel. »

– « Steel Maveti ? Le second de l’Amiral de Sang ? » Alger regarda le bras gauche du Flamboyant, légèrement soutenu par une attelle, et demanda : « Avez-vous été attaqué ? Pour la clé ? »

– « Il s’est fait bouffer le cerveau par ses zombies ! » répondit Danitz avec insistance.

– « Et vous voulez vous venger ? » s’enquit Alger qui avait deviné d’après le ton et la requête de son interlocuteur.

– « Hé hé », fit Danitz pour toute réponse en faisant mine de se concentrer sur sa nouvelle carte cachée.

Alger réfléchit un instant.

– « La dernière fois que votre capitaine a été vue, c’était il y a sept jours, près de l’Île de Sonia. Un télégramme l’a confirmé. Le Rêve d’Or n’arrivera pas à Bayam avant un moment.

« Auriez-vous un nouvel assistant ? Vous ne feriez pas le poids face à Steel, même s’il était seul. Et vous n’êtes pas sans savoir qu’il est toujours accompagné d’une foule. »

– « Appelez ! » répondit Danitz en lançant un jeton.

– « Qui est-ce ? »

Alger supposa que l’attitude de Danitz était un accord tacite. Il misait sur cette question, car il s’agissait d’une entreprise sans risque.

Danitz regarda les cartes exposées et répondit simplement :

– « Vous ne pouvez pas savoir. »

Je ne peux pas savoir ? Quelqu’un qui a la force d’affronter Steel Maveti doit être quelqu’un qui a une certaine renommée en mer, qu’il soit pirate ou aventurier… À moins qu’il n’appartienne à une organisation secrète spécifique ou que ce soit la première fois qu’il voyage sur les mers. Cela dit, il est également possible que Danitz ne veuille pas répondre de peur de dévoiler un secret. Il y a des grandes chances pour que ce soit ça… Quelqu’un qui appartient à une organisation spécifique, qui prend la mer pour la première fois et qui est assez fort pour affronter Steel Maveti…

Alger leva légèrement les yeux au ciel : il venait d’avoir une idée audacieuse.

Il tapota sur le bord de la table et demanda sur le ton de quelqu’un qui parle de la pluie et du beau temps :

– « Le Port de Bansy était-il amusant ? » en mettant l’accent sur le mot « amusant ».

Surpris, Danitz tourna la tête :

– « Comment le savez-vous ? »

De son point de vue et connaissant le mode opératoire de l’Église des Tempêtes, il était impossible qu’elle lave son linge sale au grand jour. De plus, les passagers de l’Agate Blanche étaient arrivés la veille au soir. Les personnes ayant été témoins des événements avaient toutes signé des accords de confidentialité. Comment la nouvelle avait-elle pu se répandre aussi rapidement ?

Alger sourit mais ne répondit rien.

Il comprit alors la valeur des paroles de l’Empereur Roselle : Hypothèses audacieuses et vérifications minutieuses !

Danitz mit de côté ses gains et marmonna :

– « Rien de grave. D’anciennes coutumes ont ressurgi ce qui a entraîné la chute d’un évêque de la Tempête. »

Il fallait s’y attendre…

Alger eut un petit rire :

– « Je vais vous aider à garder un œil sur Steel. Mais comment puis-je vous contacter ? »

– « Hmm… Le 15 de l’avenue Amyris est inoccupé. Notez les informations sur un bout de papier et jetez-le à l’intérieur », répondit Danitz après hésitation.

Alger acquiesça, se leva et tapota l’épaule du pirate :

– « N’oubliez pas mon dédommagement. »

Puis, se retournant, il se dirigea vers la porte.

En regardant partir le capitaine du vaisseau fantôme, Danitz ne put s’empêcher de grommeler :

– « Ce n’est pas un mauvais gars, mais je dois quitter cet endroit. »

Il ne pouvait pas faire confiance à Alger. Dans quelques minutes peut-être, il verrait surgir Steel Maveti et ses pirates.

Après avoir quitté le casino, Alger, qui portait un ample pantalon local, déambula dans la rue. Il entra dans un grand magasin, se dirigea vers un comptoir et, souriant, sortit de sa poche une poignée de pièces de monnaie en bronze.

– « Donnez-moi un jeu de cartes de tarot. »

Tandis qu’il attendait, il réfléchit :

Que peut bien faire l’adorateur de M. Le Fou en ce moment ?

Au restaurant Chez le Vieux John…

Klein regarda le serveur placer devant lui une assiette de poisson grillé. Il était enveloppé de quelque chose qui ressemblait à de la paille et couvert de toutes sortes d’épices, dont certaines lui étaient inconnues.

L’arôme puissant s’infiltra dans ses narines, augmentant considérablement sa salivation.

Rien d’étonnant, nous sommes dans l’Archipel des Épices…

Il s’apprêtait à prendre son couteau et sa fourchette lorsque le serveur déposa dans son assiette deux objets qui ressemblaient à des branches.

Des baguettes ? se dit-il, stupéfait.

Très vite, il découvrit le suspect : Roselle Gustav !

– « Ce sont ces couverts qu’il faut utiliser pour manger des épinoches grillées. Il paraît que l’Empereur Roselle s’est inspiré des coutumes des elfes », expliqua le serveur.

Les coutumes des elfes ? Il est vrai que cette race aime cuisiner et manger des mets délicats… Disons plutôt que c’est une simple excuse qu’à trouvé Roselle… pensa le jeune homme, en grande partie d’après ce qu’il savait de ce personnage bien particulier.

Dans la matinée, il s’était rendu dans quelques hôpitaux confessionnels de Bayam pour prodiguer des soins palliatifs à des mourants, les aider à réaliser leurs souhaits et se livrer à un jeu d’acteur plus approfondi, mais il n’avait pas réussi à trouver de cible convenable.

Cela ne voulait pas dire que personne n’était mort à l’hôpital, mais plutôt que tous avaient des proches pour les accompagner ou pour être témoins de leur mort. Il n’avait aucune possibilité de se faire passer pour un défunt si ce n’était pour effrayer les gens.

Je vais me rendre au bar où se réunissent les aventuriers. Il doit y avoir beaucoup d’étrangers qui risquent de mourir dans un coin sombre, tels des chiens errants, pour avoir voulu chercher fortune en mer. Leurs familles pourraient ne plus jamais les revoir…

Réprimant ses pensées, Klein se concentra sur son délicieux repas.

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